MauritanieLes réfugiés au Sénégal, entre espoir et inquiétudeOrganiser
un retour collectif et serein des réfugiés et déportés mauritaniens de
1989, telle est la volonté du président Sidi ould Cheikh Abdallahi.
Pour la première fois depuis 18 ans, une délégation mauritanienne de
haut rang a rendu visite aux exilés, installés de l’autre côté du
fleuve Sénégal.
Les habitants du village de N'Dioum, rassemblés pour écouter le message du comité de concertation.
(Photo : Manon Rivière/RFI)
De notre envoyée spéciale au Sénégal, Manon RivièrePour
le novice, impossible de distinguer les sites où vivent les expulsés
mauritaniens des autres villages sénégalais. Loin de l’image sordide et
précaire du « camps de réfugiés » traditionnellement véhiculée par les
médias, les villages ressemblent à tous les autres aux alentours, avec
les mêmes maisons en dur et les mêmes cases en torchis. Avec des puits,
des moutons et des chèvres. L’atmosphère pourrait même y sembler
paisible. Mais quand le déporté mauritanien Mansour Harouna monte sur
le toit de sa maison de Dagana, il a le cœur serré : «
Là bas, en face, derrière les rizières, c’est la Mauritanie. Ca me fait toujours de la peine lorsque je monte ici ».Dagana
est le premier site de réfugiés mauritanien à recevoir, ce 18 juillet,
la visite du comité mauritanien de concertation. Les femmes, les
enfants, les vieillards, tous se sont rassemblés sur des nattes
colorées à l’ombre des arbres et attendent patiemment. On a sorti les
bancs de l’école pour que les anciens n’aient pas à se baisser.Une
assistance fournie fait face à la délégation venue de Nouakchott. Le
ministre secrétaire général de la présidence, Yahya oud Ahmed el
Waghef, prend en premier la parole, en français. Il sera suivi du
ministre de l’Intérieur Yall Zakeria, en pular. Après avoir remercié
chaleureusement les autorités sénégalaises qui ont accueilli en 1989-91
ces Mauritaniens chassés de leur pays, Yahya ould Ahmed el Waghef
explique l’objectif de cette mission. «
Je suis venu vous
transmettre le message du président de la République. Tous les citoyens
mauritaniens réfugiés au Mali et au Sénégal vont pouvoir rentrer chez
eux. Ce retour sera organisé et digne. Et vous serez accueillis
chaleureusement ». Dans un discours à la fois solennel et
didactique, le ministre secrétaire général rappelle les principes qui
sous-tendent cette concertation : «
C’est avec vous, c’est avec vos
idées que l’on va élaborer le plan de retour et de réinsertion des
réfugiés. Vos compatriotes en Mauritanie, qui eux aussi ont souffert de
cette séparation, seront bien entendu associés. »
Besoin de justiceA N’Dioum, les villageois semblent plus politisés. Sur des pancartes en carton, ils ont inscrit différents slogans. «
Nous préférons l’exil éternel à une citoyenneté de façade », ou encore «
Pour un retour basé sur la justice ».
C’est à N’Dioum justement que Mamadou Wane, le chef de la section
sénégalaise des FLAM (Forces de libération africaines de Mauritanie)
demandera publiquement la mise sur pied d’un Tribunal pénal
international pour la Mauritanie. Une suggestion jugée radicale par le
comité de concertation, qui préfère insister sur le pardon et la
concorde nationale. Pourtant, cette exigence de justice est
bien présente, entretenue notamment par les différentes associations de
réfugiés. Moctar Hamidou Sy, du CAREMS, le collectif des associations
de réfugiés mauritaniens au Sénégal, l’aile sociale des FLAM, réitère
ses conditions : «
Nos souhaitons un retour sous l’égide du HCR.
Nous souhaitons une restitution des biens ou une indemnisation
équivalente. Nous souhaitons que tous les réfugiés soient rétablis dans
leurs droits civils. Et enfin, nous voulons que tous les tortionnaires,
violeurs, assassins soient traduits en justice. » Si Moctar
Hamidou Sy modère son propos en expliquant qu’il pourrait s’agir par
exemple de peines symboliques, pour lui, pas de doute, la vérité tôt ou
tard doit triompher. Moustapha Touré, qui représente, lui, la
Coordination des associations des réfugiés mauritaniens au Sénégal et
au Mali, prône plutôt l’apaisement. «
Nous devons nous acheminer
vers une réconciliation nationale. Un citoyen qui se sent lésé pourra
toujours décider de porter plainte, mais nous n’entamerons pas de
démarche collective de ce point de vue là ». Les nombreuses
associations de réfugiés, très implantées dans les villages auprès des
populations, ont eu le temps tout au long de ces dix-huit années de
glaner des soutiens. «
C’est justement pour couper court à toute manipulation et tentative de récupération politique que nous sommes là aujourd’hui », précise le conseiller auprès du Premier ministre, Dialo Mamadou Bathia.Dans
les différents villages visités par la délégation, de Dagana à Bakel,
en passant par N’Dioum ou encore Dodel, l’impression des réfugiés est
sensiblement la même. En clair : «
Oui au retour, mais à condition que nos exigences soient satisfaites ! »
Aux exigences matérielles, financières et morales, s’ajoute aussi la
garantie de sécurité. Car si certains, à l’image de cet ancien
lieutenant de l’armée, estiment qu’avec ce retour «
la Mauritanie renouera avec l’époque où toutes les communautés vivaient en symbiose », d’autres sont plus méfiants. «
Personnellement, je pense que rien n’a vraiment changé au pays, estime Oumar.
Regardez, sur trente ministres, seuls deux sont négro-mauritaniens ! » Restent, enfin, les plus inquiets, comme Bâ : «
Moi,
je veux bien revenir au pays, mais que ce passera-t-il si à l’arrivée
on nous massacre, comme au Congo ou au Rwanda ? Que fera la communauté
internationale ? » Le comité de concertation se donne encore deux
mois pour rassurer tous les exilés. Un processus qui culminera avec
l’organisation de journées nationales de sensibilisation.
Article publié le 21/07/2007 Dernière mise à jour le 21/07/2007 à 11:35 TU
http://www.rfi.fr/actufr/articles/091/article_54314.asp