Le Figaro, no. 19401
Le Figaro, lundi 18 décembre 2006, p. 5
Europe
Clandestins : laborieux accord franco-malien
IMMIGRATION Le ministre de la Coopération, Brigitte Girardin, s'est rendu vendredi à Bamako pour rassurer ses interlocuteurs inquiets de la politique sécuritaire française en matière d'immigration.
Thierry OBERLE
Le Mali est un pays à part sur le continent africain : il est démocratique et a une tradition d'émigration qui n'est pas uniquement liée à la pauvreté du Sahel. Son président, Amadou Toumani Touré, dit ATT, est un personnage singulier : ce général a pris le pouvoir en 1991 pour le rendre aux civils l'année suivante et se consacrer à la résolution des conflits africains. Élu à la tête de l'État en 2002, il se représente au printemps prochain. 45 000 Maliens vivent en France en situation régulière. Les clandestins seraient environ 75 000 d'après des estimations du gouvernement français.
Bon élève de l'ex-pré carré français en Afrique, le Mali entretient des relations privilégiées avec l'ancienne puissance tutélaire. Créé en 1998, le comité franco-malien pour les migrations incarnait jusqu'à présent des relations exemplaires. « C'est un forum où l'on parle sans tabou, ni polémique. Il est à l'origine de pistes novatrices aujourd'hui reprises un peu partout dans le monde comme le codéveloppement », explique Brigitte Girardin, le ministre de la Coopération. De passage vendredi à Bamako, elle a signé, à l'occasion de la session annuelle de ce comité, des accords sur l'intégration des Maliens vivant en France et leur circulation. Mais cette fois les discussions avec le partenaire malien ont été pour le moins laborieuses. Car le dossier des migrants est, comme en France, l'un des enjeux de la campagne électorale.
En dépit de leurs difficultés d'insertion, les dizaines de milliers de clandestins présents sur le sol français sont une manne financière pour leurs familles. Les quelque deux millions de bénéficiaires de mandats expédiés de France défendent avec acharnement leurs intérêts.
Ils vivent pour la plupart dans la région de Kayes, une province enclavée du pays, voisine de la Mauritanie. Le président Amadou Toumani Touré tient compte de leur influence. D'autant plus que les devises expédiées représentent une somme sans commune mesure avec l'aide au développement fournie par la France.
Les signataires maliens de l'accord de Bamako ont insisté sur le sort réservé aux familles des sans-papiers et se sont dits préoccupés par le « caractère, parfois violent, des circonstances de certaines reconduites aux frontières ». Refusant d'employer le terme de « réadmission » à propos du retour au Mali des expulsés, ils ont remis aux calendes un quitus sur ce point. Pour eux, l'aide au développement est souvent considérée comme du saupoudrage destiné à faire passer le durcissement des lois françaises sur l'immigration.
« Il n'y a pas de problème fondamental sur le principe de la réadmission. Il s'agit de trouver une formule dans laquelle les Maliens, en difficulté en France, puissent rentrer dans les meilleures conditions et dans le respect des droits de l'homme », tempère toutefois Oumar Dicko, le ministre des Maliens de l'extérieur. « Nous sommes en phase lorsque les problèmes sont abordés dans leur globalité. On ne peut pas séparer le sécuritaire du développement. C'est la leçon à retenir de ces derniers mois » commente, pour sa part, Brigitte Girardin.
Convaincu des vertus du codéveloppement, le ministre de la Coopération insiste sur l'efficacité des mesures en faveur des immigrés renvoyés chez eux. « Le financement de microprojets d'immigrés de retour au pays a déjà permis de créer 1 200 emplois », indique-t-elle. Même s'ils ne risquent pas d'infléchir la courbe des flux migratoires, ces résultats permettent à des sans-papiers de « sortir de la spirale de l'échec ». Il est question aussi d'atténuer les conséquences de la fuite des cerveaux en proposant aux universitaires d'origine malienne de venir donner des cours à Bamako. Enfin, Paris souhaite depuis six mois réduire le coût des transferts financiers des immigrés vers le Mali pour favoriser les investissements productifs. Mais ces velléités se heurtent aux réticences des établissements bancaires qui freinent des quatre fers pour éviter d'êtres mis en concurrence.
Illustration(s) :
Des Africains tentent d'atteindre les Canaries en juin dernier. Depuis le début de l'année, 30 000 clandestins seraient arrivés dans ces îles espagnoles au large du Maroc.