Claude BOURGUIGNON Microbiologiste des Sols lundi 23 juin 2003
A
ce stade de la complexité des questions soulevées par notre rapport
actuel à l’environnement, à l’Agriculture, il est utile d’écouter
maintenant ce que Claude Bourguignon nous expliqua en 1991, lors d’une
rencontre-entretien réenrichie en 1994.
Claude Bourguignon est docteur es-sciences, directeur
du Laboratoire d’Analyse Microbiologique des sols (analyse sur le
terrain et au laboratoire, sur le plan chimique et biologique des sols
agricoles afin d’aider les agriculteurs dans leur gestion sol en
France, en Europe, en Amérique et en Afrique), ingénieur agronome (INA
PG), membre de la Société d’Ecologie, membre de la Société Américaine
de Microbiologie, enseignant à la première Chaire Française de
Pédologie et de Microbiologie du sol (Beaujeu), auteur du livre : "Le
sol, la terre et les champs" (Ed. La Manufacture/Sang de la Terre.
1989.), expert du sol auprès de la CEE. Le passage constant du terrain
au laboratoire, de la politique au fondamental, lui permet d’avoir une
approche globale du sol.
En tant que spécialiste de la vie des sols, pouvez-vous estimer le
pourcentage des sols de France atteints par la pollution (et dans
quelle proportion) ? Claude Bourguignon :
10% des sols sont pollués par des métaux lourds. 60% sont frappés
d’érosion. 90% ont une activité biologique trop faible et en
particulier un taux de champignons trop bas. Idem dans le monde. De
plus le phénomène de fatigue des sols (chute de rendements) se fait
sentir en maraîchage et en culture betteravière.
Qu’est-ce que c’est pour vous, un sol ? C. Bourguignon :Le sol est une matière vivante complexe, plus complexe encore que l’eau
ou l’atmosphère qui sont des milieux relativement simples. Vous savez,
le sol est un milieu minoritaire sur notre planète : il n’a que 30
centimètres d’épaisseur en moyenne. C’est le seul milieu qui provienne
de la fusion du monde minéral des roches-mères et du monde organique de
la surface - les humus. Je vais être obligé d’être un peu technique
pour vous expliquer...
Sur trente centimêtres d’épaisseur, le sol héberge 8O %
de la biomasse vivante du globe. Et dans ce sol, très mince, il y a
beaucoup plus d’êtres vivants que sur le reste de la surface de la
terre. Cela ne se voit pas. C’est un monde microbien que l’on a
d’autant plus négligé qu’il ne coûte rien...Un énorme tabou pèse sur le
microbe. Il est extrement mal vu dans notre société. Il est source
centrale de mort dans la vision pasteurienne. Les microbes sont
fondamentaux pour la vie. Sans ces intermédiaires, les plantes ne
peuvent pas se nourrir. L’industrie de l’homme, dans son
fonctionnement, ne fait que copier le microbe. Le problème, c’est
l’énergie phénoménale que cela coûte. Les bactéries des sols fixent
l’azote de l’air pour faire des nitrates. Gratuitement ! L’homme, lui,
utilise 10 tonnes de pétrole pour fixer une tonne d’azote. Qu’il vend.
Cher. En oubliant de dire que les molécules chimiques ne fabriquent pas
un sol. C’est le paysan qui la fabrique de ses mains, ce sol. Alors
évidemment, l’industrie a eu intérêt à remplacer le modèle traditionnel
de l’agriculture Française... Et, lorsque j’ai mis au point ma méthode
de mesure de l’activité biologique des sols, je me suis rendu compte de
la réalité. Les agriculteurs biologiques ou biodynamiques ont des sols
beaucoup plus actifs que ceux qui travaillent en conventionnel. Des
sols vivants.
C’est le moment où vos ennuis commencent avec l’Inra ? Claude Bourguignon :Exactement. L’Inra a rejeté en bloc l’agriculture biologique,
bio-dynamique, sans l’avoir jamais étudiée ! C’est une faute
professionnelle grave de la part de cet Institut face à la déontologie
scientifique. C’est là où il a perdu sa liberté. Ce n’est plus
réellement un Institut d’état. C’est un Institut au service des grandes
entreprises marchandes d’engrais. Plus de la moitié des commandes de
thèses de l’Inra proviennent d’elles. Et il n’y a pas que l’Inra.
L’ensemble des instituts mondiaux se sont finalement laissés dominer
par les marchands. Mais cela ne veut pas dire que les chercheurs de
l’Inra soient heureux. Un certain nombre d’ailleurs le vivent mal...
Aujourd’hui, l’Inra prend peur parce que le monde agricole, entre
autres, lui réclame des comptes. Hier, les recherches favorisant
l’environnement n’étaient pas un créneau porteur. Aujourd’hui elles le
sont puisqu’il y a des budgets CEE et des marchés à saisir. Je pense
que dans dix ans l’Inra affirmera qu’il a toujours été pour
l’agriculture biologique. Dans trente ans, il rappellera qu’il a
toujours soutenu la bio-dynamie.
