Le Darfour ? C'est une affaire de pétrole, idiot... Chine et USA engagés dans une nouvelle guerre froide pour l’or noir africain F. William Engdahl
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Durant la campagne électorale de 1992 aux USA, un certain William
Jefferson Clinton, alors inconnu, avait lancé au président d’alors
George Herbert Bush : « C’est l'économie, idiot ». On pourrait
paraphraser aujourd’hui ce trait d’esprit. En effet, à y regarder de
plus près, les préoccupations de l’actuelle administration de
Washington sur le Darfour au Soudan méridional ne relèvent pas d’une
inquiétude authentique sur un génocide contre les peuples de la partie
la plus pauvre d’entre les plus pauvres de cette région abandonnée de
l’Afrique. Non. « C’est le pétrole, idiot. »
31st May 2007
www.mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=ENG20070531&articleId=5829|Mondialisation.ca
Ce constat a une forte dimension de cynisme, si on considère que la
même administration washingtonienne n’a eu aucun scrupule face au
génocide qu’elle a organisé en Irak, dans le but de s’assurer l’accès
aux énormes gisements pétroliers de ce pays. Qu’est-ce qui est donc en
jeu dans la bataille du Darfour ? Le contrôle du pétrole, des tas et
des tas de pétrole.
Le cas de Darfour, un immense territoire desséché par le soleil au
sud du Soudan, illustre la nouvelle guerre froide pour le pétrole, où
l’augmentation dramatique de la demande de pétrole de la Chine pour
alimenter sa croissance explosive a amené Pékin à s'embarquer dans une
politique agressive fondée- ironiquement – sur une diplomatie du
dollar. Avec ses réserves, principalement en dollars, de plus de 1.3
billions de $, dans principalement des réservations du dollar d'USA à
la Banque nationale populaire de Chine, Pékin s'engage dans une
géopolitique active du pétrole. L'Afrique est son principal territoire
de chasse, et en Afrique, la région centrale entre le Soudan et le
Tchad est une priorité. Ceci définit un nouveau front important dans ce
qui, depuis l'invasion par les USA de l'Irak en 2003, est une nouvelle
guerre froide entre Washington et Pékin pour le contrôle des sources
principales de pétrole. Jusqu'ici Pékin a joué un peu plus habilement
que Washington. Le Darfour est un champ de bataille majeur dans cette
compétition à forts enjeux pour le contrôle du pétrole.
La diplomatie pétrolière de la Chine
Ces derniers mois, Pékin s'est embarqué dans une série
d'initiatives destinées à lui assurer sur le long terme l’accès à des
sources de matières premières d'une des régions les plus fournies de la
planète - le sous-continent africain. Aucune matière première n'a une
priorité plus élevée pour Pékin actuellement que le pétrole dont elle
veut s’assurer l’approvisionnement à long terme.
Aujourd'hui la Chine tire environ 30% de son pétrole brut
d'Afrique. Cela explique une série extraordinaire d'initiatives
diplomatiques qui ont rendu Washington furieux. La Chine utilise des
crédits sans conditions en dollars pour accéder aux vastes richesses en
matières premières de l'Afrique, ce qui met hors jeu le jeu classique
du contrôle exercé par Washington via la Banque mondiale et le FMI. Qui
a besoin de la médecine douloureuse du FMI quand la Chine offre des
conditions avantageuses et, par-dessus le marché, construit des routes et des écoles?
En novembre 2006 Pékin a accueilli un sommet extraordinaire de 40
chefs d'État africains. Elle a littéralement déployé le tapis rouge
pour les dirigeants entre autres de l'Algérie, du Nigeria, du Mali, de
l’Angola, de la République centrafricaine, de la Zambie et de l’Afrique
Du sud.
La Chine vent de conclure un deal pétrolier avec deux des plus
grandes nations du continent - le Nigeria et l’Afrique du sud. La CNPC
(China National Petroleum Corporation - Compagnie nationale pétrolière
de Chine) importera du pétrole du Nigeria, par le biais d'un consortium
qui inclut également la South African Petroleum Co., ce qui permettra à
la Chine d’obtenir de l’ordre de 175.000 barils par jour en 2008. C'est
une affaire 2.27 milliards de $ qui donne à la CNPC – société d’État –
45% de la production d’un vaste champ pétrolier off shore nigérian. .
Jusqu’ici, le Nigeria avait été considéré à Washington comme une chasse
gardée des majors anglo-usaméricaines, ExxonMobil, Shell et Chevron.
