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Le Devoir
ÉCONOMIE, mercredi 23 mai 2007, p. b1
Quelle délocalisation des emplois?
Desrosiers, Éric
On cherche encore la preuve d'une délocalisation des emplois dans le secteur des services du Canada vers les pays en voie de développement. Contrairement à la perception largement répandue, le pays aurait même plutôt eu tendance à bénéficier du phénomène jusqu'à présent, estime une étude de Statistique Canada.
Oubliez les centaines de milliers d'emplois de téléphonistes, de programmeurs ou de comptables que l'on déménagerait chaque année de Montréal et Toronto vers Bangalore, Shanghai ou Mexico, peut-on lire dans le rapport de recherche de 53 pages dévoilé hier et intitulé «La délocalisation et l'emploi au Canada, quelques points de repère». «Presque toutes les corrélations présentées dans cette étude pointent dans la même direction. Elles laissent entendre que, si la délocalisation a eu une incidence sur l'emploi au Canada jusqu'à présent, cette incidence est vraisemblablement relativement faible.»
Les auteurs de la recherche ont commencé par énumérer les types d'emploi de services les plus exposés à une éventuelle délocalisation. Ces emplois ont généralement quatre caractéristiques en commun, notent-ils. Ils ont recours de façon intensive aux ordinateurs, aux connexions Internet et autres technologies de l'information; ils sont liés à des produits faciles à envoyer par ces mêmes technologies; ils requièrent un contenu de connaissances hautement codifiable; ils ne requièrent aucun contact en personne. Environ la moitié de ces emplois sont ceux de professionnels très spécialisés, comme des ingénieurs, des architectes, des informaticiens, des traducteurs et même des journalistes. L'autre moitié est composée d'emplois de bureau moins qualifiés, tels que secrétaire, commis à la saisie de données et téléphoniste. À l'autre extrémité du spectre, les emplois rattachés au commerce de détail, aux services d'hébergement ou encore à la restauration apparaissent, de par leur nature même, presque totalement à l'abri.
Or, loin de se faire au détriment du Canada, le commerce dans les secteurs d'activité théoriquement les plus exposés semble, jusqu'à présent, avoir joué au contraire en sa faveur, ont constaté les chercheurs de Statistique Canada. Les exportations canadiennes dans les secteurs des services informatiques et des services d'information et autres services offerts aux entreprises ont totalisé, par exemple, 20 milliards en 2004, contre 18 milliards pour les importations. La presque totalité de ces services ont été vendus ou achetés aux États-Unis ou, dans une moindre mesure, dans d'autres pays de l'OCDE. L'Inde, la Chine et tous les autres pays pauvres réunis n'ont vendu au Canada en la matière que des services d'une valeur totale d'un milliard, alors qu'ils en ont acheté, en échange, pour 3,5 milliards.
La faute de l'Inde ou de l'ordinateur?
Loin de reculer, le nombre de professionnels dans les secteurs les plus théoriquement exposés au phénomène de délocalisation a augmenté au Canada 34 fois plus vite, de 1986 à 2006, que celui des professionnels censés être les moins menacés. Il est vrai aussi que les emplois de bureau les plus menacés ont quant à eux diminué de 10 % pendant la même période, ont constaté les auteurs de la recherche. Ce déclin s'est toutefois surtout fait sentir au tout début de cette période (1987-1994), à une époque où le recours à la délocalisation était «vraisemblablement négligeable». Un grand nombre de ces emplois ont également été perdus dans le secteur des services publics, ajoutent-ils, où l'on peut encore une fois douter du rôle des pays étrangers. Aussi «le piètre bilan au chapitre de l'emploi» dans ce secteur est-il probablement attribuable, selon Statistique Canada, «à d'autres facteurs, comme le progrès technologique qui a entraîné l'automatisation de tâches auparavant exécutées par les employés de bureau».
Mieux vaut néanmoins rester prudent, même si aucune preuve tangible n'a été trouvée sur la délocalisation dans les services, concluent les auteurs de la recherche. Près de 20 % de tous les emplois au Canada sont tout de même théoriquement exposés, dont une part importante sont occupés par des femmes (à cause des emplois de bureau) et plusieurs sont très bien payés (particulièrement ceux des professionnels). Certaines données analysées remontent au début des années 2000 et les choses peuvent avoir rapidement changé depuis. Il est possible, de plus, que des entreprises canadiennes aient établi à l'étranger des activités qui n'apparaissent pas dans les statistiques sur les importations et les exportations canadiennes mais qui n'en affecteraient pas moins le niveau d'emploi au Canada.
Illustration(s) :
Un ingénieur informatique effectue quelques vérifications sur un logiciel mis au point en Inde. Loin de reculer, le nombre de professionnels dans les secteurs les plus théoriquement exposés au phénomène de délocalisation a augmenté au Canada 34 fois plus vite, de 1986 à 2006, que celui des professionnels censés être les moins menacés.
Catégorie : Économie
Sujet(s) uniforme(s) : Internet, technologies de l'information et multimédia
Type(s) d'article : Article
Taille : Moyen, 584 mots
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Doc. : news·20070523·LE·144480