Politique Nationale/Internationale
La Turquie n'en a pas fini avec les Kurdes
Alors qu'il discutait récemment du système éducatif militaire de la
Russie, le penseur militaire de premier plan et ministre adjoint à la
défense, Vitaly Shlykov, déclarait : "Nous avons une compréhension
complètement déformée du professionnalisme militaire.
Par M K Bhadrakumar
Asia Times Online, le 11 juin 2007
article original : "Turkey not done with the Kurds"
"Tout d'abord, le professionnalisme dans les forces armées signifie une
éducation solide en sciences humaines," expliquait Shlykov. Un bon
soldat doit avoir de bonnes bases dans "les disciplines purement
civiles, les langues étrangères et l'histoire, ainsi que la tactique".
Shlykov aurait pu tout aussi bien
décrire le rôle modèle des Pachas turcs. Selon le point de référence de
Shlykov, le corps des officiers des forces armées turques est hautement
professionnel. C'est ce qui maintient la communauté internationale dans
le brouillard à propos des intentions de l'Armée Turque concernant le
Nord de l'Irak.
Ce n'est pas seulement pour des
raisons de sécurité que l'armée turque pourrait décider de se déplacer
à l'intérieur du Nord de l'Irak à la poursuite des terroristes kurdes
opérant depuis cette région. Les Pachas connaissent la Mésopotamie et
son histoire, les Kurdes et leur passé violent, les montagnes
enchevêtrées du Kurdistan et la géopolitique compliquée de la Turquie.
Ils agiront avec prudence.
Mais ils savent aussi que chaque chose
vient en son temps. Ils savent qu'un gouvernement du même avis qu'eux à
Ankara est un préalable. Vendredi dernier, l'état-major turc a fait une
déclaration incroyable appelant visiblement les gens à descendre
massivement dans la rue et à se rassembler autour de la question du
terrorisme en Turquie. Ils ont déclaré : "Les Forces Armées Turques
espèrent que la nation turque montrera massivement son réflexe à
résister à ces actes terroristes."
Cette déclaration condamnait les
détracteurs du "Kémalisme", qui comprennent des supporters du parti
pro-islamique au pouvoir, l'AKP [Parti de la Justice et du
Développement]. "La Turquie a été sujette à l'opinion selon laquelle sa
structure nationale et unitaire était dépassée. Notre nation doit avoir
conscience que cette approche dangereuse. Il est évident que les actes
croissants de terreur sont les signes clairs de telles idées et des
mentalités dénaturées de ceux qui soutiennent directement ou
indirectement ces idées", disait cette déclaration.
L'armée espère que les gens
descendront dans la rue, exactement comme ils l'ont fait dernièrement
sous la bannière de la "laïcité", et qu'ils manifesteront contre le
gouvernement. Un jeu du chat et de la souris est en cours. L'armée dit
qu'elle est prête à agir contre les terroristes kurdes basés au Nord de
l'Irak. Le gouvernement le dit et l'armée parle d'une seule voix. Mais
l'armée dit qu'elle a besoin de l'approbation du gouvernement pour
traverser la frontière au Nord de l'Irak et le gouvernement dit qu'une
telle approbation fera suite à une requête écrite de la part de
l'armée.
Entre temps, la déclaration de
vendredi de l'armée germe dans l'opinion populaire. L'Assemblée est en
vacances parlementaires, alors que la Turquie se prépare à voter le 22
juillet. Le gouvernement dit n'avoir aucun projet de convoquer le
Parlement, tandis que la constitution requiert l'approbation du
parlement pour toute opération militaire en sol étranger.
L'AKP espère remporter un nouveau
mandat pour former le gouvernement. Le camp "Kémaliste" semble fade et
l'opposition de droite est toujours en désordre. Sauf si les sentiments
nationalistes montent à leur paroxysme, la plate-forme de l'AKP, basée
sur l'idéologie, semble plaire à l'électorat. La déclaration militaire
de vendredi dernier fait monter les enchères. L'AKP ne peut pas
hypothéquer le soutien occidental en ordonnant à l'armée de pénétrer en
Irak.
Les exigences politiques nécessitent
que l'AKP s'assure que les "Kémalistes" ne conduisent pas la vague
nationaliste, particulièrement la vague énorme d' "anti-américanisme".
Le dirigeant de l'AKP, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, doit
réitérer son engagement à combattre le terrorisme et exiger que les
Etats-Unis agissent contre le terrorisme kurde qui ensanglante la
Turquie. La vérité c'est que toute opération militaire turque en Irak
semble improbable avant le scrutin législatif. La consolidation du
pouvoir politique à Ankara est, pour le moment, la priorité numéro un
de tous les protagonistes.
Cependant, il y a un danger inhérent à
ce que la force des événements sur le terrain puisse dépasser les
politiques. Il y a assurément une nouvelle situation sur le terrain.
Une vague terroriste kurde, qui rappelle l'ampleur de la violence d'il
y a 10 ans, est à nouveau en train de balayer la Turquie. L'armée
turque est victime de nombreuses pertes. Les sentiments populaires sont
très forts dans toute l'Anatolie et une colère extrême monte au sein de
l'armée turque.
D'un autre côté, que peut faire
l'armée ? Elle pourrait lancer des attaques à l'intérieur de l'Irak,
lors de "poursuites à chaud", qui ne seraient pas des opérations
militaires de grande envergure. Mais ceci a déjà lieu. Chaque année,
avec la venue du printemps, lorsque commencent les mouvements
transfrontaliers du PKK (le Parti des Travailleurs Kurdes), la
concentration de soldats turcs dans les zones frontalières est une
caractéristique récurrente. Cette année, depuis avril, la région
frontalière a été déclarée zone spéciale de sécurité. L'artillerie
turque a régulièrement pilonné les positions suspectes des guérilleros
du PKK à l'intérieur de l'Irak et l'armée de l'air a mené des missions
de reconnaissance. Des missions pas si rares de "poursuite à chaud"
sont entreprises.
Mer 20 Juin - 16:46 par Tite Prout