METTRE EN DEROUTE LES ETATS-UNIS, ISRAEL ET LEURS ALLIES DANS LES PAYS DE LIGNE DE FRONT
Par Samir Amin
Le projet des Etats Unis, soutenu par leurs alliés subalternes européens (et israeliens pour la région concernée), est d’établir leur contrôle militaire sur l’ensemble de la planète . Le « Moyen Orient » a été choisi, dans cette perspective, comme région de « première frappe », pour quatre raisons : (i) elle recèle les ressources pétrolières les plus abondantes de la Planète et son contrôle direct par les forces armées des Etats Unis donnerait à Washington une position privilégiée plaçant leurs alliés - l’Europe et le Japon - et leurs rivaux éventuels (la Chine) dans une position inconfortable de dépendance pour leur approvisionnement énergétique ; (ii) elle est située au cœur de l’ancien monde et facilite l’exercice de la menace militaire permanente contre la Chine, l’Inde et la Russie ; (iii) la région traverse un moment d’affaiblissement et de confusion qui permet à l’agresseur de s’assurer d’une victoire facile, au moins dans l’immédiat ; (iv) les Etats Unis disposent dans la région d’un allié inconditionnel, Israel, qui dispose d’armes nucléaires.
Le déploiement de l’agression a placé les pays et nations situés sur la ligne de front (l’Afghanistan, l’Irak, la Palestine, le Liban, la Syrie, l’Iran) dans la situation particulière de pays détruits (les quatre premiers) ou menacé de l’être (la Syrie et l’Iran).
L’ agression contre le Liban
L’agression d’ Israel contre le peuple libanais, engagée le 11 juillet 2006, fait partie intégrante du plan de Washington pour la région. La capture de deux soldats israeliens sur le sol libanais et la demande légitime de leur échange contre les citoyens libanais kidnappés par les Israeliens , eux sur le territoire du Liban, n’ a servi que de mauvais prétexte. Le déploiement de ce projet avait été préparé par l’adoption d’un résolution de l’ONU exigeant le départ de l’armée syrienne du Liban et le « désarmement » de Hizbollah, suite à l’assassinat de Rafic el Hariri, sur lequel la lumière n’est pas faite. Les Etats Unis et l’ Europe répètent qu’ils exigent l’application intégrale de cette résolution, mais se gardent de rappeler que les moyens de faire appliquer la résolution 242 qui exigeait l’évacuation de la Palestine occupée depuis 1967 , n’ont jamais été mis en œuvre ! et oublient évidemment d’exiger la restitution du Golan à la Syrie ! Les ficelles sont grosses.
Le projet étatsunien vise exclusivement à placer l’ensemble de la région sous le contrôle militaire de Washington ( déguisé en exportation de la « démocratie » !) et à y faire régner un ordre néo libéral à son profit exclusif par le pillage du pétrole. Washington a également repris à son compte les fantasmes du sionisme : l’éclatement de la région en micro Etats basés sur l’ethnie ou la confession religieuse , l’exercice par Israel d’une sorte de « protectorat » sur ces Etats , dans le sillage de celui des Etats Unis.
La mise en œuvre du projet est avancée : la Palestine, l’Irak, l’Afghanistan sont occupés et détruits, la Syrie et l’Iran ouvertement menacés après le Liban. Mais la faillite du projet n’est pas moins visible : la résistance des peuples ne faiblit pas, le peuple libanais donne une leçon d’unité dans la défense de ses combattants , démentant par là même les attentes de Tel Aviv , de Washington , des Européens. La résistance libanaise donne, avec des moyens rudimentaires, du fil à retordre aux armées ennemis sur équipées grâce au pont aérien établi à partir de la base des Etats Unis de Diego Garcia ( d’où l’utilité de ces bases dans le projet mondial criminel de Washington). La résistance populaire armée du Sud Liban ayant démontré son efficacité , tous les efforts des Etats Unis et de l’ Europe visent désormais à imposer son désarmement, pour permettre à la prochaine agression d’ Israel d’obtenir une victoire facile. Il est nécessaire aujourd’hui plus que jamais de défendre le droit imprescriptible des peuples à préparer leur résistance armée face à l’agresseur impérialiste et à ses agents régionaux.
