Autant nous sommes d'accord sur la consécration du devoir de mémoire qui a
abouti à la reconnaissance de l'esclavage comme un crime contre l'humanité
autant nous émettons de sérieuses réserves sur des revendications visant à se
faire reconnaître comme citoyens à part entière. Non, le problème ne se pose pas
en ces termes là. Ils sont Français et ils n’ont pas besoin de la reconnaissance
de qui que ce soit pour jouir de ce statut même si l’on peut considérer que les
discriminations peuvent porter un sérieux préjudice à ce statut. Il est urgent
de poser clairement le problème.

En effet, la problématique du noir en France qui fait couler beaucoup d'encre et
de salive ces dernières années peut, parce qu'elle n'aura pas été suffisamment
campée, prêter à confusion et fausser à jamais le résultat auquel les uns et les
autres veulent parvenir. A savoir l’intégration des populations noirs dans tous
les échelons de la vie sociopolitique en France. Car, un problème mal posé
court le risque de tomber dans la catégorie de faux problèmes qui, parce qu'ils
sont faux n'auront jamais de solution. C'est exactement comme une équation
mathématique dans laquelle on introduit une variable de trop.

La France est parmi les pays esclavagistes et colonialistes, celui qui, en
apparence a le plus intégré, par le mariage notamment sa communauté noire. En
visite en France récemment, un noir américain a eu cette exclamation : « Je
constate qu’il y a trop de métis et de couples noirs blancs ici en France ! ».
Mais une telle vision n’est que l’arbre qui cache la forêt des discriminations
de toute sorte dont se plaignent les noirs en France. « Tout se passe comme si
la France avait honte de ses noirs, de ses métis aussi bien culturels que
biologiques », s’étonne un observateur. Aux Etats-Unis, pays qui a copié le
model anglais, les noirs qui vivaient une ségrégation raciale avaient dû
parcourir une longue route sous la conduite des leaders comme Martin Luther King
pour parvenir à l’égalité juridique. Mais en France, parler de « longue route
des noirs vers l’égalité » trahit les failles du model français d’intégration et
nous invite à nous y pencher.

Le problème ici n'est pas celui des noirs en tant que tel, il est celui de la
France qui, parce qu’elle a la conscience surchargée, parce qu’elle est
tourmentée par son passé d'Etat esclavagiste et colonial, ce que le président
Jacques Chirac appelle "la page peu glorieuse de notre histoire" a besoin de
l'exorciser afin de se réconcilier avec sa propre histoire.

La démarche qui a été celle des noirs en France depuis Aimé Césaire jusqu'à
Christiane Tobira a consisté – et si cela n’a pas toujours été souvent le cas,
je souhaite que çà le soit désormais - à aider la France au travers le devoir de
mémoire à affronter lucidement son passé et à l'exorciser. La France doit
surmonter sa propre honte pour regarder son passé en face et l’assumer.
L'intégration des noirs dans la société française n'est alors qu'un gain
collatéral d'une action franco-française de réconciliation avec elle-même. Cà ne
saurait être un privilège offert à une communauté qui a trop pleurniché comme on
lancerait un os à un chien qui a trop battu de la queue. C'est bien la France
qui a un problème de conscience et c'est les noirs de France qui veulent l'aider
à résoudre son problème.

En mettant en avant la revendication de son intégration par quotas dans la
société française, s'appuyant notamment sur les plaies de la traite négrière, de
l'esclavage et de la colonisation, les noirs de France courent un double
risque: celui de tomber dans le piège de la victimisation et celui plus grave
de prendre la posture d'une personne qui, ayant été victime d'un accident, a
choisi de s'asseoir sur le trottoir, de montrer son infirmité pour mendier de
l'aide ou susciter de la pitié. Quoi qu'on puisse dire, c'est toujours indigne
d'exploiter son infirmité à des fins lucratives ou autres.

A ce jour, dans sa marche vers la réconciliation avec son passé, la France a
posé des actes admirables comme la reconnaissance de la traite négrière comme
un crime un crime contre l'humanité, la rétention probable et prochaine de « la
date du 10 pour commémorer chaque année l’abolition de l’esclavage et mieux
prendre en compte dans les programmes d’enseignement d’histoire de la traite
négrière et l’esclavage ». Mais le chemin reste encore long et sur ce chemin,
les actes doivent primer sur les discours.

A ce titre, le 5 juin dernier et comme chaque année depuis plus de 10 ans la
mairie d'Airaines, une ville du Nord de la France, organise une manifestation en
l'honneur du capitaine Charles Ntchorere, un français d'origine gabonaise engagé
dans l'armée française en 1916 et qui, chargé de la défense de la ville
d'Airaines en 1940 a été arrêté et exécuté par les troupes nazies. Une stèle
avait été érigée en son honneur dans la ville d'Airaines. En cette journée de
commémoration, le maire Jean Luc Lefebvre entouré d'une forte délégation
d'africains et français a posé une gerbe de fleur au pieds de cette stèle et une
grande fête culturelle a uni les deux communautés françaises et africaines le
temps d'une journée. Voilà des actes qui, ajouté à l'enseignement aux enfants de
la vraie histoire des relations entre les noirs et la France devraient
contribuer à régler le problème que vit la France. A savoir, les tourments issus
de ses relations historiques avec les noirs.

En refusant de se pencher les gémissements de noirs victimes de discriminations
à l'emploi et dans le logement, c'est la France qui alourdit sa conscience et
sa facture. Et le rôle des leaders noirs de France c'est, en éclairant son
passé, l'aider à ne plus s'endetter aussi lourdement. Dans cette avancée
sereine vers la réconciliation, le France a besoin de ses noirs dans tous les
compartiments de la vie sociopolitique.

C'est finalement en ces termes qu'il faut poser la problématique des noirs en
France et non point en terme d'une quelconque revendication au bout de laquelle
des victoires seraient remportées et permettraient ainsi d'avoir plus de noirs à
la télévision, à l'assemblée nationale, au gouvernement...



Par Etienne de Tayo

Journaliste

Promoteur du réseau de journaliste pour l’intégration en Afrique « Afrique
Intègre ».