Il faut sauver la candidature Taubira ! On attend le soldat Thuram ?
08/10/2006
Comme on s’y attend de plus en plus, en l’absence de réaction citoyenne appropriée, la seule postulante noire, femme politique et mélanoderme assumée disparaîtrait de la liste des candidats à l’élection présidentielle française de 2007. Ce serait un énorme recul pour l’affirmation d’une France ‘telle qu’elle est‘ en réalité, et telle qu’est est niée en visibilité par l’ensemble de la classe des élus et influents de la république. Un signal extrêmement inquiétant envoyé par les appareils partisans à majorité leucoderme à une France en fracture ouverte de diversité, poussée contre son gré à débattre de la place des Non-Blancs en son sein. Un débat dont les hiérarques ne veulent pas, qui pourrait perturber des rentes de situation, des positions politiques et sociales contestables et remodeler de fond en comble le visage d’une nation en divorce avec ses représentants [plus de 28% d’abstention en 2002].
Il semble assez net que depuis plusieurs mois, des arrangements et coïncidences concourent, au sein de la «famille socialiste», à étouffer une des voix les plus vives, originales et charismatiques du paysage politique français. En multipliant les obstacles, comme pour le groupe socialiste à l’assemblée le fait systématique de faire monter en puissance d’autres élus d’Outre-Mer -exemple de Victorin Lurel- pour défendre des dossiers «naturels» à Christiane Taubira, les décideurs espèrent faire taire une expression politique à forte résonance en France. Une sensibilité plus proche des Français que les vieilles chapelles miteuses et immobiles acquises voici quelques mois au Oui au référendum constitutionnel sur l’Europe, rejeté par une affirmation populaire massive. On se souvient que Taubira avait voté Non…
L’ancienne candidate à la magistrature suprême, créditée d’un score historique quoique modeste de 2,32% en 2002 ferait les frais, soi-disant, de l’échec de la gauche en 2002, alors que d’autres candidats, issus de la défunte gauche plurielle -coalition de gauche incluant les Verts, le MDC, le PRG etc.- avaient réalisé chacun plus du double de son score… Ainsi la décision du parti socialiste d’une rétention des parrainages de ses élus pour l’élection de 2007, chaque candidat étant tenu de justifier d’au moins 500 signatures d’élus, a-t-elle plus ou moins été interprétée par les pro-Taubira comme une mesure autoritariste ad hominem.
Soupçonnée d’adhésion communautariste par le PS et ses succursales qui ont décidé de faire litière de la représentativité des différences dans les investitures pour les législatives prochaines, la députée de Guyane a beau eu donner des gages de son attachement aux idéaux de la république que rien n’y a fait. Une femme, noire, si brillante aux élections de 2007 pourrait brouiller toutes les certitudes et ébranler le champ politique national. En capitalisant sur le rejet plus grand des politiques classiques et sur la prime aux femmes qui porterait une Ségolène Royal incomparablement moins dotée en culture et consistance politique que Taubira, cette dernière tirerait à son compteur tout le foisonnement qui agite la France depuis 2004-2005. Autour des thématiques relatives à l’histoire, à la mémoire des descendants des colonisés, au statut d’indigénat de facto des «non de souche», à la recrudescence de formes violentes et officielles de racismes s’exprimant dans les politiques d’expulsion, d’ethnicisation des problèmes de sécurité, sur les dossiers des discriminations, la députée de Guyane pourrait être une force de proposition rendant plus crédible les promesses d’égalité de la république.
Ce n’est donc pas au moment où se fait jour le frémissement d’un éveil et d’une probable naissance des citoyennetés encore inaudibles il y a peu, celles des Français d’origine caribéenne, maghrébine ou africaine, des banlieues et Outre-Mers, que la candidature emblématique de cette lame de fond de la démocratie française devrait s’éclipser. Cédant aux logiques d’appareils, et sans trop l’avouer, aux entendes entre PS et PRG -le parti qui porta Mme Taubira aux élections en 2002- toutes considérations non exclusives de facteurs raciaux …
Difficile d’imaginer des schémas de sortie de ce qui pourrait être une impasse et un non sens politique, de nouvelles sensibilités politiques -Noirs, Arabes, Immigrés, …- représentées par ceux qui les ont historiquement rejeté dans les partis hégémoniques. Le PRG est quémandeur de marchandages électoraux lui assurant des députés aux législatives de 2007, contre le ralliement au PS pour la présidentielle de la même année, se déportant avec une couardise spectaculaire du front héroïque qu’il avait ouvert de belle manière en 2002 …
La disparition programmée des candidatures inconséquentes ou d’agitation, candidatures dites noires, braconnant sur les terres d’un électorat mélanoderme en gestation devrait donc pousser à resserrer les rangs rapidement autour de Christiane Taubira en menaçant de sanctions les partis coalisés contre la candidate guyanaise.
Une figure providentielle comme celle de Lilian Thuram dont il se dit qu’il intéresse beaucoup les partis politiques -incapables d’affronter le président de l’UMP dans le débat démocratique- pourrait être l’homme de la situation et faire bouger les lignes. En soutenant officiellement Christiane Taubira, entraînant avec lui quelques éminents sportifs et personnalités à l’engagement connu, les Karembeu, Lama, et récemment Vieira, il y aurait lieu de garder espoir en cette candidature. Elle pourrait venir rafraîchir le débat et insuffler à la république son supplément d’égalité, de différences, de reconnaissance de l’altérité. C’est un enjeu portant sur les démocraties modernes, leur traitement de la diversité et des Autres qui se trame, être à la hauteur voudra dire se mouiller ensemble, individualités, associations, membres de partis politiques, médias, etc.
Afrikara
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