mercredi 13 décembre 2006
Vers la fin de la gratuité des universités ?
Après les transports, l’énergie, l’université ? La route conduisant à la privatisation d’un service public est connue : on commence par nuire à son bon fonctionnement en amputant ses budgets ; on finit par invoquer la liberté et l’abondance que procureraient à ce service dégradé, « en retard », son entrée dans l’univers de la concurrence et, dans le cas de l’éducation ou de la santé, la fin de la gratuité. On casse pour devoir « réformer ». Concernant l’université, M. Nicolas Sarkozy n’a pas dissimulé ses intentions : « Il faut donner de l’autonomie et de la liberté à nos universités afin qu’elles puissent s’adapter et gagner en réputation et en attractivité. Il faut leur permettre d’accéder à des financements innovants, y compris privés. » Parlant de « dynamiter » le système universitaire, l’ancien ministre socialiste Dominique Strauss Kahn lui a fait écho : « Pour moi, il n’y aurait pas de scandale à ce que la chaire de physique nucléaire de Paris-VI soit financée par EDF, si EDF trouve que c’est bon pour son image. Mais ce n’est pas dans les mœurs. »
Les mœurs, chacun sait que ça se change. Aux États-Unis, le prix des études supérieures est souvent prohibitif, ce qui n’empêche nullement, au demeurant, que les chaires universitaires portent le nom des entreprises privées qui les financent (ainsi Mme Laura Tyson, ancienne conseillère économique du président Clinton, fut ensuite « professeur Bank of America » à la business school de l’université de Berkeley). Une pratique de ce genre ne tardera peut-être plus à se généraliser en France. Paris-Dauphine a ouvert la voie, l’Institut politique de Paris vient de l’emprunter. Pourtant public et largement financé par l’Etat, Sciences Po a récemment fait appel, sans doute en guise de « financement innovant » de son développement, à la générosité de ses anciens élèves. On conçoit sans peine qu’un autre établissement d’enseignement supérieur, moins influent auprès des élites sociales et politiques, n’obtiendrait pas énormément d’argent avec ce genre d’appel au « mécénat de solidarité ».
Les détenteurs des plus grosses fortunes possèdent déjà les principaux moyens d’information et de communication, ils construisent des musées privés en fonction de leurs propres goûts (MM. Pinault et Arnault), ils envahissent les commissions d’experts nommés par le gouvernement (commission Camdessus, commission Pébereau, commission Lévy-Jouyet, etc.) Faut-il aussi à présent qu’ils déterminent les priorités de l’enseignement et de la recherche ? Le Collège de France a répondu à sa façon. Il vient de créer sa première chaire entièrement financée par des fonds privés, dans le cas d’espèce ceux de la Fondation Bettencourt Schueller (Mme Bettencourt, héritière du fondateur de L’Oréal, compte au nombre des principales fortunes de France). Le titulaire de cette chaire est le patron d’une entreprise de biotechnologie cotée en Bourse...
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2006-12-13-universites