Raphaël Confiant et les " Innommables " (Le Monde 2-12-06)
Dans un texte qui circule sur Internet, l'écrivain martiniquais défend
Dieudonné. Une diatribe dans laquelle il justifie la venue de l'humoriste à la
fête du FN et se refuse à nommer les juifs
Raphaël Confiant et les " Innommables "
L'écrivain martiniquais Raphaël Confiant a décidé d'apporter son appui à
l'humoriste Dieudonné. Il ne s'agit pas d'une simple déclaration, mais d'un
texte qui circule sur Internet. Et la polémique grandit très vite aux Antilles.
S'agit-il d'un soutien mûrement réfléchi ? D'un dérapage du romancier à succès ?
L'objet de la querelle est simple : Raphaël Confiant, 55 ans,
universitaire et romancier publié notamment chez Gallimard, donne à sa manière
quitus intellectuel à l'humoriste après son récent passage au rassemblement du
Front national, le 11 novembre. Dieudonné s'était attardé entre les stands de la
fête du FN, mettant en avant un point commun entre lui et Jean-Marie Le Pen : "
Tous deux nous avons connu une diabolisation extrême. "
Raphaël Confiant s'estime en droit de justifier l'apparition à la fête
Bleu-blanc-rouge de celui chez qui il croit déceler une double souffrance : "
L'une liée à sa personne, à son être métis (père africain, mère blanche) ;
l'autre liée à ces gens qu'il est interdit de nommer (il a été partenaire de
scène de l'un d'eux pendant une dizaine d'années - Elie Semoun - ) et que dans
ce papier je désignerai donc sous le vocable d'Innommables. "
Une fois ce mot lâché, plus rien n'arrête le romancier. Mais c'est bien
sûr ce qualificatif d'" innommable " qui fait bondir d'indignation ses pairs et
anciens amis. Pierre Pinalie, métropolitain vivant de longue date en Martinique,
militant du créole aux côtés de Confiant, est l'un d'eux. C'est en réponse à
l'un de ses textes que l'écrivain a réagi, le traitant au passage
systématiquement de " petit Blanc ". Alors que Raphaël Confiant se refuse à
utiliser le mot " juif ", Pierre Pinalie rétorque : " Aucune loi n'interdit de
prononcer ou d'écrire le mot "juif" et il est assez abject d'employer l'adjectif
"innommables" pour désigner les membres de cette communauté ! En effet, si le
premier sens du mot convient pour ce qui ne peut pas être nommé, l'usage
habituel correspond à ce qui est trop bas ou trop vil pour être prononcé. Il
faut donc être vraiment bas et honteusement vil pour jouer sur les mots en
utilisant "innommables" à propos des juifs. "
De son côté, Pascal Vaillant, linguiste à l'université des Antilles et de
la Guyane, ancien membre du Gerec, le Groupe d'étude et de recherche en espace
créolophone, codirigé par M. Confiant, termine ainsi sa réplique à son ancien
compagnon : " Lorsque Raphaël Confiant répond à un discours argumenté, il y
répond en essayant de traîner le débat dans la fange, car c'est le seul endroit
où il se sent bien. Et c'est naturellement le seul endroit, pour un homme
honnête, où le débat ne peut plus avoir lieu. Il est donc clos d'avance. "
Raphaël Confiant n'avait pas soutenu Dieudonné en mars 2005. A l'époque,
l'humoriste s'était fait agresser sur un parking, à Fort-de-France, par quatre
hommes de confession juive qui voulaient le punir pour ses déclarations du genre
: " Les juifs, c'est une secte, une escroquerie, c'est une des plus graves parce
que c'est la première. "
Dieudonné n'avait pas été blessé mais l'émotion avait été forte et le
grand poète Aimé Césaire l'avait reçu. Le vieux sage lui avait rappelé son
souhait " que nos spécificités alimentent l'Universel, et non le particularisme
ou le communautarisme ", mais c'est l'image des deux hommes dans les bras l'un
de l'autre qui était restée. Beaucoup d'autres personnalités antillaises étaient
venues réconforter et soutenir l'humoriste.
