Crise financière: pas de panique! Par Charles Wyplosz (Professeur, économie internationale) 20H18 10/08/2007
Jeudi et Vendredi, les grandes banques centrales (Europe,
Etats-Unis, Japon) ont injecté des milliards d’euro de liquidité dans
le marché monétaire. Qu’est-ce que cela veut-dire? Sommes-nous au bord
d’une crise financière de première grandeur, qui risque de plonger le
monde dans la tourmente? Très probablement pas.
Depuis quelques mois, la grande correction du marché de
l’immobilier américain est en cours. Dans l’euphorie d’une croissance
qui aura duré 10 ans, les établissements financiers américains ont
consenti des prêts immobiliers à des clients qui, d’habitude, sont
considérés comme des "mauvais risques". Le prix des maisons s’est
envolé au-delà du raisonnable alors que des milliers de ménage, ravis
de pouvoir emprunter, s’engouffraient dans des achats qui,
espéraient-ils, allaient les rendre riches.
Oui, mais voilà: quand les prix montent trop haut, ils doivent
redescendre un jour. Et quand ils redescendent, ou même cessent de
grimper, les ménages trop endettés et déçus de voir la bonne affaire
s’évaporer, cessent de rembourser. Les établissements prêteurs
saisissent les biens immobiliers pour les vendre aux enchères, ce qui
pousse les prix à la baisse et enclenche une nouvelle vague de défauts
de paiements. Et la roue tourne.
A chaque tour, les établissements prêteurs ne récupèrent qu’une partie de ce qu’ils ont prêté.
La normalisation tant attendue du marché de l’immobilier se devait
de faire quelques dégâts. Quelques établissements spécialisés dans les
prêts hypothécaires ont fait faillite, d’autres suivront. C’est normal
et ce n’est pas vraiment grave. Même si les sommes en jeu sont
considérables, ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des marchés
d’aujourd’hui. Le problème est ailleurs.
Du marché de l' immobilier au marché monétaire Les établissements prêteurs savaient bien qu’ils prenaient des
risques. Ils ont donc cédé leurs portefeuilles de prêts risqués à
d’autres établissements financiers, qui les ont repassés à des
collègues, qui ont fait de même encore et encore. Quand John Smith ne
rembourse plus son prêt hypothécaire, c’est une banque française,
japonaise ou australienne qui engrange une perte. Du coup, on ne sait
plus qui aujourd’hui détient les créances sur les emprunteurs
américains déçus. Des centaines d’établissements ont absorbé ces
dettes, qui paraissaient bien juteuses mais sont aujourd’hui impayées.
Du coup, la scène se déplace sur le marché monétaire. C’est un gros
marché qui rassemble les très gros professionnels de la finance,
grandes banques et sociétés d’assurance. Ces pros se prêtent chaque
jour les uns les autres de très grosses sommes. Ils le font d’ordinaire
sans se poser de questions: ils se connaissent bien et se font une
confiance absolue. Tout a changé ces jours-ci. Certains d’entre eux ont
sans doute acquis un peu trop de ces dettes aujourd’hui en souffrance,
mais personne ne sait qui est dans cette situation. Alors la confiance
disparaît et, par prudence, plus personne de prête à personne.
Depuis le début de la semaine, le marché monétaire s’est gelé, par
méfiance réciproque. Or c’est sur ce marché que comptent les grands
établissements pour financer chaque jour leurs opérations. On risque
donc de se retrouver dans une situation où il n’y aura plus de crédit
bancaire, ni pour les entreprises, ni pour les particuliers, ni même
pour les gouvernements. Et sans crédit, la mécanique économique se
bloque, et ça peut être très grave.
Tout dépend des nerfs des banquiers centraux Ce n’est pas parce que les financiers s'affolent un peu vite que
nous devons, nous aussi, paniquer. Les pertes dues à la crise de
l’immobilier aux Etats-Unis et ailleurs (là aussi, la contagion peut
s’étendre) peuvent parfaitement être absorbées, d’autant qu’on vu venir
la crise. Les établissements qui détiennent ces prêts hypothécaires
risqués –les fameux "subprimes"– le savent et, pour la plupart d’entre
eux, ont mis de l’argent de côté, en se gardant bien de le claironner.
Le problème, c’est la méfiance qui s’est installée. Alors, très
sagement, les grandes banques centrales interviennent. Elles prêtent
aux établissements financiers l’argent qu’ils ne trouvent plus sur le
marché monétaire, pour leur permettre de continuer à faire leur travail
de distributeurs de prêts.
Combien de temps cette situation peut-elle durer ? Il va falloir
des mois pour que le marché immobilier se stabilise et que les pertes
des établissements exposés sortent du bois. On peut s’attendre à des
faillites, dont certaines retentissantes, qui vont périodiquement
secouer les marchés. Tant que ces accès de fièvre restent circonscrits
aux marchés financiers, la croissance que nous connaissons devrait se
poursuivre. Mais il y a des risques. D’abord, les banques centrales
auront-elles les nerfs assez solides pour continuer à injecter de la
liquidité comme elles viennent de le faire? En principe, elles ne
devraient pas fléchir, mais certains analystes vont bientôt crier au
loup et dénoncer ces interventions comme inflationnistes.
Ils se tromperont, ce qui ne signifie pas qu’ils ne seront pas
entendus. Et puis, surtout, il y a les ménages et les entreprises. Si
ces nouvelles un peu ésotériques les troublent, ils pourraient bien se
mettre à épargner plus, ce qui casserait la croissance et ferait
repartir le chômage à la hausse. Ce serait vraiment triste.
Charles Wyplosz est professeur à l'Institut universitaire de Hautes études internationales. (Genève).http://www.rue89.com/2007/08/10/crise-financiere-pas-de-panique