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Le Devoir

ÉDITORIAL, mardi 22 mai 2007, p. a6

Sarkozy à la manoeuvre

Truffaut, Serge

Décidément, Nicolas Sarkozy n'a pas son pareil pour
combiner la manoeuvre politicienne avec l'opportunisme le plus
rudimentaire qui soit. À preuve, la composition de son gouvernement.
Elle s'est articulée autour d'un objectif: mettre KO un Parti
socialiste passablement sonné et empêcher l'émergence d'un centre
autonome à la faveur des législatives de juin. Ce que veut le nouveau
président? Concentrer tous les pouvoirs.

Au siège du Parti socialiste, on grince des dents
lorsqu'on ne couvre pas de noms d'oiseaux les ex-camarades qui ont
rejoint le camp de Sarko. Pire, qui ont accepté des ministères. Car
outre la spectaculaire nomination de Bernard Kouchner (numéro un depuis
des années au hit-parade des politiciens les plus populaires de France)
aux Affaires étrangères, le président et le premier ministre, François
Fillon, ont décidé d'accorder trois secrétariats d'État à d'ex-élus du
PS ou à des mandarins proches de cette formation.

Jusqu'au soir du deuxième tour, cette bande des
quatre nouveau genre présentait le trait commun suivant: elle peinait à
cacher un sentiment de défiance à l'endroit de Ségolène Royal. Certains
allant jusqu'à militer pour une alliance avec l'UDF de François Bayrou
avant comme après le premier tour. On pense notamment à Jean-Pierre
Jouyet. Ex-directeur de cabinet de Lionel Jospin et proche de François
Hollande, il a cosigné avec d'autres hauts fonctionnaires nommés par
les socialistes une lettre proposant une telle alliance.

En associant certains bonzes du PS à la conduite des
affaires de l'État, Sarkozy chercher à attiser, à court terme, le feu
qui couve actuellement entre les éléphants de cette formation qui
jouent d'ailleurs leur partie comme s'il n'y avait pas de législatives.
Comme si la prochaine présidentielle avait lieu dans un an et non dans
cinq. Et d'une.

Et de deux, le PS mis à part, le président s'est
employé à rouler dans la farine les centristes qui avaient pourtant
rejoint son camp avant comme après la demi-finale électorale. Sur les
23 députés qui ont rejoint Sarkozy au lieu de coller et de participer
au défi que s'est posé Bayrou, à savoir la construction d'un centre
libéré de l'emprise qu'a l'UMP, un seul a hérité d'un ministère. Il
s'agit d'Hervé Morin nommé à la Défense. Soit dit en passant, les
Affaires étrangères et la Défense constituant le champ réservé du
président, ni Kouchner ni Morin ne bénéficieront d'une marge de
manoeuvre suffisante pour imprimer sur le cours des choses l'influence
qu'ils souhaiteraient. Et maintenant l'UMP.

À l'exception de Michèle Alliot-Marie et de
Jean-Louis Borloo, aucun des poids lourds du cabinet Villepin ne s'est
vu offrir de ministère. Qui plus est, en ce qui concerne ces deux
personnes, Sarkozy s'est attaché à ce qu'elles aient moins de pouvoirs
que leurs prédécesseurs. En clair, elles héritent de portefeuilles
amputés savamment afin de leur faire comprendre que les proches de
Chirac ou les sarkozystes tièdes sont sous surveillance. À la moindre
incartade, ou ce qui sera jugé comme tel par le grand chef, ce sera la
sanction.

En agissant comme il l'a fait, le président a
atteint un certain nombre d'objectifs. Tout d'abord, l'introduction de
quatre socialistes sur les dix-neuf postes disponibles lui permet de
gommer, en partie évidemment, l'image d'un chef de la droite dure. En
offrant le strict minimum aux élus de l'UDF, il leur envoie le message
suivant: c'est au cours des législatives que l'on va tester la solidité
de votre adhésion à ma personne. Enfin, à l'endroit de bien des députés
de son parti, et plus particulièrement ceux qui sont des sarkozystes
mous, le président signifie que, s'ils ne rentrent pas dans le rang,
s'ils se mettent à calculer comme lui-même, ils croupiront sur les
arrière-bancs pendant des lunes. Chirac était réputé pour être un tueur
auprès de qui Sarkozy a tout appris et... qui ne veut surtout pas que
l'histoire se répète.



Catégorie : Éditorial et opinions

Sujet(s) uniforme(s) : Politique extérieure et relations internationales; Chefs d'États et de gouvernements; Partis politiques; Élections

Type(s) d'article : Article

Taille : Moyen, 469 mots

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Doc. : news·20070522·LE·144333