CONFIGURATION ETHNOSOCIALE et HÉRITAGE CULTUREL AFRICAIN dans la caraïbe
Par Tidiane N’Diaye
Le groupe des Etats post-esclavagistes indépendants de la Caraïbe se compose de la Barbade, qui a vu l'esclavage aboli sur son territoire en 1843. L’île est peuplée de 259 000 habitants dont 80 % sont d'origine africaine et 16 % de Métis. Les esclaves africains acheminés à la Barbade et qui étaient pour la plupart des Anamabous de langue igbo, venaient du Nigeria. Ce pays est indépendant depuis 1966. Quant à Cuba qui est une ancienne colonie espagnole, l'esclavage y a été aboli en 1886. L'île est peuplée de 10 800 000 habitants dont 12 % d'origine africaine et 22 % de Métis. Les Wolofs, Peuls et Mandings de la côte d'Afrique occidentale, sont en majorité les ancêtres des Noirs cubains. Mais au début de la traite, beaucoup de Loucoumis, Gangas et Congos, ont été acheminés à Cuba. Ce pays est indépendant depuis 1902. Toujours dans le groupe des pays indépendants de la zone, l'ancienne colonie anglaise de la Dominique, compte 73 000 habitants dont 91% d'origine africaine. Ce pays est indépendant depuis 1978. Egalement 91 % des 92 000 habitants de l'île de la Grenade, indépendante depuis 1974, sont d'origine africaine et 13 % de Métis. Dans ce groupe d'Etats indépendants, Haïti est la seconde République noire de l'histoire - après Palmarès au Brésil -. Indépendante et libérée en 1804. L'île est peuplée de 7 millions d'habitants qui sont à 95 % d'origine africaine.
Les esclaves y venaient de toutes les côtes du continent noir. Ce pays a toujours été frappé d'ostracisme et de sous-développement persistant. On ne lui a sans doute jamais pardonné sa Révolution qui a réussi à détruire la plus lucrative des colonies européennes du Nouveau Monde. Les combattants ayant réussi cet exploit historique qui incarnait beaucoup d’espoirs - Toussaint Louverture, Dessalines -, ont créé un précédent dans l’univers esclavagiste en démontrant que les maîtres n'étaient pas invincibles. Mais les grandes puissances occidentales vont leur faire payer très cher ce «malheureux accident de l’histoire.» Elles vont asphyxier la jeune République, pour prouver au monde que l’indépendance formelle ne suffit pas à libérer un peuple. Ainsi, Haïti va être victime d’une opération d’étranglement et de boycott économique concertée. Les clients du vieux continent vont bouder le sucre de ses plantations ravagées, pour se tourner vers Cuba (encore sous domination espagnole), ou vers l’île française de la Réunion. Les paysans haïtiens n’auront que de pauvres champs de maïs, accrochés aux collines, à cultiver pour se nourrir. Le gouvernement de Charles X et les banques privées français seront obligés de reconnaître l’indépendance de Haïti mais, réclameront une somme de 150 millions de francs sur 5 ans, à la jeune République. Cette «indemnité» va faire perdre à Haïti, toute capacité de développement économique. Elle sera progressivement transformée en dette artificielle ou emprunt et régulièrement «réajustée». Et la France affaiblie par le premier conflit mondial, va céder aux USA, la mainmise sur Haïti. Ce pays portera l'estocade en faisant main basse sur les 500 000 dollars de réserves d'or haïtiennes. Ensuite, les Américains mettront en place sur l'île, une véritable politique de pillage en expropriant ses terres, ses ressources agricoles et minières. Les Haïtiens qui s'y opposeront seront massacrés par un détachement de marines. Ce pays compte aujourd'hui 75% d'analphabètes, la mortalité infantile y est de 14%, l'espérance de vie n'y dépasse guère 53 ans et 85% des 7 millions de Haïtiens vivent sous le seuil de la pauvreté. Haïti sera ainsi maintenu dans un état de misère et de sous développement économique, situation sans cesse aggravée par les nombreuses dictatures qui se succéderont longtemps au pouvoir. Et selon l'interrogation de Césaire : ce pays pour s’en sortir devra t-il réussir quelque chose d’impossible? contre le sort, contre l’histoire, contre la nature ? . Un autre Etat indépendant de ce groupe est la République dominicaine. Cette ancienne colonie espagnole a été occupée tour à tour par les Français et par les Américains. La République dominicaine est théoriquement entrée au club des nations indépendantes en 1821. Cet Etat relativement peuplé (7 634 000 habitants) compte 75 % de Métis et 15 % de Noirs. Quant aux îles de Trinidad et Tobago où l'esclavage a été aboli en 1838, elles sont peuplées de 1 250 000 habitants dont 43 % sont d'origine africaine. Enfin, la Jamaïque est également un Etat post-esclavagiste indépendant de la zone caraïbe depuis 1962. 