Tite Prout Maître de Cérémonie du forum
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| | Canada : la saga constitutionnelle | |
Canada : la saga constitutionnelle Journaliste : Stéphane Bordeleau
Intégrateur : Luc Lavigne En 1981, l'histoire politique canadienne a connu un des moments les plus importants de son histoire : la Chambre des communes et le Sénat ont adopté une déclaration commune demandant à la reine Elizabeth II le rapatriement de la Constitution du Canada. Ce geste aussi symbolique que politique permettait au Canada d'accéder à sa pleine indépendance de la monarchie anglaise au terme d'une saga politique et juridique de 115 ans, dont les échos résonnent plus que jamais sur la scène politique aujourd'hui. La « question constitutionnelle », qui n'a jamais été tout à fait résolue, est devenue au fil des ans une arène où s'affrontent, en un perpétuel bras de fer, les forces de la diversité et de l'unité autour desquelles gravite la société canadienne. Voyons pourquoi... Qu'est-ce qu'une constitution? Par définition, une constitution est le fondement politique et juridique d’une nation. Elle fixe les principes et les buts communs auxquels aspire une société. C’est en quelque sorte les règles qui établissent et régissent les rapports entre une nation et ses gouvernants. La constitution désigne aussi les principales institutions politiques et juridiques d’un pays (Chambre des communes, Sénat, Cour suprême, législatures provinciales, etc.) ainsi que leur fonctionnement. Elle établit aussi les processus d’adoption et d’application des lois, le partage des pouvoirs entre les niveaux de gouvernement (fédéral, provincial), ainsi que la responsabilité des tribunaux et des institutions politiques envers les citoyens. À cela s’ajoutent toutes les lois à caractère constitutionnel qui contribuent à l’évolution de l'ensemble de la nation, comme la Loi sur les langues officielles. Les grands épisodes constitutionnels Avant 1982 (année du rapatriement officiel de la Constitution canadienne), les principes constitutionnels du Canada étaient contenus dans l’Acte de l'Amérique du Nord britannique (AANB), adopté par le Parlement de Londres en 1867, pour fonder un seul ensemble à partir de ses colonies britanniques d’Amérique du Nord. Bien qu’élaboré par les Pères de la Confédération canadienne, ce texte constitutionnel ne permettait pas aux Canadiens de modifier son contenu. Seul le Parlement britannique en avait le pouvoir, car les Pères n’arrivaient pas à s’entendre sur une formule de modification de l’Acte de 1867. On comprend ici que plus les années passaient et plus le besoin se faisait sentir pour les Canadiens de prendre en main leur destinée en tant que nation et ne plus devoir passer par Londres pour modifier et administrer leur propre cadre législatif et politique. L’histoire de la Constitution canadienne débute en 1864, à Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard. Des délégués de cette région, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et du Canada-Uni (Québec et Ontario) proposent, à l'initiative de Sir John A. Macdonald, d’unir les colonies britanniques d’Amérique du Nord en une fédération, c'est-à-dire de les regrouper en plaçant à leur tête un gouvernement central chargé d'administrer les affaires communes comme les frontières, la défense, les voies de communication, la monnaie, etc. Une seconde rencontre a lieu peu après à Québec : 72 résolutions, qui composent l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, sont adoptées par les délégués. En 1866, des délégués de la province du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick se rendent à Londres pour y rédiger le texte officiel de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qui instaurera la Confédération canadienne. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique En 1867, le Parlement britannique accède à la demande de ses colonies d’Amérique et adopte l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB). Les bases du Canada actuel sont jetées. Cet acte unit en une fédération les colonies du Canada-Uni (Québec et Ontario), le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. L’AANB dote du même coup le « dominion » d’un gouvernement fédéral et les colonies de législatures provinciales distinctes (partage des compétences et des pouvoirs). Les Pères de la Confédération avaient d'abord choisi le nom de « royaume du Canada » mais des réticences de Londres ont fait qu'ils ont plutôt opté pour le terme normand « dominion », qu'on trouve dans le Psaume 72 de la Bible : « Il dominera de la mer, du fleuve jusqu'aux bouts de la terre ». Toutefois, Londres conserve le droit exclusif de modifier les termes de l’Acte. Les provinces, quant à elles, obtiennent le droit de modifier leur propre cadre constitutionnel à l’exception des charges du lieutenant-gouverneur. Il s’agit là de la quatrième constitution pour les colonies d’Amérique du Nord après l’Acte de Québec (1774), l’Acte constitutionnel (1791) et l’Acte d’Union (1840). Pourquoi s'unir ainsi? À vrai dire, les colonies s’unissent pour se prémunir de l'influence néfaste qu'elles ont les unes sur les autres. En effet, la colonie francophone