Noirs Blancs Beurs Libérateurs de la France
24/10/2006
Entretien avec l'auteur, Charles Onana
Par Capucine Légelle
Noirs blancs beurs libérateurs de la France de Charles Onana vient de paraître aux Editions Duboiris.
Cette véritable enquête historique préfacée par Richard Bohringer, avec plus de 130 photos d’archives à l’appui, révèle le rôle déterminant des combattants coloniaux lors de la Seconde Guerre Mondiale en reconstituant chronologiquement les grandes étapes de l’armée du Général de Gaulle et de la France Libre.
Votre nouveau livre entend montrer le rôle primordial des soldats « black blancs beurs » dans la Seconde Guerre Mondiale, notamment dans la Résistance.
Dans quelle mesure l’apprentissage de ce passé est-il utile à la France d’aujourd’hui ?
Tout d’abord, « Noirs Blancs Beurs, Libérateurs de la France », ne montre pas seulement le rôle déterminant des soldats de l’empire dans la résistance gaulliste et la libération de la France, il rectifie et corrige la version connue et répandue que donnent de nombreux livres d’histoire sur la résistance et la libération depuis soixante ans.
En vérité, l’armée qui a libéré la France de l’occupation nazie, ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’équipe de France de football qui a gagné la coupe du monde en 1998 contre le Brésil ou à celle qui est arrivée en finale en 2006 en Allemagne. Elle était densément composée de soldats de l’empire, c’est-à-dire des populations venues d’Afrique noire, du Maghreb, des Antilles et même d’Asie. Contrairement aux visages monoethniques voire « unicolores » que de nombreux livres d’histoire présentent habituellement aussi bien aux écoliers, collégiens et lycéens français qu’aux Africains, ce document essaye de montrer la réalité multiethnique ou « multicolore » de l’armée française.
Comment une veuve peut-elle prouver à 100 ans que son mari a été dans l'armée française ?
Charles Onana
Cette réalité a jusqu’ici été difficile à faire admettre dans les programmes scolaires français et africains alors qu’il s’agit d’une vérité historique indiscutable. Les 130 photos inédites qui sont dans ce livres n’ont pour la plus part jamais été vues par des Français et des Africains. Certaines viennent des archives des nazis, d’autres de l’armée française et une partie des archives privées de combattants ou de leurs familles.
Je voulais que cet ouvrage, qui est une longue enquête de sept ans, soit accessible aux enfants et aux adultes, aux chercheurs comme aux curieux. Bref c’est un livre d’histoire tout court. L’enjeu est que la connaissance de ce passé aide la jeunesse d’aujourd’hui à construire son identité et sa personnalité. Dans un climat de souffrance, de discrimination et de stigmatisation des jeunes de banlieues généralement fils ou filles de tirailleurs, il fallait rétablir la vérité pour qu’ils sachent que leurs parents ou leurs grands-parents ont sacrifié leur vie pour la liberté et la dignité des Français. Ils méritent pour cela un minimum de respect et de considération.
Cela peut contribuer à apaiser les esprits et à rendre certains hommes politiques plus humbles et plus circonspects dans leurs discours, généralement agressifs à l’égard de ces jeunes.
Quelle est votre opinion à propos de la « décristallisation » des pensions pour les anciens combattants coloniaux ?
Pourriez-vous nous expliquer la situation actuelle ?
Je pense que par rapport au statu quo antérieur où la discrimination était scandaleuse, il y a un progrès dans la décision d’aligner les pensions des combattants des anciennes colonies au taux français.
