Robert Sobukwe (1924-1978) fondateur du PAC
08/03/2004
Né en Afrique du Sud, fondateur du Pan Africanist Congress, Robert Sobukwe est un héros de la lutte anti-apartheid
Par Paul Yange
Robert Mangaliso Sobukwe
© disa.nu.ac.za
Robert Sobukwe (1924-1978)
Robert Mangaliso Sobukwe est né le 5 décembre 1924 à Graaf Reinet dans la province du Cap d’un père fermier et d’une mère femme au foyer. Il est le plus jeune des sept enfants de Hubert Sobukwe et Angelina Gazyis. Durant son enfance, il est éduqué dans une école missionnaire, puis va au lycée de Healtdown (le plus grand lycée africain en dessous de l’équateur à l’époque avec plus d’un millier de lycéens) et obtient une bourse pour poursuivre ses études à l’université de Fort Hare, une institution où des générations de jeunes africains se sont familiarisés avec la politique (Nelson Mandela entre autres y a été étudiant).
A Fort Hare, Sobukwe fait connaissance avec des membres de l’African National Congress Youth League (ANCYL) qu’il rejoint en 1948. En 1949, il est élu président du Conseil Représentatif des Etudiants de Fort Hare et se révèle être un bon dirigeant et un bon orateur. Il sera également secrétaire général de la Ligue des Jeunes de l’ANC. En 1950, il est nommé à un poste d’enseignant dans un lycée à Standerton, mais perd son poste à la suite de sa prise de position en faveur de la campagne de "défi" lancée en 1952 par l’ANC (La campagne de défi était une action de masse pacifique et de désobéissance civile qui dura 6 mois et eut un énorme retentissement). Il est cependant réintroduit dans ses fonctions par la suite. De 1952 à 1954, coupé des principales activités de l’ANC, il continue néanmoins à tenir le poste de secrétaire général de l’ANC à Standerton. En 1954, il est nommé chargé de cours à l’université du Witwatersrand considérée comme la meilleure université de langue anglaise d’Afrique du Sud. Sobukwe déménage pour Johannesburg, et parallèlement à ses fonctions à l’université édite "The Africanist", une revue de l’ANC. Il commence rapidement à critiquer l’ANC dont il est membre : des divergences idéologiques sur les méthodes à utiliser pour sortir l’Afrique du Sud du joug de l'Apartheid apparaissent.
Le premier congrès du PAC, le parti fondé par Sobukwe suite à la scission d'avec l'ANC, a lieu en avril 1959
Sobukwe est d’avis que la libération des Noirs d’Afrique du Sud doit être menée par les Noirs eux-mêmes. Il estime en outre que l’influence de blancs de gauche membres ou sympathisants du parti communiste est trop grande sur l’ANC - Parmi les membres ou sympathisants de l’ANC figurent ou figureront des blancs sud-africains comme Bram Fischer (qui sera l’avocat de Mandela lors du fameux procès de Rivonia), Joe Slovo (qui sera membre du premier gouvernement formé par Nelson Mandela à la fin de l’apartheid) ou encore Ruth First (qui sera tuée en 1982 à Maputo par une lettre piégée envoyée par le régime de Prétoria).
Il n’est donc pas partisan d’un mouvement de libération multiracial comme peut l’être l’ANC et veut rendre les Noirs sud-africains conscients du fait qu’ils ne doivent compter que sur eux-mêmes pour gagner la lutte de libération et pas sur des procès ou des "Blancs sympathiques" qui négocieront pour eux. "Nous avons compris qu’il y a des intellectuels blancs qui sont partisans de la cause des Noirs, mais étant donné qu’ils bénéficient matériellement de la présente situation en Afrique du Sud, ils ne peuvent pas s’identifier complètement à la cause (...) ils protègent consciemment ou inconsciemment les intérêts de leur groupe" dira t-il dans un de ses discours. La fracture apparaît clairement au sein de l’ANC entre les "multiracialistes" et les "africanistes" menés par Sobukwe.
En 1958, "le professeur" -ainsi que le surnommait ses amis- quitte l’ANC (ou en est exclu ainsi que ses partisans, les versions divergent), créant une scission au sein du mouvement. Toujours est-il qu'il fonde le PAC (Pan Africanist Congress) dont le premier congrès se tient en avril 1959. Son dévouement pour la cause, son éloquence, son charisme font naturellement de lui le président. Sobukwe électrise ses partisans lors de ce premier congrès fondateur.
La liberté en Afrique du Sud maintenant, et demain les Etats-Unis d'Afrique!
Robert Sobukwe
Le massacre de Sharpeville (69 morts et plusieurs centaines de bléssés) suscita une indignation internationale : la police sud-africaine avait tiré sur une foule désarmée
Il adopte les idéaux panafricanistes exprimés lors de la conférence d’Accra en décembre 1958. Le PAC se place résolument du côté des mouvements nationalistes d’Afrique noire et partage la vision de Kwame Nkrumah qui veut construire les Etats-Unis d’Afrique. Lors de son discours à la 1ère réunion du PAC le 6 avril 1959, Sobukwe exprimera sa vision de ce que devait être le tout nouveau Pan Africanist Congress : "la liberté en Afrique du Sud maintenant, et demain les Etats-Unis d’Afrique". De part son rattachement affirmé avec les mouvements de libération africains en dehors de l’Afrique du Sud, le PAC sera dans les années 60 plus connu en dehors de l’Afrique du Sud que l’ANC.