catholique du Bas-Canada (Québec) trouve dans ce système fédératif une protection contre la majorité anglophone protestante qui menaçe alors sa culture, sa langue, son système de droit civil, sa religion et son système d'éducation. Cette protection vient du fait que le système fédératif accorde aux colonies participantes une législature (parlement) et la reconnaissance de leurs différences. Ce furent les mêmes raisons qui poussèrent les anglophones protestants du Haut-Canada (Ontario) à adhérer à la fédération, car ils craignent, à l'inverse du Bas-Canada, une domination francophone de leurs institutions politiques et sociales. Quant aux colonies atlantiques, elles redoutent d'être absorbées par la province du Canada (Québec et Ontario), dans laquelle elles ne se reconnaissent pas. Par ailleurs, pour Londres et les autorités coloniales de l'époque, cette union constitue une protection efficace contre l'attraction économique des États-Unis et les visées expansionnistes des Américains sur le Canada. Dans les années qui suivirent la création de la Confédération canadienne, plusieurs autres colonies vinrent grossir les rangs du Canada. En 1870, le Parlement canadien crée la province du Manitoba. En 1871, la Colombie-Britannique se joint au Canada avec la promesse d'être reliée rapidement par un chemin de fer au reste du pays. Deux ans plus tard, en 1873, c'est au tour de l'Île-du-Prince-Édouard de s'unir au Canada, puis, en 1875, le Parlement adopte la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest. En 1880, le Canada obtient de Londres la propriété de l'Arctique. Le Yukon devient territoire autonome en 1898, tandis que les provinces de la Saskatchewan et de l'Alberta sont créées par le Parlement canadien en 1905. Terre-Neuve complétera le tableau en 1949. La déclaration de Balfour Dans les années qui précèdent la Première Guerre mondiale, le Canada s'affirme de plus en plus en tant que nation et prend sa place sur la scène internationale en se dotant d'un ministère des Affaires extérieures, en refusant de participer à des guerres coloniales dans lesquelles est engagé l'Empire britannique et, surtout, en devenant membre, en 1919, de la Société des Nations et de l'Organisation internationale du travail. En 1926, les membres de la Conférence de l'Empire adoptent la déclaration de Balfour, qui consacre l'autonomie des dominions britanniques (Canada, Terre-Neuve, Australie, Afrique du Sud, Irlande et Nouvelle-Zélande ) et qui abolit du même coup toute subordination de ces derniers à la Grande-Bretagne. Forts de cette reconnaissance, les parlementaires canadiens résolurent en 1927, à l’instigation du ministre de la Justice du Canada, Ernest Lapointe, de rapatrier la Constitution pour pouvoir la modifier sans le consentement de Londres. Commence alors une longue querelle politique et juridique qui durera 55 ans avant que les gouvernements fédéral et provinciaux (sauf le Québec) s'entendent enfin sur une procédure acceptable de rapatriement et d’amendement de la Constitution. Les Statuts de Westminster Le 11 décembre 1931, l'autonomie des dominions est officiellement consacrée par les Statuts de Westminster. Ce qui signifie que Londres rend à ses dominions les pouvoirs relatifs à leur constitution et à la modification des lois britanniques qui les régissaient auparavant. Mais au Canada, après l'échec d'une deuxième conférence fédérale-provinciale sur l'élaboration d'une formule d'amendement, le gouvernement du Canada demande à ce que sa constitution fasse exception à ce statut et que Londres conserve le pouvoir de la modifier en attendant un accord. En 1935, une troisième conférence échoue. Les représentants des provinces et du fédéral sont toujours incapables de s'entendre. Ils le seront pour très longtemps encore. En 1949, le Parlement du Canada procède à un rapatriement partiel de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui permet de modifier la Constitution canadienne en ce qui a trait aux questions internes, mais qui laisse à Londres son droit de regard sur les modifications fondamentales. De plus, la Cour suprême du Canada devient le plus haut tribunal du pays et est déclarée apte à trancher les contentieux constitutionnels au Canada en lieu et place du Comité judiciaire du Conseil privé. D'échec en échec De 1960 à 1978, le Canada connaît une série de rencontres constitutionnelles et de tentatives de toutes sortes pour en arriver à une procédure de rapatriement et à une formule d'amendement. Toutes seront des échecs. Il y aura, en 1961, la formule Fulton-Favreau, puis, en 1968, une révision complète de la Constitution qui mènera à la « Formule de Victoria ». Cette proposition d’amendement complexe requiert le consentement de toute province comptant ou ayant compté au moins 25 % de la population canadienne en plus du consentement d’au moins deux provinces de l’Atlantique et d’au moins deux provinces de l’Ouest représentant ensemble au moins 50 % de la population de l’Ouest. La proposition comprenait aussi l’inclusion des droits linguistiques et de garanties inhérentes à la Cour suprême dans la Constitution. | |
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Mer 18 Avr - 19:39 par Tite Prout