L’Afghanistan
L’Afghanistan a connu le meilleur moment de son histoire moderne à l’époque de la République dite « communiste ». Un régime de despotisme éclairé moderniste, ouvrant largement l’éducation aux enfants des deux sexes, adversaire de l’obscurantisme et de ce fait bénéficiant de soutiens décisifs à l’intérieur de la société. La « réforme agraire » qu’il avait entrepris était pour l’essentiel un ensemble de mesures destinées à réduire les pouvoirs tyranniques des chefs de tribus. Le soutien - au moins tacite - des majorités paysannes garantissait le succès probable de cette évolution bien amorcée. La propagande véhiculée tant par les médias occidentaux que ceux de l’Islam politique a présenté cette expérience comme celle d’un « totalitarisme communiste et athée » rejeté par le peuple afghan. En réalité le régime, comme celui d’Ataturk en son temps, était loin d’être « impopulaire ».
Le fait que ses promoteurs se soient autoqualifiés de communistes dans leurs deux fractions majeures (Khalq et Parcham) n’est en rien surprenant. Le modèle des progrès accomplis par les peuples voisins d’Asie centrale soviétique (en dépit de tout ce qu’on a pu raconter à ce sujet et en dépit des pratiques autocratiques du système), par comparaison avec les désastres sociaux permanents de la gestion impérialiste britannique dans les pays voisins (l’Inde et le Pakistan ), avait eu pour effet, ici comme dans beaucoup d’autres pays de la région, d’encourager les patriotes à prendre la mesure de l’obstacle que l’impérialisme constituait pour toute tentative de modernisation. L’invitation à l’intervention que certaines fractions ont adressé aux Soviétiques pour se débarrasser des autres a certainement pesé négativement et hypothéqué les possibilités du projet national-populiste-moderniste.
Les Etats Unis en particulier et leurs alliés de la triade en général ont toujours été les adversaires tenaces des modernisateurs afghans, communistes ou pas. Ce sont eux qui ont mobilisé les forces obscurantistes de l’Islam politique à la pakistanaise (les Talibans) et les seigneurs de la guerre (les chefs de tribus neutralisés avec succès par le régime dit « communiste »), les ont entraîné et armé. Même après le retrait soviétique la résistance dont le gouvernement de Najibullah démontrait la capacité l’eut probablement emporté sans l’offensive militaire pakistanaise venue soutenir les Talibans puis, accélérant le chaos, celle des forces reconstituées des seigneurs de la guerre.
L’Afghanistan a été dévasté par l’intervention des Etats Unis et de leurs alliés et agents, islamistes en particulier. L’Afghanistan ne peut pas se reconstruire sous la houlette de leur pouvoir, à peine déguisé par celui d’un pitre sans racines dans le pays, parachuté par la transnationale texane dont il était l’employé. La prétendue « démocratie » au nom de laquelle Washington, l’OTAN et l’ONU appelée à la rescousse prétendent justifier la poursuite de leur « présence » (en fait occupation), mensonge dès l’origine, est devenue une farce grossière.
Il n’y a qu’une solution au « problème » afghan : que toutes les forces étrangères quittent le pays et que toutes les puissances soient contraintes de s’abstenir de financer et d’armer leurs « alliés ». Aux bonnes consciences qui expriment leur crainte que le peuple afghan tolèrera alors la dictature des Talibans (ou des chefs de guerre) je répondrai que la présence étrangère a été jusqu’ici et reste le meilleur soutien à cette dictature ! Et que le peuple afghan s’était engagé dans une autre direction - porteuse potentiellement du meilleur possible - à l’époque où « l’Occident » était contraint de s’occuper moins de ses affaires. Au despotisme éclairé des « communistes » l’Occident civilisé a toujours préféré le despotisme obscurantiste, infiniment moins dangereux pour ses intérêts !
L’Irak
La diplomatie armée des Etats Unis s’était donné l’objectif de détruire littéralement l’Irak bien avant que le prétexte ne le lui en ait été donné par deux fois, à l’occasion de l’invasion du Koweït en 1990, puis après le 11 Septembre exploité à cette fin par Bush junior avec cynisme et mensonge à la Goebbels à la clé (« répéter un mensonge mille fois, il devient vérité »). La raison en est simple et n’a rien à voir avec le discours appelant à la « libération » du peuple irakien de la dictature sanglante (réelle) de Saddam Hussein. L’ Irak possède dans son sous sol une bonne part des meilleures ressources pétrolières de la planète ; mais de surcroît l’Irak était parvenu à former des cadres scientifiques et techniques capables, par leur masse critique, de soutenir un projet national consistant. Ce « danger » devait être éliminé par une « guerre préventive » que les Etats Unis se sont donnés le droit de faire quand et où ils le décident, sans le moindre respect pour le « droit » international.
