Chronique de la Très Grande Dépression US - Deux tendances émergentes s'affirment : Un renversement historique des équilibres financiers mondiaux et une société américaine en implosion
Par: Europe 2020, le 15 avril 2007
La Très Grande Dépression US de 2007 a bien commencé ; et elle constitue la dimension américaine de la phase d'impact de la crise systémique globale anticipée par LEAP/E2020 dès 2006, puisque les Etats-Unis sont le pilier central de l'ordre mondial créé après 1945. L'affaiblissement structurel des Etats-Unis est de ce fait à la fois une conséquence et une cause de la crise systémique globale. Et les évolutions internationales influent directement sur la situation interne des Etats-Unis. A ce stade, les chercheurs de LEAP/E2020 ont ainsi pu identifier deux tendances désormais établies de cette « très grande dépression » qui émergent dorénavant du chaos statistique, économique, financier et stratégique actuel :
I- Un renversement historique des équilibres financiers mondiaux : Pour la première fois depuis 1913, les Etats-Unis perdent leur statut de premier pôle financier mondial
II- Une société américaine en implosion : La classe moyenne est sacrifiée entre l'effondrement sans fin des prix de l'immobilier et une disparité des revenus désormais supérieure à celle de 1928.
LEAP/E2020 a eu l'occasion tout au long de l'année 2006 de détailler les caractéristiques de la crise systémique globale en cours. Ainsi, à de nombreuses reprises, notre équipe a souligné le lien étroit entre cette crise et la place des Etats-Unis sur la scène internationale puisque le monde dans lequel nous vivons est essentiellement façonné par les forces issues de l'après Seconde Guerre Mondiale, marquant l'effacement de l'Europe et la montée de l'URSS et des USA. L'effondrement de l'URSS entre 1989 et 1992 a ensuite laissé le champ libre aux Etats-Unis jusqu'à nos jours, ce pays devenant littéralement le pilier du système global actuel. La crise systémique globale enclenchée en 2006, largement documentée par LEAP/E2020 à travers les différents numéros du GEAB, et qui est entrée en 2007 dans sa phase d'impact touche donc de plein fouet les Etats-Unis et se caractérise par deux types d'évolutions à haute vélocité historique : d'une part une modification très rapide de la place relative des Etats-Unis dans le monde ; et d'autre part, une recomposition radicale des équilibres internes de la société américaine issue des années 1940/1950.
I- Pour la première fois depuis 1913, les Etats-Unis perdent leur statut de premier pôle financier mondial
LEAP/E2020 a déjà explicité nombre d'évolutions concernant la place rapidement décroissante des Etats-Unis dans le domaine du commerce international ou de la production de richesse mondiale. Ainsi, dans le GEAB N°6 était décrite la part désormais prédominante de l'UE [1] dans le commerce extérieur des pays producteurs de pétrole : « Il suffit de constater qu'en 2005 l'UE représente plus de 50% du commerce extérieur russe, 65% du commerce extérieur algérien, 31% du commerce extérieur iranien (suivi par le Japon avec 12%), 78% du commerce extérieur norvégien, plus de 55% du commerce extérieur du Gabon, plus de 40% du commerce extérieur nigérian, plus de 50% du commerce extérieur du Congo, 20% du commerce extérieur d'Arabie saoudite (contre 16% seulement aux Etats-Unis), près de 30% du commerce extérieur du Koweït (contre 11% seulement aux Etats-Unis) et plus de 20% du commerce extérieur des Emirats Arabes Unis (contre seulement 6% aux Etats-Unis) ». Rappelons que dans les décennies qui ont suivi 1945, les Etats-Unis tenaient de très loin cette première place ; et ce pas uniquement vis-à-vis des pays producteurs de pétrole.
Cet exemple, comme le fait que la Chine est désormais passé devant les Etats-Unis comme premier importateur dans l'UE [2], illustre ainsi une évolution historique dont une autre facette vient d'être mise à jour par le cabinet britannique Absolute Strategy Research (ASR), à savoir le fait que selon les données de Thomson Financial, fin Mars 2007, les marchés financiers européens ont dépassé en valeur leurs homologues US. Cette évolution constitue une rupture systémique majeure car elle met fin à une tendance séculaire initiée lors de la Première Guerre Mondiale. Selon Ian Harnett (directeur d'ASR et ancien responsable de la stratégie Europe d'UBS-Warburg) qui a identifié ce changement, il s'agit en effet d'une « secousse sismique » pour les marchés financiers globaux puisque cela démontre un déplacement du centre de gravité de la sphère financière mondiale hors des Etats-Unis, vers le Vieux continent. Ainsi, les marchés européens (Russie incluse) ont totalisé, fin Mars 2007, 11.819 Milliards € contre seulement 11.760 Milliards € pour les marchés des Etats-Unis. Leur croissance ces dernières années a en effet été de 160% contre 70% pour les marchés américains. Bien entendu la forte dépréciation du Dollar US a contribué à accroître la tendance [3].
Pour l'équipe de LEAP/E2020, les tendances qui ont provoqué ce bouleversement dans la hiérarchie des marchés financiers mondiaux sont profondes et durables : baisse continue et durable de la devise américaine, part décroissante des Etats-Unis dans la production de richesse mondiale et le commerce international, éloignement géographique des Etats-Unis par rapport aux pôles économiques du « Vieux Continent » eurasiatique, appauvrissement croissant du consommateur US, effondrement de la compétitivité liée à celui de la qualité de l'éducation, … De ce fait, la tendance identifiée par les chercheurs d'Absolute Strategy Research va aller s'amplifiant au cours de l'année 2007 et de la décennie à venir. Les conséquences pour les opérateurs financiers et boursiers sont immenses car elles remettent en cause tous les « réflexes » acquis depuis près d'un siècle. LEAP/E2020 revient d'ailleurs sur les conséquences pratiques de ce séisme pour les acteurs du marché dans la suite de ce numéro 14 du GEAB.