Et tant mieux. Ce sera la preuve que nous serons enfin parvenus à
travailler ensemble pour régler le vrai problème : la pollution de la
planète.
Quelle a été votre démarche au début de vos recherches ? Claude Bourguignon :
J’ai essayé de comprendre pourquoi certains sols étaient plus vivants
que d’autres. Cela varie en fonction des modes de cultures choisis.
Traditionnellement, on fertilisait le sol avec de l’humus, l’argile
était marnée et on utilisait un liant, le calcium souvent. On
mélangeait l’ensemble au compost que l’on répandait sur le sol. Les
engrais verts, eux, favorisaient les microbes minéralisateurs. Les
microbes "intermédiaires" vivants près des racines des plantes étaient
fertilisés par la rotation des espèces végétales cultivées. Enfin les
microbes vivants près des roches mères étaient stimulés par les roches
broyées. Aujourd’hui, ces étapes n’existent plus. On donne dans la
monoculture... On ne pratique plus la fertilisation. Ce mode de
production nie la vie microbienne. Et aujourd’hui, la production stagne
quand elle ne régresse pas. Mes relevés d’activité biologique indiquent
que les sols cultivés avec les engrais chimiques meurent, peu à peu.
Quelle est votre vision du rapport de l’homme à la terre, et à l’agriculture ? Claude Bourguignon :
L’agriculture est d’abord l’histoire tragique de 15 000 ans de famine.
Dans la période de la cueillette, l’homme respecte la terre comme sa
mère nourricière. Plus tard naît l’agriculture. Mais elle ne commence à
nourrir les hommes qu’au XVIIIe siècle. L’empire romain naît puis
disparaît, ses sols détruits. Cinq siècles plus tard, l’Europe s’unifie
sous Charlemagne et s’attaque alors à son grand bloc forestier à peu
près intact, de la Gaule à la Pologne. En peu de temps, 70 % des forêts
disparaissent... Des tas de manuscrits du début du XIVe siècle
décrivent des orages terrifiants venant de la mer, provoqués par la
disparition des forêts qui tamponnaient le climat. Au XVIIe siècle,
l’Europe sort de ce cauchemar écologique à travers la pratique du
labourage et du pasturage. On remplace les jachères par la culture des
légumineuses qui fixent l’azote. Chose que l’on ne savait pas à
l’époque. Cela donne un abondant fourrage qui va nourrir le bétail.
Mais il faut le garder pour qu’il cesse d’errer sur les terres
cultivées. Alors on invente la haie. Les haies ont un rôle remarquable
de rééquilibrage du climat. En fait, on crée la forêt maillée. Et de
ces bêtes immobilisées dans les champs on récupère les excréments qui,
mélangés à la paille des céréales, donnent le fumier. Ce fumier est
composté puis répandu sur les terres. C’est ce qu’on appelle
l’amendement de la terre. On cesse alors de mourir de faim en Europe.
Mais au me moment où l’on résout le problème écologique
en réintroduisant l’animal dans le système agricole, l’industrie arrive
et fout tout par terre. Aujourd’hui, nous perdons en moyenne 10 tonnes
de sol par hectare et par an. Les paysans Français utilisaient 120
millions de tonnes de fumier pour 30 millions d’hectares. 4 tonnes de
fumier par hectare donnent 2 tonnes d’humus. La tâche de liaison avec
l’argile est assurée. Les sols sont équilibrés et continuent à
s’améliorer au fil des ans.
Le sol est une matière vivante. Aujourd’hui nous
perdons en moyenne 10 tonnes de sol par hectare et par an. Vous faites
le calcul et dans trois siècles, c’est le Sahara. Il faut réagir
maintenant. La nature réagit très fortement. Ce n’est pas grave. Ce
n’est pas la fin du monde. Je ne crois pas aux fins du monde. Il y a
des civilisations qui naissent, atteignent leur apogée et meurent.
D’autres prennent la relève. Je crois que telle que cette civilisation
est structurée, elle sera incapable de faire face au problème numéro 1
qui est le problème de l’Environnement et de la Terre. Avant le
problème était celui des choix politiques, de l’homme, de l’existence
des classes sociales. Mais notre grand problème à nous est unique.
C’est la Terre. Et la civilisation ne change pas, me face à sa mort
prochaine.
