Géopolitique et stratégie
La poudrière du Moyen-Orient
Les éditions Écosociété viennent de publier (2e trimestre 2007) La
poudrière du Moyen-Orient, Washington joue avec le feu de Gilbert
Achcar et Noam Chomsky. Voici un extrait qui montre l'importance de cet
ouvrage.
Par l'aut'journal
CHOMSKY : Un Réseau asiatique pour la sécurité énergétique est
actuellement en formation. Il s'articule essentiellement autour de la
Chine et de la Russie; l'Inde et la Corée du Sud vont vraisemblablement
s'y joindre et peut-être le Japon, bien que ce dernier soit ambivalent.
Il s'agit d'une tentative de mettre sur
pied un vaste système de contrôle systématique des ressources
énergétiques de cette énorme région asiatique. Car celle-ci dispose
elle-même de ressources considérables, particulièrement en Sibérie.
Ces pays aimeraient que l'Iran se joigne à eux. Or, il est tout à fait
possible que celui-ci – s'il en vient à la conclusion que l'Europe
occidentale est trop inféodée aux États-Unis pour pouvoir agir
indépendamment – renonce à l'Occident et se tourne vers l'Est pour se
joindre à ce Réseau, dont il deviendrait une des clés de voûte. Cela
serait un cauchemar pour les États-Unis.
Il est frappant de constater que
l'Inde, bien qu'elle déploie de gros efforts pour maintenir sa nouvelle
alliance avec les États-Unis, semble néanmoins avoir enfreint les
ordres des États-Unis concernant un pipe-line vers l'Iran. En effet,
les États-Unis ont tenté avec acharnement de pousser l'Inde à renoncer
à ce pipeline, mais elle a tout simplement refusé d'obtempérer. Là
encore, il s'agit d'une tentative visant à l'indépendance énergétique.
Un tabou presque religieux
Soit dit au passage, ce tabou qui interdit de faire état, aux
États-Unis et en Grande-Bretagne, du pétrole irakien – on a presque
affaire à un tabou religieux – engendre une très curieuse situation
quant à tout le débat autour du retrait de l'Irak.
De part et d'autre de l'éventail
politique, de la gauche à la droite, quand on discute d'un éventuel
retrait états-unien, on évite d'aborder la question des incidences en
matière pétrolière. Or, pour les planificateurs états-uniens, cette
question est forcément d'importance cruciale car, pour eux, se retirer
de l'Irak sans y laisser un État inféodé serait une catastrophe
absolue.
Ils perdraient leur position dans le
monde. Imaginez ce qu'un Irak indépendant serait susceptible de faire.
Qu'il soit démocratique ou non, il aura une majorité chiite, laquelle
sera influente, voire vraisemblablement dominante. Celle-ci a des liens
avec l'Iran. L'ayatollah Ali al-Sistani, le plus éminent religieux
chiite, y est né; la brigade Badr, la milice qui contrôle pour
l'essentiel le sud de l'Irak, y a été formée. Et ces relations
s'intensifient. L'Irak chiite et l'Iran chiite ont déjà des rapports
amicaux. Il y a en outre une importante population chiite en Arabie
saoudite, tout juste de l'autre côté de la frontière, qui a été
brutalement opprimée par la monarchie. Or, il se trouve que c'est là
qu'est situé l'essentiel du pétrole saoudien.
Un Irak indépendant dominé par les
chiites encouragera certainement les initiatives autonomistes dans les
régions chiites d'Arabie saoudite, en alliance avec l'Iran. Pensez
seulement à ce que cela signifie : les principales réserves pétrolières
du monde seraient en fin de compte hors du contrôle des Etats-Unis –
voire, pire encore, elles seraient peut-être assujetties à un Réseau
asiatique pour la sécurité énergétique dont le cœur serait la Chine.
Vous ne pouvez imaginer pire cauchemar pour Washington. Le fait qu'on
n'aborde même pas le sujet dans toutes ces discussions sur le retrait
de l'Irak est un cas époustouflant de cécité commandée par l'idéologie.
La poudrière du Moyen-Orient
Washington joue avec le feu
Par Gilbert Achcar et Noam Chomsky
Écosociété, 2007, 371 pages
Mardi 19 Juin 2007
danyquirion@videotron.ca