Un doctrine stratégique expansionnisteEn dépit de l’évolution rapide du contexte stratégique et le passage à un impérialisme plus affiché dans les années récentes, il y existe une cohérence dans la doctrine stratégique impériale des Etats-Unis qui découle d’un large consensus au sommet du pouvoir états-unien sur l’idée que les Etats-Unis doivent rechercher la « suprématie mondiale », comme l’exprime Zbigniew Brzezinski, l’ancien conseiller à la sécurité nationale du Jimmy Carter.20
Le rapport de 2006 du Conseil des Relations Extérieures intitulé « More Than Humanitarianism » président qui soutient l’extension de la doctrine stratégique des Etats-Unis pour y intégrer l’Afrique, fût co-présidé par Anthony Lake, Conseiller à la sécurité nationale de Clinton entre 1993 et 1997, et Christine Todd Whitman, ancienne directrice de l’Agence de Protection de l’Environnement sous le président Bush. En tant que Conseiller à la sécurité nationale de Clinton, Lake a joué un rôle majeur dans la définition de la doctrine stratégique au sein de l’administration Clinton. Dans un discours intitulé « From Containment to Enlargement » (de la politique de Containment à la politique d’Expansion), tenu à l’Ecole des Etudes Internationales Avancées de l’université John Hopkins en septembre 2003, Lake déclara qu’avec l’effondrement de l’Union soviétique, les Etats-Unis étaient la «puissance dominante » dans le monde … » nous possédons l’armée la plus puissante du monde, notre économie est la plus forte du monde et notre société est la plus dynamique et multiethnique… Nous avons contenu une menace mondiale contre les démocraties de marché. Maintenant nous devons chercher à étendre notre influence. La doctrine qui doit succéder à celle du Containment est celle de l’Expansion. » En clair cela signifie une expansion de la sphère du capitalisme mondial sous le parapluie militaro-stratégique des Etats-Unis. Les principaux ennemis de ce nouvel ordre mondial furent désignées par Lake sous le nom «d’états de la réaction » (Basklash States). L’insistance de Lake, au début de l’ère Clinton, sur une doctrine stratégique d’éxpansion pour les Etats-Unis se concrétise aujourd’hui à travers l’accroissement du rôle de l’armée des Etats-Unis, non seulement en Asie Centrale et au Moyen-Orient, mais également en Afrique. 21
La doctrine stratégique impériale des Etats-Unis est moins un produit des politiques élaborées à Washington par l’un ou l’autre des courants de la classe dirigeante qu’un résultat inévitable de la position de pouvoir dans laquelle se trouve le capitalisme états-unien au début du 21e siècle. La puissance économique des Etats-Unis (et celle de ses alliés les plus proches) subit un recul relativement régulier. Dans vingt ans, les grandes puissances n’auront probablement pas la même position économique les unes par rapport aux autres. En même temps, la puissance militaire des Etats-Unis dans le monde s’est trouvée relativement accrue suite à la disparition de l’Union soviétique. Les Etats-Unis représente maintenant environ la moitié des dépenses militaires dans le monde – soit le double ou plus de sa part dans la production mondiale.
L’objectif de la nouvelle doctrine impériale des Etats-Unis est de mettre à profit cette puissance militaire sans précédent pour empêcher l’émergence de forces historiques en créant une sphère de domination s’étendant dans tous les domaines et si vaste, car intégrant maintenant chaque continent, qu’aucun rival potentiel ne sera capable de défier les Etats-Unis au cours des décennies qui suivront. Il s’agit d’une guerre contre les peuples de la périphérie du monde capitaliste et pour l’expansion du capitalisme mondial, du capitalisme états-unien en particulier. Mais c’est aussi une guerre pour assurer un « Nouveau Siècle Usaméricain » dans lequel les nations du tiers-monde sont considérées comme des « actifs stratégiques » dans le cadre d’une lutte géopolitique au niveau mondial.
Les leçons apportées par l’histoire sont claires: les tentatives pour parvenir à la domination mondiale par les moyens militaires, bien qu’inévitables dans le système capitaliste, sont destinées à l’échec et ne peuvent conduire qu’à de nouvelles guerres plus importantes. Il est de la responsabilité de ceux qui s’engagent pour la paix dans le monde de résister à la nouvelle doctrine stratégique impériale des Etats-Unis en remettant en question l’impérialisme et ses racines économiques : le capitalisme lui-même.
Notes
1. Les vues de Haass sont examinées dans ‘article de John Bellamy Foster, “‘Imperial America’ and War,” Monthly Review 55, no. 1 (May 2003): 1–10; Project for the New American Century, Rebuilding America’s Defenses (September 2000),
http://www.newamericancentury.org/.
2. Stephen Peter Rosen, “The Future of War and the American Military,” Harvard Magazine 104, no. 5 (May–June 2002): 29–31.
3. John Lewis Gaddis, “A Grand Strategy of Transformation,” Foreign Policy (November/December 2002): 50–57.
4. Clausewitz cité par Paul Kennedy, ed., dans : Grand Strategies in War and Peace (New Haven: Yale University Press, 1991), 1.
5. Edwin R. Earle, ed., Makers of Modern Strategy (Princeton: Princeton University Press, 1948); B. H. Liddel Hart, Strategy (New York: Praeger, 1967); Kennedy, ed., Grand Strategies, 1–4.
6. James J. Hentz, ed., The Obligation of Empire: United States’ Grand Strategy for a New Century (Lexington, Kentucky: University of Kentucky Press, 2004).
7. Ivo H. Daalder & James M. Lindsay, America Unbound (Hoboken, New Jersey: John Wiley and Sons, 2005), 4–5, 40–41, 194.
8. V. I. Lenin, Imperialism, the Highest Stage of Capitalism (New York: International Publishers, 1939), 119.
9. Richard B. Du Boff, “U.S Empire,” Monthly Review 55, no. 7 (December 2003): 1–2; Dominic Wilson & Roopa Purshothaman, “Dreaming with BRICs,” Goldman Sachs Global Economics Paper, no. 99 (October 1, 2003), 4, http://www.gs.com/
10. Robert J. Art, A Grand Strategy for America (Ithaca: Cornell University Press, 2003), 1–11.
11. Noam Chomsky, Failed States (New York: Metropolitan Books, 2006), 254–55; Lutz Kleveman, The New Great Game (New York: Grove Press, 2004).
12. Cf. Pierre Abramovici, “United States: The New Scramble for Africa,” Le Monde Diplomatique (Engish edition), July 2004; “Revealed: The New Scramble for Africa,” The Guardian, June 1, 2005.
13. Fred Kempe, “Africa Emerges as a Strategic Battlefield,” Wall Street Journal, April 25, 2006.
14. Council on Foreign Relations, More Than Humanitarianism: A Strategic U.S. Approach Toward Africa, 2006, xiii.
15. Council on Foreign Relations, More Than Humanitarianism, 59.
16. Center for Strategic and International Studies, A Strategic U.S. Approach to Governance and Security in the Gulf of Guinea, July 2005, 3.
17. Council on Foreign Relations, More Than Humanitarianism, 24, 133; Jeffrey Taylor, “Worse Than Iraq?,” Atlantic, April 2006, 33–34.
18. Council on Foreign Relations, More Than Humanitarianism, 40.
19. Council on Foreign Relations, More Than Humanitarianism, 52–53, 131.
20. Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard New York: Basic Books, 1997), 3.
21. Anthony Lake, “From Containment to Enlargement,” speech to School of Advanced International Studies, Johns Hopkins University, September 21, 2003,
http://www.mtholyoke.ed/.