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Des combattants du Hezbollah se « cachant au milieu des civils », c'est tout simplement un mythe !
Les bombes ont commencé à pleuvoir juste à la tombée de la nuit, vers dix-neuf heures. Les gens du coin savaient que leur immeuble de dix étages avait abrité le bureau, et peut-être aussi l'appartement de Cheikh Tawouk, le commandant du Hezbollah pour le Sud, aussi avaient-ils déménagé leurs familles dès le début de la guerre. Le propriétaire de l'immeuble avait refusé de louer au Hezbollah, qui avait postulé aux étages supérieurs. Rien à faire, dirent les gens du coin, les mecs du Hezb sont de toute manière venus s'installer, au nom de la « résistance ».
Des combattants du Hezbollah se « cachant au milieu des civils », c'est tout simplement un mythe !
Mitch Prothero
Traduit par Marcel Charbonnier et révisé par Fausto Giudice
Tout le monde savait donc que l'immeuble finirait par être frappé. Sa localisation, au centre de Tyr, qui n'avait pas encore été atteint par les frappes aériennes israéliennes, n'allait certainement pas le protéger indéfiniment. Et « tout le monde », cela incluait, apparemment, Cheikh Tawouk, qui était fort éloigné de l'immeuble quand celui-ci finit par être détruit.
Deux bombes téléguidées le frappèrent, produisant une énorme explosion de flammes et de poussière de béton, suivie par le fracas de dix étages tombant en mille-feuilles les uns sur les autres, ont raconté des témoins. Jihad Husseini, 46 ans, dirige une école à un pâté de maisons de là. Il était assis, dans son bureau, quand les bombes ont frappé. Il a dit avoir eu la vie sauve au fait d'avoir fermé des rideaux épais devant les fenêtres donnant sur la rue, ce qui lui a évité d'être atteint de plein fouet par une volée d'éclats de verre. Reste qu'un gros morceau d'acier brûlant traversa l'air, passa à travers la fenêtre et le rideau, lui effleura la tête, et transperça le mur avant de terminer sa course dans l'appartement du voisin…
Mais Jihad refuse toujours de partir.
« Tout est cassé, mais je peux réparer », dit-il, entouré de ses deux fils Raed (20 ans) et Mohamed (12 ans). « Je ne partirai pas. Ici, ce n'est pas un site militaire, ce n'est pas le Hezbollah ; c'était un appartement inoccupé. »
Depuis le début de cette guerre vieille de seize jours désormais, des avions israéliens, haut dans le ciel, au-dessus de quartiers exclusivement civils, prennent leurs décisions quant aux objectifs à bombarder. Ils balancent des bombes énormes capables de tuer et de détruire tout ce qui se trouve dans un rayon de plusieurs centaines de mètres autour de leur cible, après quoi, ils font retomber la responsabilité des inévitables morts de civils – le gouvernement libanais fait savoir que six cents civils ont été tués à cette date – sur des « terroristes » qui utiliseraient l'infrastructure civile pour se protéger, d'une manière odieuse.
Mais cette assertion est fausse, dans l'immense majorité des cas. Mes propres constats et ceux de nombreux autres journalistes révèlent qu'en réalité, les combattants du Hezbollah – par opposition aux membres du parti politique Hezbollah, plus nombreux, et aux sympathisants du Hezbollah, infiniment plus nombreux – se tiennent à l'écart des civils. Plus intelligents et mieux entraînés que les combattants de l'OLP et du Hamas, ils savent que, s'ils se mêlent aux civils, ils seront tôt ou tard trahis par des collaborateurs -comme l'ont été de très nombreux activistes palestiniens.
De leur côté, les Israéliens semblent penser que s'ils continuent à pilonner les civils, ils finiront par avoir aussi quelques combattants… Les bombardements quasi nocturnes des banlieues sud de Beyrouth pourraient sembler quelque peu logiques, dès lors que les Israéliens semblent convaincus qu'il se trouverait des bunkers de contrôle et de commandement sous les décombres encore fumants. Il y a eu des civils tués, les premières nuits, dans des quartiers tel Haret Hreik, mais les gens ont rapidement quitté les lieux, laissant le quartier aux combattants du Hezbollah, avec leurs talkie-walkies et leurs scooters.
Mais dans bien des cas, les attaques aériennes semblent gratuites, on dirait des parties de pêche, ou tout simplement des bombardements pour punir un peu tout le monde et se venger sur n'importe quoi ayant un lien, fût-il extrêmement ténu, avec le Hezbollah. Des phares, des silos à blé, des laiteries, des ponts, dans le nord, empruntés uniquement par des réfugiés, des immeubles d'habitation partiellement occupés par des membres de l'aile politique du Hezbollah : tout a été réduit en gravats.