75 % des 2 500 000 Jamaïcains sont d'origine africaine et 13 % de Métis. Les Afro-jamaïcains sont les descendants de déportés venus du Bénin, du Togo et du Nigeria pour la plupart. Dans ce pays est née la religion du Rastafarisme, créée en 1916 par un illuminé et grand syndicaliste des années coloniales, Marcus Garvey. Ce militant avait donné une dimension mystique à son combat en comparant le colonialisme et l'impérialisme - systèmes de tous les vices et péchés -, à Babylone persécuteur des Juifs. La Bible disait-il, traduit des contrevérités car Dieu est noir et africain et selon le psaume 68 verset 32, un prince éthiopien sera couronné pour libérer le peuple noir opprimé et détruire Babylone. En 1930 survient le couronnement du Négus éthiopien, Ras Tafari Makonnen alias Haïlé Sélassié, les Jamaïcains y ont vu la réalisation de la prophétie de Marcus Garvey. Les adeptes du Rastafarisme (philosophie-religion), ont une alimentation et un Look particuliers. Ils ne consomment pas d'alcool mais l'herbe sacrée du Ganja (marihuana). Ils refusent toute participation à la vie politique et arborent leur propre drapeau aux couleurs de l'Afrique (vert, jaune, rouge) ce qui signifie : le vert pour les terres qu’ils nous ont volées, le jaune pour l’or pillé et le rouge pour notre sang versé. Les Rastas seront longtemps persécutés à la Jamaïque et marginalisés dans les autres pays. Par leur musique Reggae, les chanteurs Bob Marley, Burning Spear, Peter Tosch et Alpha Blondy donneront une dimension internationale à cette religion.
Tous ces Etats post-esclavagistes indépendants de la zone caraïbe sont frappés de sous-développement mais, n'en bénéficient pas moins d'aides économiques provenant essentiellement des anciennes métropoles européennes, voire des USA. Ces aides sont des financements politiques d'Etats, de bailleurs de fonds privés ou d'organismes internationaux. Beaucoup d'Etats indépendants de la zone tirent également leurs revenus du tourisme et des transferts effectués par des expatriés. Certains de ces pays, comme Haïti ou la Dominique, subissent le diktat économique international, en particulier des Etats-Unis, ou un véritable étranglement quant ils sen écartent. C’est le cas de Cuba qui s'est rangé dans le camp communiste depuis sa Révolution castriste qui a déposé le dictateur pro américain Fulgencio Batista. Les Etats-Unis continuent d’appliquer à ce pays, un embargo qui le maintient au bord de l’étouffement économique. Les croyances africaines ont également survécu dans les sociétés post-esclavagistes de la Caraïbe et du Brésil. Sous le nom de Abacua, des sociétés secrètes cubaines pratiquent les rites d'initiation de la côte africaine des calabars (Nigeria). Les Cubains ont également conservé et adapté les Iyesas - une variante yorouba -, le Ganga - culte du Congo -, et le Arara, un rite de l'Afrique de l'Ouest. Les Obeahmen jamaïcains, quant à eux, ont conservé le culte des sorciers ashantis en pratiquant les fétiches Obis. Ils se sont un instant substitués à l'église traditionnelle dont le langage et les principes moraux étaient très loin des préoccupations de la diaspora afro-caraïbéenne. A Trinidad, sous le nom de Shango cult, la diaspora noire pratique le culte des divinités yoroubas dont le principal symbole est Orisha Shango. Quant à la résistance culturelle des Brésiliens, elle s'exprime par le Candomblé, une religion afro-brésilienne caractérisée par un système de croyance en des divinités appelées orixas ou santos et par des phénomènes de possession et de transe mystique. Le Candomblé est une religion de type traditionnel essentiellement transmise par la gestuelle et l’oralité. Elle est très influencée par la culture yorouba (Sud du Nigeria et Bénin). La résistance culturelle brésilienne s'exprime également par la Capoeira - qui combine la danse, la lutte, l'acrobatie et les arts martiaux - et par la musique au travers de rythmes originels comme la samba. Pour garder leurs divinités africaines, l es esclaves brésiliens se sont servis des Saints catholiques. Ainsi Shango dieu de la guerre et du feu, est recouvert par Saint Gérôme. Yé Mandjaye déesse de la mer est recouverte par une vierge de Notre Dame de la conception. Cependant, le Vaudou est la pratique mystique la plus répandue dans la diaspora noire des Amériques et de la Caraïbe. Cette croyance africaine - Puissamment conservée et développée en particulier par les Haïtiens et les Brésiliens (sous le nom de Macoumba) -, a été Introduite par les esclaves venant du Dahomey (actuel Bénin). Dans l’univers esclavagiste, le seul espace de liberté était la danse qui faisait renaître les esprits africains. Le Calenda, rattaché au rite de la fécondité (originaire de Guinée), la Chica voluptueuse, dansée par les Congos et appelée Fandango en Espagne, Congo en Guyane française, Yuca à Cuba, ont également survécu dans le Nouveau Monde. De même que les luttes dansées comme le Laghia de la Martinique, le Mani de Cuba ou le très rythmique Gwo Kâ guadeloupéen, sont inspirés du Kankourang et du Sabar sénégalais. Dans le Nouveau Monde, le génie des esclaves africains s’est également donné libre cours dans l’art culinaire, avec des plats hauts en couleur et en saveur. Toutefois, la plupart de ces plats hérités du continent noir n’ont pas toujours d’appellations africaines. Aux Antilles françaises, les esclaves venus du Ghana ont conservé et adapté un beignet doré appelé Acra ou Okra chez les Américains (du nom de Accra, la capitale de la République du Ghana). Le Catalou, qui est une purée de légumes avec des feuilles tendres de Madère, d’eau, de sigine et de gombo, a traversé l’Atlantique avec les esclaves venus du Dahomey pour être servi aujourd’hui aux Antilles et en Louisiane. La « Soupe à Congo » (mélange de divers légumes et de porc), est une potée antillaise originaire du Congo.