La radicalisation de Raphaël Confiant ne s'inscrit pas dans ce contexte.
Cela fait un certain temps qu'il intervient sur Internet, lance ses attaques
auprès de ses amis tout en désirant limiter le débat à la sphère "
martinico-martiniquaise ", selon son expression. Sa plus récente victime a été,
à l'occasion la Coupe du monde de football et déjà dans un courriel, le
journaliste et essayiste Serge Bilé, né en Côte d'Ivoire, en poste à
Télé-Martinique. Ce dernier avait écrit dans Le Nouvel Observateur à propos de
la fierté des Antillais chantant Allez les bleus. Confiant, né dans le nord
atlantique de l'île, n'avait pas apprécié. Il avait répliqué avec violence : "
Tout étranger qui se mue en agent de la francisation et du colonialisme
français, c'est-à-dire en destructeur de notre langue et de notre culture
martiniquaises, en clair de notre identité, ne devra pas s'étonner d'être traité
en adversaire par ceux qui se battent pour que la Martinique devienne enfin
libre, cela en accord avec les règlements du Comité de décolonisation de l'ONU.
Si vous voulez jouer au Nègre à Blanc, au Nègre français ou au Français noir,
c'est votre problème, mais allez le faire en Afrique ! Ici, nous sommes des
Martiniquais, des Antillais, des Caribéens, des Créoles et rien d'autre ! "
Une réplique restée pour l'instant sans réplique. Serge Bilé s'interdit
encore tout commentaire, sauf à rappeler qu'il avait parlé de " guerre des cons
" à laquelle il n'entendait naturellement pas participer. Autre exemple du
combat de l'écrivain martiniquais : au lendemain des attentats du 11-Septembre
aux Etats-Unis, dans une tribune de l'hebdomadaire Antilla, il avait pris ses
distances avec les critiques contre le leader du réseau Al-Qaida, Oussama Ben
Laden, traité de " salaud, d'assassin, sans aucun sens des droits de l'homme " -
pour ajouter aussitôt : " Christophe Colomb, par contre, était un vrai
humaniste. "
Raphaël Confiant a publié, en 1993, un pamphlet contre Aimé Césaire, Une
traversée paradoxale du siècle, dont il dénonçait l'échec, évoquant sa propre "
passion déçue ". Il était alors le fils rebelle de celui qu'on surnomme le "
nègre fondamental ". Son nom était inséparable de celui de l'écrivain Patrick
Chamoiseau, auteur de Texaco, roman couronné par le prix Goncourt en 1992.
Et depuis ? Chamoiseau laisse dire ceux qui évoquent une rupture entre lui
et son ancien camarade. Et Confiant ? Il traite avec mépris ses détracteurs, "
épiphénomènes " qu'il oppose à tous ceux qui lui envoient des courriels
approbateurs, lui disant qu'il a raison.
Interpellé cette semaine par un internaute, il conclut sa réponse par
cette démonstration : " S'agissant du racisme européen, pourquoi faut-il 100 %
de "sang blanc" pour être blanc alors qu'il suffit d'1 % de "sang noir" pour
être noir ? Qui a instauré cette arithmétique surréalisto-raciste ? Pourquoi
aucun intellectuel euro-américain ne la dénonce et pourquoi tous continuent à
appeler "Noir" toute personne qui a du "sang noir" ? Les mères de Yannick Noah,
de Harlem Désir, de Dieudonné et de milliers d'autres sont blanches pourtant !
Bref, il y aurait tant à dire. Ce monde est désespérant. "
Désespérant, Confiant ? Il se trouvera bien un jour quelqu'un pour
qualifier ses écrits d'" innommables ". En attendant, les élites et les élus
martiniquais observent un silence total, comme si la violence de la polémique
n'était pas arrivée jusqu'à eux.
Patrice Louis
Ven 1 Déc - 10:02 par mihou