En 1960, Sobukwe et le PAC organisent une manifestation pour protester contre l’instauration de "Pass" par le gouvernement sud-africain (Les Pass étaient des laissez-passer dont avaient besoin les Noirs pour se rendre dans certaines zones). La manifestation a lieu le 21 mars. Sobukwe accompagné de ses partisans se rend au commissariat à Orlando, et brandit son Pass aux policiers en leur faisant savoir qu’il viole la loi sur le Pass et en leur demandant de l’arrêter. La police l’arrête. Alors qu’il s’attend à une peine de prison légère pour avoir mené une manifestation contre l'instauration de la loi sur les PASS en Afrique du Sud, il sera condamné à trois ans de prison.
Le PAC et Sobukwe sont au devant de la scène ce 21 mars, parcequ’ils ont organisé une manifestation contre les pass, mais aussi à cause des événements qui vont avoir lieu à Sharpeville, un petit township situé à une cinquantaine de kilomètres de Johannesburg. Des milliers de sud-africains ont répondu à l’appel du PAC. La foule (contrôlée et sans armes) est composée de milliers de personnes qui entourent rapidement le commissariat local. Les forces de police qui ne comptent que 75 personnes sont prises de panique et tirent dans le tas sans sommation. C'est le carnage : 69 personnes tuées (beaucoup d’entre elles ont reçu des balles dans le dos alors qu’elles essayaient de s’enfuir), 400 bléssés y compris des femmes et des enfants, 700 coups de feu tirés par la police.
Affiche représentant Robert Sobukwe : "the most feared black man in Azania"
© http://library.ucsc.edu
Les journaux du monde entier font leur une sur l'événement et des protestations indignées arrivent de partout dans le monde, condamnant le gouvernement sud-africain pour les massacres. Une crise gouvernementale s’en suit. Les militants du PAC qui avaient organisé la manifestation s’étaient retrouvés aux premier rang de la lutte contre l’apartheid et Robert Sobukwe était salué, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Afrique du Sud comme le sauveur du mouvement de libération. Tout cela n’empêcha pas le gouvernement sud-africain d’interdire en avril le PAC et l'ANC.
Condamné à trois ans de prison en 1960, Sobukwe doit être libéré le 3 mai 1963. Pourtant il est immédiatement arrêté à nouveau et transféré dans la tristement célèbre prison de Robben Island où il passera six ans de détention sans avoir été rejugé. Le gouvernement sud-africain avait en effet fait voter une loi le 1er mai 1963, la "General Law Amendment Act" qui donnait le droit à tout officier de police de détenir pendant 90 jours (!) sans aucun mandat toute personne soupçonnée de crime politique. Au bout des 90 jours, la détention pouvait être prolongée indéfiniment ("pendant toute la durée de ce côté de l’éternité") -le mot est de John Balthazar Vorster, alors ministre de la justice en Afrique du Sud pro-apartheid. La loi avait été votée afin de pouvoir maintenir spécifiquement Robert Sobukwe en prison, très craint par les autorités de l'apartheid pour son charisme et sa capacité de mobilisation.
Ce dernier passa donc six années nouvelle années derrière les barreaux, puis fut libéré en 1969, mais immédiatement assigné à résidence (dans une maison située à Galeshewe, à Kimberley) puisque selon le régime, il ne "devait pas pouvoir vivre dans un endroit où il lui serait facile de reprendre ses activités subversives". (Il sera assigné à résidence deux fois en 1969 pour cinq ans, puis en 1974, à nouveau pour cinq ans). Il n’a pas le droit de quitter sa maison la nuit, de quitter le quartier de Kimberley où il réside, de rencontrer plus d'une personne à la fois et il est interdit de le citer en Afrique du Sud. Sobukwe travailla avec un avocat officiant sur son lieu de résidence, s'occupant de la situation de personnes socialement défavorisées, obtint également un diplôme en économie par correspondance, puis un diplôme d'avocat en 1975. Ayant déjà plusieurs diplômes, Il lui était possible de s’inscrire en thèse de doctorat et il voulut aller à l’Université du Wisconsin poursuivre une thèse en linguistique africaine, mais l'autorisation lui fut bien évidemment refusée.
© liberation.org.za
Il continua à vivre à Kimberley. Au milieu des années 70, il fut atteint d'un cancer des poumons. Opéré (notamment par le célèbre chirurgien sud-africain Christian Barnard) il fut plusieurs fois admis à l’hôpital. Une demande de grâce fut faite auprès du gouvernement pour lui permettre de passer les derniers mois de sa vie avec ses enfants, ce que le régime de Prétoria lui refusa. Robert Sobukwe mourut le 27 février 1978 et fut enterré dans sa ville natale de Graaf Reinet le 11 mars 1978. Il avait grandement influencé la vie politique sud-africaine, et sa philosophie de la conscience noire fut une des principales, si ce n’est la principale source d’inspiration du fameux "Black Consciousness Movement" de Steve Biko qui pris son essor dans les années 70 alors que la tentative de Sobukwe de le mettre en place dès les années 60 n’avait pas été une franche réussite. (Biko mourut un an avant Sobukwe en 1977 après avoir été torturé par la police sud-africaine). Le PAC comme tous les partis anti-apartheid était interdit et certains de ses dirigeants vivaient en exil. Avec la mort de Robert Sobukwe, la désintégration du PAC s’amorça définitivement même si malgré les dissensions, le parti avait tant bien que mal réussi à survivre.
"Vous savez maintenant ce que l'éducation signifie pour nous, l'identification avec les masses populaires... Nous devons être l'incarnation des aspirations de notre peuple. Et tous nous avons le devoir de montrer la voie, et la population trouvera le chemin."