II- Une société américaine en implosion : La classe moyenne est sacrifiée entre l'effondrement sans fin des prix de l'immobilier et une disparité des revenus désormais supérieure à celle de 1928.
Chronique de la Très Grande Dépression US - Deux tendances émergentes s'affirment : Un renversement historique des équilibres financiers mondiaux et une société américaine en implosion
Comme l'ont illustré récemment les remarquables travaux de Thomas Piketty et Emmanuel Saez sur l'évolution des hauts revenus aux Etats-Unis [4], les disparités de revenus sont désormais semblables à celles qui existaient à la veille de la Grande Dépression de la fin des années 20. Ainsi, alors que le ratio entre les revenus des 0,01% les plus riches et la moyenne des 90% les plus pauvres variait autour de 170/180 au cours des années 1950 à 1980, il a bondi à plus de 880 en 2005, soit à peu près au même niveau (891) que celui qui prévalait en 1928. La courbe ci-dessous illustre d'ailleurs clairement le retour de la société américaine aux inégalités de revenus qui ont caractérisé la période pré-1929.
Pour l'équipe LEAP/E2020, au-delà des analyses purement économiques, cette situation confirme que l'année 2007 va être caractérisée par l'entrée des Etats-Unis dans la « Très Grande Dépression » car elle est porteuse de tensions sociales et politiques immenses que la montée en puissance des expulsions suite aux saisies immobilières illustre déjà [5] et que la récession économique qui commence va démultiplier. La société américaine est en train de se scinder en deux classes, l'une pauvre et l'autre très riche. Et la classe moyenne, en cette année 2007, bascule dans la classe pauvre.
Ainsi pour nos chercheurs, les tendances économiques en cours, parce qu'elles se greffent sur des tendances historiques lourdes affectant les équilibres sociaux et politiques depuis plusieurs décennies (cf. GEAB N°11,12 et 13), ont un impact dévastateur démultiplié. Comme nous l'indiquions dans le précédent numéro du GEAB, la crise de 1929 a éclaté dans un cadre historique qui voyait s'affirmer la puissance américaine. Les tendances fondamentales sous-jacentes étaient donc positives pour les Etats-Unis. La dépression actuelle survient dans un contexte historique inverse. En dépassant, en Avril 2007, le point d'inflexion de la phase d'impact de la crise systémique globale, les évolutions s'accélèrent, et surtout leurs conséquences s'intensifient et deviennent sensibles pour le plus grand nombre.
Et ce n'est pas le récent exemple de Circuit City Stores, le deuxième réseau américain de vente au détail de produits électroniques de grande consommation, qui peut laisser envisager le contraire. En effet, fin Mars, la société a annoncé qu'elle licenciait 3.400 vendeurs, soit 8,5% de ses employés en magasin, pour cause de salaires trop élevés (10-11 USD/heure) et qu'elle proposait d'embaucher un nombre équivalent de personnes à un salaire nettement moindre (8 USD/heure) [6] : le passage de la classe moyenne à la classe défavorisée, c'est aussi ce type de processus qui a bien entendu le mérite statistique de faire in fine monter le chiffre des embauches.
Ainsi, dans le GEAB N°14, l'équipe de LEAP/E2020 détaille quatre autres tendances qui domineront le trimestre à venir :
1. La contagion explosive de la crise de la crise des subprimes aux autres prêts immobiliers et aux autres secteurs de l'économie est déjà en cours
2. Le retour de la stagflation : Vers une croissance US en-dessous de 1% à l'été 2007
3. Un fort accroissement des déficits publics US dès la mi-2007
4. L'intensification de la crise géopolitique pétrolière à partir de Mai 2007 - L'Iran et le Venezuela en première ligne : Pétrole en hausse (100 $) et Dollar en baisse (1,50) à l'été 2007
GEAB N°14 (Disponible sur abonnement à l'adresse: http://www.europe2020.org/)
Notes:
[1] Le Japon et la Chine occupent eux aussi bien entendu une part croissante du commerce international et de la production mondiale de richesse. Ce qui réduit d'autant la part des Etats-Unis en la matière.
[2] Source : Financial Times, 22/03/07
[3] Voir aussi « Europe tops US in stock market value », Financial Times, 02/04/2007
[4] “The evolution of top incomes : a historical and international perspective”, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, Econometrics Laboratory Software Archives, University of Berkeley, 2006
[5] A titre d'exemple, en Californie, en Mars 2007, les ventes de biens immobiliers saisis ont représenté 15% de l'ensemble des ventes immobilières dans l'Etat. Et il suffit de parcourir la presse locale américaine, qui est remplie d'articles sur ce sujet, pour mesurer l'ampleur du phénomène, comme par exemple à l'autre bout des Etats-Unis sur la côte Est à Boston où le taux de saisies immobilières bat désormais un nouveau record chaque mois. Sources : Central Valley Business Times, 05/04/2007 ; Boston Herald, 29/03/2007
[6] Source : Chicago Tribune, 29/03/2007
Lundi 16 Avril 2007
danyquirion@videotron.ca