Continuer à nier ce fait nous mène droit à la
catastrophe. L’agriculture écologique au plan mondial est la garantie
d’un rapport juste entre l’homme et son environnement, pour une
alimentation saine et une juste rétribution du travail de chacun. Et la
culture bio-dynamique, ça veut dire sauver les pays du Tiers-Monde de
la famine, oui les sauver !!! Mais actuellement, cela va trop vite. Un
Ministre de l’Environnement ne peut rien faire face à Rhône-Poulenc qui
cherche à vendre ses molécules de synthèse. Il faut les amortir. Dans
la recherche c’est très net. Vous êtes payés par des contrats. Imaginez
que j’aille chez Rhône-Poulenc pour leur dire : J’ai un projet de
recherches que j’aimerais que vous financiez et qui montre que vos
produits détruisent la vie des sols...Ils éclateraient de rire !!! Mais
s’ils connaissaient le coût réel de leur éclat de rire, ils
reprendraient leur sérieux et ils accepteraient tout de suite...
Un autre problème soulevé est la capacité de retraitement de l’azote industriel par l’activité microbienne du sol... CB : Le problème de la
circulation d’un élément dans le sol est lié à sa concentration. Si la
concentration d’un élément est très faible, par exemple s’il n’y a plus
d’azote dans les sols, la mobilité de l’élément sera surtout une
mobilité biologique c’est-à-dire que la Vie va se jeter dessus parce
qu’il est rare. La vie ne va surtout pas le laisser passer. Par contre,
si un élément devient très abondant, il y aura une mobilité physique
dominante, c’est- à dire qu’il peut suivre l’eau tout simplement. Parce
que la vie en a trop, elle ne va pas s’amuser à tout prendre ! Donc
elle laisse passer et l’environnement se trouve pollué. L’avantage du
microbe c’est qu’il travaille au fur et à mesure des besoins de la
plante puisqu’il travaille en me temps que la plante. Quand le sol est
sec les microbes s’arrêtent et les plantes ne pompent plus le sol.
Quand il fait trop froid, les microbes ne travaillent pas mais les
plantes ne poussent pas. Comme c’est un système vivant, que les
bactéries sont aussi des plantes, ils travaillent en symbiose totale.
L’homme de l’agriculture chimique met son azote à n’importe quelle
saison ; il ne le fractionne pas comme le microbe, donc il pollue. Ce
qui fait que, "curieusement", la grande majorité des agronomes ne
connaissent rien à la microbiologie des sols. Parce qu’il n’y a pas
d’enseignement. Il n’y a aucune chaire officielle de microbiologie des
sols en France depuis la disparition du secteur microbiologie des sols
de l’Institut Pasteur. l’Inra a confié son secteur à un professeur qui
s’intéressait surtout à la microbiologie industrielle qui est très à la
mode, d’où l’ignorance des agronomes en matière de cycles microbiens,
pour la plupart.
Pour eux, sans engrais chimiques, sans NPK, c’est la mort ... du sol !
Pour eux, le sol est d’ailleurs un simple support inerte sur lequel il
suffit de répandre des solutions chimiques magiques ! Alors que le
fondateur de l’agriculture chimique, Justus Van Liebig n’a jamais dit
ça. On a mal interprété ses paroles. Ses écrits ont été complètement
déformés par l’industrie des produits chimiques.
Liebig a montré sous quelles formes les plantes
absorbaient les éléments ; il a montré que la plante ne pouvait pas
prendre l’azote autrement que sous la forme nitrates, forme fabriquée
par les microbes. Il n’a jamais dit qu’il fallait mettre des nitrates
dans les sols. Il a montré que la plante attendait que les microbes
aient fabriqué des nitrates pour les prendre. Il a montré qu’elle
attendait la forme phosphate, sulfate. Les plantes attendent toujours
des formes électronégatives et cela, pour des problèmes de stratégie
d’absorption. Contrairement à nous, le gros ennui de la plante c’est
qu’elle se nourrit d’un support d’origine minérale où domine
essentiellement la silice (56% des roches mères), le fer, l’aluminium.
La plante, elle, est très pauvre en fer, en silice et en aluminium. Par
contre la plante est riche en azote, en phosphore et en sulfate,
éléments qui manquent dans la terre. La plante est donc obligée de
développer une stratégie très astucieuse d’absorption, "l’absorption
active". Elle ne peut se laisser traverser par les lois de la chimie
qui disent que toute substance tend à s’égaliser de part et d’autre
d’une membrane vivante. Si la plante se laissait faire par cette loi
là, elle aurait la meme concentration que le sol. Ce qui n’est pas du
tout le cas.
Alors comment fait-elle ? Elle utilise un système d’une
remarquable intelligence, système utilisé d’ailleurs par l’ensemble de
la vie dès qu’il y a des problèmes d’échange électrique à opérer. La
première série des éléments du tableau de Mendeleieff sont ce qu’on
appelle les cations monoatomiques. Ce sont des atomes qui sont porteurs
d’une charge positive. Ces éléments ne sont jamais constitutifs du
matériel vivant sauf l’hydrogène qu’on met en dehors du tableau de
Mendeleieff parce qu’il possède un comportement très spécial.
Lun 11 Juin - 22:28 par mihou