La Chine a distribué généreusement des prêts souples, sans intérêts
ni garanties, à certains des États débiteurs les plus pauvres de
l'Afrique. Les prêts sont allés à des travaux d’infrastructures -
routes, hôpitaux, et écoles -, contrastant fortement avec les demandes
brutales d'austérité de la Banque mondiale et du FMI. En 2006 la Chine
a fourni plus de 8 milliards de $au Nigeria, à l’Angola et au
Mozambique, contre 2.3 milliards pour toute l'Afrique subsaharienne de
la Banque mondiale. Le Ghana est en train de négocier un prêt chinois
pour l’électrification du Chinois de 1.2 milliards de $. À la
différence de la Banque mondiale, qui est de facto un bras de politique
économique étrangère des USA, Chine n'attache astucieusement aucune
condition à ses prêts.
Cette diplomatie chinoise liée au pétrole a conduit Washington à
lancer l’accusation loufoque que Pékin essaye de « s’assurer les
sources pétrolières », ce qui a été un objectif de la politique
qu'étrangère de Washington depuis au moins un siècle.
Aucune source de pétrole n'a été plus au centre du conflit pétrolier Chine-USA que le Soudan, où se trouve le Darfour.
La richesse pétrolière du Soudan
La China National Petroleum Company, est le plus grand investisseur
étranger au Soudan, avec environ 5 milliards de $ dans le développement
des champs pétroliers. Depuis 1999 la Chine a investi au moins 15
milliards de $ au Soudan. Elle possède 50% d'une raffinerie de pétrole
près de Khartoum avec le gouvernement du Soudan. Les gisements de
pétrole (voir la carte) sont concentrés dans le sud, théâtre d'une
guerre civile qui mijote depuis longtemps, financée en partie
secrètement par les USA, pour arracher le sud au nord islamique de
Khartoum..
La CNPC a construit un pipe-line de ses blocs de concession 1, 2 et
4 au Soudan méridional, vers un nouveau terminal à Port-Soudan sur la
Mer rouge où le pétrole est chargé sur des tankers pour la Chine. Huit
pour cent de pétrole consommé par la Chine viennent maintenant du
Soudan méridional. La Chine prélève de 65% à 80% des 500.000
barils/jour produits par le Soudan. Le Soudan était cette année la
quatrième source étrangère du pétrole pour la Chine. En 2006 la Chine a
pris la place du Japon comme second importateur mondial par ordre
d’importance après les USA, important 6.5 millions de barils par jour
d'or noir. Avec une demande de pétrole augmentant d'environ 30% par an,
la Chine dépassera les USA dans la demande d'importation de pétrole
dans quelques années. Cette réalité est le moteur de la politique
étrangère de Pékin en Afrique.
Un regard sur les concessions pétrolières du Soudan méridional
montre que la CNPC détient des droits sur le bloc 6 qui chevauche le
Darfour, près de la frontière avec le Tchad et la République
centrafricaine. En avril 2005 le gouvernement soudanais annonçait avoir
trouvé du pétrole au Sud-Darfour, où l’on estime que pourraient être
pompés 500 0000 barils/jour. La presse mondiale a oublié ce fait vital
lorsqu’elle parle du conflit au Darfour.
De l’usage du génocide pour militariser la région pétrolière du Soudan
Le thème préféré de cette presse est le génocide et Washington est
le chef d'orchestre. Curieusement, alors que tous les observateurs
reconnaissent que le Darfour a connu de grands déplacements humains et
une misère et des dizaines humaines de milliers ou même pas moins que
300.000 morts au cours de ces dernières années, seuls Washington et les
ONG qui lui sont proches utilisent le terme chargé de "génocide" pour
parler du Darfour. S'ils peuvent faire endosser l’accusation de
génocide par une large opinion, cela ouvre la possibilité d’une
intervention musclée de l’OTAN et de fait de Washington, dans les
affaires internes du Soudan, en faveur d’un "changement de régime".
Le thème du génocide a été utilisé, avec le soutien total de
Hollywood et de stars comme George Clooney, pour orchestrer l’affaire
vers une occupation de fait de la région par l’OTAN. Jusqu'ici le
gouvernement du Soudan a énergiquement refusé, ce qui n’est pas
surprenant.