D’autres survivances africaines sont les spécialités guadeloupéennes Didiko (petit déjeuner substantiel), Doucoune (pâte de maïs cuite à la vapeur enveloppée dans un fragment de feuilles de bananier), le Langou (pâte obtenue par le mélange de la farine de manioc avec du chocolat bouillant), le Grignogno (mélange de farine de manioc avec du café bouillant), le Mignan<:i> (légumes coupés en morceaux cuits avec du cochon salé, des herbes aromatiques et du piment) et le Bébélé qui est un savoureux mélange très épicé de tripes ou d’andouillettes, de bananes figues ou poyos. Quant aux Martiniquais, ils ont hérité du « patté en pot »(ou pâté en pot). Il s’agit d’une adaptation de la très épicée rougne sénégalaise. Les esclaves martiniquais ont également ramené avec eux le « Trempage » qui est un mélange de pain trempé, pressé, de pois rouges, de morue rôtie pimentée, de ragoût de viande, de bananes mures coupées en rondelles. Partout où les peuples noirs ont survécu, l’héritage culturel et le lien historique à l’Afrique restent forts mais le cordon linguistique est rompu. L’œuvre de déculturation finira par faire perdre aux déportés, toutes notions de leurs langues d’origine. L’étrange communication entre oppresseurs et victimes va néanmoins se matérialiser par une langue : le créole. Du latin «criare» qui veut dire celui qui est élevé sur place, cette langue est sans nul doute un des symboles de la tragédie passée. Mais elle reste précieusement commune à des êtres qui se sont longtemps maudits mais mêlés par la force des choses pour créer une société multicolore. Le créole sera une véritable construction linguistique engendrée par le contact entre les esclaves et les maîtres européens et enrichie par les différents apports des langues africaines.
Tidiane N'Diaye et son ami Ernest Pépin, un des théoriciens de la créolité.
Avec le créole, les esclaves vont redonner vie à leur culture ancestrale de l’oralité, par le chant, les proverbes et les contes. On devrait cependant, parler «des créoles» même s’il est à peu près impossible de dire combien il y a de langues de ce type dans le monde car, la créolisation n’est pas non plus obligatoirement liée à l’esclavage. Le souriquoien était un créole à base française utilisé autrefois en Nouvelle-Écosse. Les mutins du Bounty et leurs descendants ont aussi développé un créole à base anglaise. Les esclaves noirs ont cependant contribué à créer ces langues caractérisées par une histoire particulière dans laquelle les aspects sociolinguistiques sont, à coup sûr déterminants. Pour les déportés africains, cette langue et la religion vaudou, ont constitué les éléments d'une culture de résistance forgée dans la lutte contre l'esprit de soumission et de résignation. Aux créoles français très répandus de la Guadeloupe, de la Martinique, de Haïti, de la Guyane ou de la Réunion, font face des langues plus rares comme le «Palenkero» de Colombie, créole à base espagnole parlé par les descendants de nègres marrons. Au demeurant, la plus ignoble des tragédies humaines a engendré, d'une manière étonnante et imprévue, une multitude de cultures - hispanophone, lusophone, néerlandophone, anglophone et francophone -, sur un fond de sociétés multicolores plus ou moins harmonieuses. Les trois continents concernés par le commerce triangulaire (Afrique, Europe, Amérique), se sont profondément interpénétrés par la force la plus barbare, ponctuée de massacres, de tortures et de souffrances inoubliables. Mais dans cet enfer d’avilissement extrême et de déshumanisation, les apports des différentes cultures africaines qui sont venus féconder les cultures européennes et amérindiennes ont créé un nouvel environnement et un paysage humain dans une Caraïbe enrichie et originale.
Extraits de l’ouvrage de Tidiane N’DIAYE «L’Eclipse des Dieux » Editions Le Serpent à Plumes Paris
http://www.tidiane.net/diaspora/diaspora-heritage.htm