Au delà de ce constat d’évidence banale, plusieurs séries de questions sérieuses restent à examiner : (i) pourquoi le plan de Washington a pu donner les apparences d’un succès fulgurant aussi aisément ? (ii) quelle situation nouvelle il a créé à laquelle la nation irakienne est confrontée aujourd’hui ? (iii) quelles réponses les différentes composantes du peuple irakien donnent à ce défi ? (iv) quelles solutions les forces démocratiques et progressistes irakiennes, arabes et internationales peuvent-elles promouvoir ?
La défaite de Saddam Hussein était prévisible. Face à un ennemi dont l’avantage principal réside dans la capacité d’exercice du génocide par bombardements aériens impunis (en attendant l’usage du nucléaire), les peuples n’ont qu’une seule réponse possible efficace : déployer leur résistance sur leur sol envahi , comme le peuple libanais l’a démontré. Or le régime de Saddam s’était employé à annihiler tous les moyens de défense à la portée de son peuple, par la destruction systématique de toute organisation, de tous les partis politiques (à commencer par le parti communiste) qui ont fait l’histoire de l’Irak moderne, y compris du Baas lui même qui avait été l’un des acteurs majeurs de cette histoire. Ce qui devrait surprendre dans ces conditions ce n’est pas que le « peuple irakien » ait laissé envahir son pays sans combat, ni même que certains comportements (comme sa participation apparente aux élections organisées par l’envahisseur ou l’explosion de luttes fratricides opposant Kurdes, Arabes sunnistes et Arabes chiites) semblent constituer des indices d’une défaite acceptée possible (celle sur laquelle Washington avait fondé ses calculs), mais au contraire que les résistances sur le terrain se renforcent chaque jour (en dépit de toutes les faiblesses graves dont ces résistances font preuve), qu’elles aient déjà rendu impossible la mise en place d’un régime de laquais capable d’assurer les apparences « d’ordre », en quelque sorte qu’elles aient déjà démontré l’échec du projet de Washington. La reconnaissance internationale de ce gouvernement fantoche par les Nations Unis domestiquées ne change rien à la réalité ; elle n’est ni légitime ni acceptable.
Une situation nouvelle est néanmoins créée par l’occupation militaire étrangère. La nation irakienne est réellement menacée, ne serait-ce que parce que le projet de Washington, incapable de maintenir son contrôle sur le pays (et piller ses ressources pétrolières, ce qui constitue son objectif numéro un) par l’intermédiaire d’un gouvernement d’apparence « national », ne peut être poursuivi qu’en cassant le pays. L’éclatement du pays en trois « Etats » au moins (Kurde, Arabe sunnite et Arabe chiite) a peut être été dès l’origine l’objectif de Washington aligné sur Israël (les archives le révèleront dans l’avenir). Toujours est-il qu’aujourd’hui la « guerre civile » est la carte que Washington joue pour légitimer le maintien de son occupation. Car l’occupation permanente était - et demeure - l’objectif : c’est le seul moyen pour Washington de garantir son contrôle du pétrole. On ne peut certainement donner aucun crédit aux « déclarations » d’intention de Washington, du style « nous quitterons le pays dès que l’ordre sera revenu ». On se souvient que les Britanniques n’ont jamais dit de leur occupation de l’Egypte, à partir de 1882, qu’elle était autre chose que « provisoire » (elle a duré jusqu’en 1956 !). Entre temps bien entendu, chaque jour, les Etats Unis détruisent un peu plus par tous les moyens, y compris les plus criminels, le pays, ses écoles, ses usines, ses capacités scientifiques.
Les réponses que le peuple irakien donne au défi ne paraissent pas - dans l’immédiat tout au moins - à la mesure de sa gravité extrême. C’est le moins qu’on puisse dire. Quelles en sont les raisons ? Les médias occidentaux dominants répètent à satiété que l’Irak est un pays « artificiel » et que la domination oppressive du régime « sunnite » de Saddam sur les Chiites et les Kurdes est à l’origine de la guerre civile inévitable (que seule la prolongation de l’occupation étrangère permettra peut être d’écarter). La « résistance » serait donc limitée à quelques noyaux islamistes pro Saddam du « triangle » sunnite. On ne peut que difficilement aligner autant de contre vérités.
Jeu 9 Nov - 21:30 par mihou