Le gouvernement US évoque répétitivement le "génocide" à propos du
Darfour. C'est le seul gouvernement à le faire. Secrétaire d'État
ajointe des Ellen Sauerbrey, chef du Bureau des populations, des
réfugiés et des migrations, a dit dans une interview en ligne d'USINFO
le 17 novembre dernier : « Le génocide en cours au Darfour, Soudan -
'une violation grossière ' des droits humains - est parmi les premiers
sujets internationaux de préoccupation des USA. » L'administration Bush
insiste à dire qu’un génocide est en cours au Darfour depuis 2003,
malgré le fait que une mission de cinq personnes de l'ONU, conduite par
le juge italien Cassese, ait relaté en 2004 qu’aucun génocide n'avait
été commis au Darfour, mais plutôt des violations graves des droits
humains. Ils ont réclamé des procès pour crimes de guerre.
Marchands de mort
Les USA, agissant par des alliés de substitution au Tchad et dans
les pays voisins ont entraîné et ont armé l'Armée de libération du
Peuple du Soudan (SPLA), dirigée jusqu'à sa mort en juillet 2005, par
John Garang, formé à l'École de forces spéciales US à Fort Benning, en
Géorgie.
En déversant des armes au sud-Soudan, dans l’est du pays, d’abord
puis, après la découverte de pétrole au Darfour, dans cette région
également, Washington a alimenté le conflit qui a causé des dizaines de
milliers de morts et a contrait plusieurs millions de personnes à fuir
leurs foyers. L’Érythrée accueille et soutient la SPLA, la coalition
d'opposition NDA ainsi que les rebelles du Front oriental et du
Darfour.
Deux groupes rebelles combattent au Darfour le gouvernement central
de Khartoum du président Omar Al Bashir – le Mouvement pour la justice
et l'égalité (JEM) et l'Armée de libération du Soudan (SLA), qui est
plus importante.
En février 2003 la SLA a lancé des attaques contre des positions
gouvernementales au Darfour. Son secrétaire général Minni Arkou Minnawi
a lancé un appel à la lutte armée, accusant le gouvernement d'ignorer
le Darfour. « L'objectif de la SLA est de créer un Soudan démocratique
uni. » Autrement dit un changement de régime au Soudan. Le Sénat des
USA a adopté une résolution en février 2006 demandant l’envoi de
troupes de l’OTAN au Darfour, ainsi qu’une force de maintien de la paix
de l’Onu plus consistante, avec un mandat solide. Un mois plus tard, le
Président Bush a également réclamé des troupes supplémentaires de
l’OTAN au Darfour. Ho Ho… Génocide ? Ou pétrole ?
Le Pentagone s’est démené pour former des officiers africains aux
USA, beaucoup comme il l’a fait pour les officiers latino-américains
pendant des décennies. Son Programme militaire international
d'éducation et de formation (IMET) a formé des officiers du Tchad,
d'Éthiopie, d’Érythrée, du Cameroun et de République centrafricaine,
tous les pays frontaliers du Soudan. Une grande partie des armes qui
ont servi aux tueries au Darfour et dans le Sud ont été apportés dedans
par d’obscurs "marchands privés de mort" privés et protégés, comme
Victor Bout, ancien agent opérationnel du KGB de notoriété publique,
qui a maintenant des bureaux aux USA. Bout a été cité à plusieurs
reprises ces dernières années comme vendeur d’armes à travers
l'Afrique. Les fonctionnaires de gouvernement des USA le laissent
curieusement mener ses opérations au Texas et en Floride en dépit du
fait qu'il est sur la liste des personnes recherchées par Interpol pour
blanchiment d'argent.
L'aide au développement des USA pour toute l’Afrique subsaharienne,
Tchad compris, a été fortement diminuée tandis que leur aide militaire
augmentait. Les raisons en sont le pétrole et la bousculade pour les
matières stratégiques. La région du sud-Soudan du Haut Nil aux
frontières du Tchad est riche en pétrole. Washington savait cela bien
avant le gouvernement soudanais.
Le projet pétrolier de Chevron de 1974
Les majors pétrolières US connaissaient la richesse pétrolière du
Soudan depuis le début des années 1970. En 1979, le président Jafaar
Nimeiry, rompait avec les Soviétiques et invitait Chevron à venir
exploiter le pétrole du Soudan. Ce fut peut-être une erreur fatale.
L’Ambassadeur auprès des Nations unies George H.W. Bush avait
personnellement parlé à Nimeiry des photos satellites indiquant des
gisements pétroliers au Soudan. Nimeiry a mordu à l’hameçon. La
conséquence en ont été les guerres pour le pétrole.
Lun 11 Juin - 17:24 par Tite Prout