Dans le Sud, où les chiites sont majoritaires, pratiquement tout le monde soutient le Hezbollah. Le simple fait que vous souteniez le Hezbollah, voire même que vous participiez à ses activités, signifie-t-il que votre maison et votre famille sont des gibiers autorisés ? Faut-il pour cela que vous tiriez des roquettes de votre cour ? Ou bien suffit-il que vous soyez un militant politique ?
Les Israéliens sont cohérents : ils bombardent quiconque soutient le Hezbollah et tout ce qui a un lien quelconque avec le Hezbollah, y compris les non-combattants. Dans les faits, cela revient à punir le Liban. Le pays est chiite à 40 %, et sur ces 40 % de Libanais chiites, des dizaines de milliers sont employés par les services sociaux, les services politiques, les écoles et d'autres fonctions non-militaires du Hezbollah. Le Hezbollah, organisation soi-disant « terroriste », est en effet le second employeur du Liban.
Les gens ont tendance à parler de « ville fantôme » à propos de tout et de rien. Mais Nabatiya, une ville rasée par les bombardements à une cinquantaine de kilomètres de la frontière israélo-libanaise, justifie cette expression. On s'attend à ce que les esprits des gens tués de cette ville, ou de ses réfugiés, viennent errer en silence dans ses rues abandonnées, émergeant des immeubles effondrés qui constituent désormais la plus grande partie de la ville.
Tous les immeubles ne portent pas des stigmates apparents du bombardement, mais ceux qui ont une façade à peu près intacte ont tous leurs volets métalliques soufflés, comme par un effroyable cyclone. Et il n'y a absolument personne, mis à part une estafette hezbollahie exceptionnelle, sur sa mobylette, armée uniquement d'un talkie-walkie, inspectant les lieux, tandis que les avions à réaction et les drones sans pilote israéliens décrivent des cercles dans le ciel.
Dominant les faubourgs de cette ville d'environ 100 000 habitants en temps de paix – pour la plupart des chiites partisans du Hezbollah ou de l'organisation rivale Amal, plus laïque – se trouve l'hôpital Ragheh Hareb, une institution publique qui explique clairement de quel côté se situent les habitants de Nabatiya dans ce conflit.
La pelouse soigneusement entretenue et tondue de frais devant cet hôpital est ornée d'un Croissant Rouge géant – la version musulmane de la Croix Rouge. Tandis que nous approchons, un missile israélien s'abat sur une école, sur la colline opposée, la détruisant totalement. Tandis que nous nous couchons par terre attendant d'aller nous réfugier au pas de course dans l'abri de l'hôpital, ce croissant géant me rassure. Mais cela ne dure que jusqu'au moment où je vois un mât avec des drapeaux. Le drapeau libanais y est arboré, avec son cèdre – mais juste à côté du drapeau de la République islamique d'Iran…
On peut avancer, sans risque de se tromper, que l'hôpital Ragheh Hareb a quelque chose à voir avec le Hezbollah. Et le personnel masculin arbore les barbes minutieusement taillées et les manières polies, même si elles sont un peu obséquieuses, propres à cette formation. Des jeunes hommes nous ayant demandé nos papiers d'identité et nous ayant posé quelques questions, ils nous autorisent à entrer.
Le Dr. Ahmad Tahir me reconnaît : il m'avait vu à un enterrement, dans le village voisin de Dweir. Une bombe israélienne était tombée sur la maison d'un clerc du Hezbollah, le tuant ainsi que onze membres de sa famille rapprochée, pour la plupart, des enfants. Les gens, au Liban, parlent à ce propos de crime de guerre. Tahir semble épuisé, et notre conversation est encore plus tendue que la dernière fois où nous nous étions rencontrés.
« Cela serait peut-être préférable que les Israéliens bombardent votre voiture, sur la route, ici », dit-il, avec une ironie cinglante. « Comme ça, si vous étiez tués, peut-être y aurait-il de tels hauts cris en Amérique que les juifs seraient contraints à arrêter ces bombardements ! »
Ayant suggéré que l'administration Bush n'avait peut-être pas grand-chose à cirer des journalistes, pour ne pas parler de ceux qui envoyaient leurs reportages depuis un territoire tenu par le Hezbollah, il haussa les épaules. « Oui… Mais peut-être, au cas où ç'aurait été une bombe américaine utilisée par les Israéliens aurait tué un journaliste américain, des fois, les Israéliens arrêteraient peut-être leurs horreurs… ? », dit-il, songeur.
Parmi les quelques personnes restées dans la ville, il y a quelques membres de l'aile politique du Hezbollah, ainsi que des volontaires qui surveillent un peu les biens en l'absence des habitants. Un peu à l'écart, tandis que nous observons les Israéliens en train de pilonner des fortifications autour de la ville, un de ces responsables politiques nous explique que les combattants ne s'approchent jamais de la ville, confirmant ce que d'autres personnes du Hezbollah m'avaient expliqué, depuis des années.
Mar 12 Sep - 15:28 par Tite Prout