Le Monde
Economie, mardi 12 décembre 2006, p. MDE1
Le Monde Economie
CHRONIQUE
Cerveaux choisis
ANTOINE REVERCHON
Sur les ondes des radios du Burkina Faso passe en boucle le dernier « tube » du groupe local de reggae Zedess, Un Hongrois chez les Gaulois, où la politique d'immigration choisie du ministre français de l'intérieur est prise à partie avec l'humour mordant que l'on chercherait en vain dans l'actuel débat politique hexagonal (www.zedess.com). « Fini l'époque du nègre musclé avec belles dents; aujourd'hui, il veut du noir diplômé intelligent », le refrain est explicite et renvoie à un débat économique très sérieux.
Pour certains experts, la fuite des cerveaux entrave le développement des pays du Sud en les privant des ressources humaines les plus compétentes et en leur faisant perdre le bénéfice de l'investissement consenti pour les former. Pour d'autres, elle favorise la croissance via l'envoi d'argent aux familles restées au pays, les investissements effectués ou inspirés par la diaspora, le transfert de compétences lorsque l'exilé revient au bercail, etc.
Frédéric Docquier, chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES) de l'Université catholique de Louvain (Belgique) a, dans un document de travail présenté le 8 novembre à Paris et résumé par le Centre d'analyse stratégique (Note de veille no 36), confronté les arguments des uns et des autres aux données disponibles, pays par pays : mesure de l'émigration et du retour des diplômés, des flux financiers engendrés, etc.
De cet examen scrupuleux il ressort que les avantages et les inconvénients de la « fuite des cerveaux » se retrouvent en proportion variable dans chacun des pays du Sud, en fonction des compétences concernées, des autres ressources nationales, du caractère définitif ou temporaire de l'émigration, mais surtout du pourcentage de la population qualifiée partie à l'étranger. Quand il est compris entre 5 % et 10 %, les avantages l'emportent sur les inconvénients. Or un quart des pays en développement présentent un taux inférieur à 5 %, ce qui, selon l'auteur, laisse une marge de manoeuvre à une « immigration choisie » bénéfique pour les deux parties.
En revanche, dans la moitié des pays d'Amérique centrale et d'Afrique subsaharienne - les plus pauvres de la planète - ce taux est supérieur à 10 %.
Bref, avant toute généralisation hâtive, il faut mesurer au cas par cas l'impact réel d'une politique d'« immigration choisie » sur l'économie du pays d'origine.