C'est en Afrique qu'est véritablement né le prestige de la France libre
Charles Onana
Pour l’instant, c’est une annonce. Attendons de voir la réalité. En outre, la situation des veuves demeure très insuffisamment prise en compte en ce qui concerne leur pension de réversion. Lorsqu’on décide de pratiquer l’égalité des droits, il faut aller jusqu’au bout. Il y a par exemple la doyenne des veuves maliennes des anciens combattants, qui est aujourd’hui centenaire et qui est contrainte de prouver que son mari, Amadou Gindo, militaire de carrière dans l’armée française et décédé en 1945, a effectivement été dans l’armée française pour qu’elle puisse toucher une pension décente. Comment peut-elle, à 101 ans, faire des recherches dans les archives françaises ? Comment se fait-il qu’on exige d’elle des démarches aussi épuisantes et coûteuses alors que l’administration française peut facilement retrouver le dossier de son mari dans les archives de l’armée ? Ces méthodes visent à empêcher le règlement normal des pensions des ayants droit.
En écoutant les médias, tout le monde a l’impression que le problème des pensions est réglé. Hélas, non !
Que pensez-vous du blocage des arriérés ? Est-ce que l’on ne crée pas de l’extrémisme en continuant le système du « deux poids deux mesures » ?
Voilà une autre aberration. Comment expliquer que le gouvernement affirme rétablir l’égalité des droits mais écarte le paiement des arriérés aux tirailleurs ? Il s’agit bien d’une créance et non d’une faveur. En 2001, le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative française, avait condamné le gouvernement à payer à l’ancien combattant Amadou Diop sa pension au taux français et avait en même temps exigé que le gouvernement paye à M. Diop les arriérés depuis la date de la cristallisation de sa pension, c’est-à-dire depuis 1974.
Comment peut-on proclamer qu’on rétablit les tirailleurs dans leurs droits mais à condition d’effacer la dette née d’une loi scélérate en 1959 et 1974 ? Ça n’a pas de sens. Surtout que la plupart de ces tirailleurs sont déjà morts ou meurent presque tous les jours en raison de leur âge ou de leur santé fragile. Tous les tirailleurs que j’ai rencontrés ne comprennent pas ce traitement qu’on leur inflige alors qu’ils espéraient qu’on allait définitivement corriger la grande injustice qui les frappe depuis tant d’années.
Plusieurs livres et films ont mis ce sujet sur le devant de la scène et la classe politique en prend acte.
Que peut-on souhaiter pour l’avenir concernant le traitement de l’Histoire ?
Il faut réviser les manuels scolaires qui donnent de la France Libre, de la résistance gaulliste et de la Libération une vision incomplète et inexacte.
C’est en Afrique qu’est née véritablement le prestige de la France Libre. C’est l’Afrique qui a donné à De Gaulle son rayonnement international. Il faut le dire et le redire.
Gaston Monnerville, résistant dans les Forces Françaises Intérieures (FFI), premier et unique noir à être resté vingt-deux ans président du sénat français, déclare le 25 mai 1945 : « Sans l’empire, la France ne serait aujourd’hui qu’un pays libéré. Grâce à son empire, la France est un pays vainqueur ». Donnons à César ce qui est à César. Il faut donc que la République française donne à tous ses enfants la place qu’ils ont eue ou qu’ils ont aujourd’hui dans l’histoire de ce pays.
C’est un devoir national et une obligation intellectuelle. Ne pas le faire risque de renforcer des frustrations qui peuvent déboucher sur des actes incontrôlables.
Quelles sont les nouvelles pistes que vous allez explorer ? Avez-vous un nouveau projet de livre ?
J’ai complété récemment mes recherches sur la période de la Seconde Guerre mondiale en publiant une biographie inédite de Joséphine Baker qui montre son engagement pendant cinq années dans l’armée du général de Gaulle (elle finira sous-lieutenant dans l’armée française) et son combat international contre le racisme.
Actuellement, je mène une grande enquête sur la vie de René Maran, l’auteur de Batouala, premier prix Goncourt noir en 1921. Ce sera la première biographie qui lui est consacrée ; car, à ce jour, il n’existe pas de biographie de ce grand et talentueux écrivain français.
Merci beaucoup Charles Onana d'avoir répondu à nos questions !
http://www.grioo.com/info8250.html
Mar 7 Nov - 21:44 par mihou