Point de vue
Devenir médecin généraliste ? Non merci, par Nadège Bourvis
LE MONDE | 17.08.06 | 14h01
epuis juin 2004, dans le cadre des études de médecine, les épreuves classantes nationales (ECN) correspondent à l'examen
terminal du deuxième cycle des études médicales en France. Elles sont un passage obligatoire pour tous les étudiants ; elles
ont remplacé l'ancien concours de l'internat, qui ne s'adressait qu'à ceux qui souhaitaient exercer une spécialité médicale, à
l'exclusion des aspirants généralistes. Avec les ECN, la médecine générale est ainsi devenue une spécialité médicale à part
entière. Cela illustre l'un des objectifs principaux de cette réforme : la revalorisation de la médecine générale aux yeux des
étudiants.
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En 2005, 3 988 postes d'internes étaient ouverts aux étudiants passant les ECN. 980 n'ont pas été pourvus. Tous les postes
restés vacants correspondaient à la spécialité "médecine générale". C'est-à-dire qu'un étudiant en médecine sur quatre a
préféré redoubler sa 6e année de médecine plutôt que choisir de devenir généraliste. Une telle désaffection n'avait jamais
été observée avec l'ancien système. Comment expliquer que les ECN aboutissent exactement à l'effet inverse de l'objectif
visé ?
On peut relever le fait que les ECN sont - ou plutôt ne sont que - classantes et non validantes. Autrement dit, cet examen n'a
pas pour but d'évaluer l'assimilation des connaissances médicales par les futurs praticiens. L'unique objectif est bel et bien
de classer l'ensemble des étudiants selon leur score obtenu, classement qui permettra aux meilleurs de choisir leur spécialité
et leur région d'exercice pour les premières années.
La médecine générale est quasi systématiquement choisie en dernier. La spécialité "médecine générale" est désormais
identifiée comme celle que l'on subit. Pourquoi ? De façon évidente, il est difficile de choisir ce que l'on ne connaît pas. Et il
est frappant de constater l'ampleur de la méconnaissance du métier de médecin généraliste par les étudiants. Aucun cours de
deuxième cycle n'est dispensé par des généralistes.
Alors que la quasi-totalité des spécialités peuvent être abordées dans le cadre de stages pendant la formation des étudiants,
les stages chez le praticien généraliste sont inexistants dans l'écrasante majorité des facultés.
Alors que, selon l'ancien système, le résidanat de médecine générale pouvait être perçu comme un choix, il est aujourd'hui
dans la plupart des cas identifié à une situation d'échec ou de renoncement. A une époque où le système de santé français
subit une réforme de fond, qui confère au médecin généraliste une place cruciale dans le réseau de soins.
Quel peut être l'intérêt d'un examen obligatoire pour tous qui ne vise même pas à contrôler l'acquisition d'un minimum de
connaissances pour l'exercice de la médecine ? D'un examen dont le seul but est d'établir une hiérarchie de fait entre les
étudiants, tout en prétendant s'affranchir de l'élitisme du système précédent ? D'un examen strictement théorique, qui ne
prend jamais en compte les aspects pratiques de la profession, c'est-à-dire que l'étudiant hospitalier n'est jamais évalué sur
ses capacités à entrer en relation avec un patient, à l'écouter et à l'examiner ?
Par ailleurs, comment comprendre le désintérêt généralisé des praticiens pour la formation médicale continue ? On estime
pourtant que la moitié des connaissances médicales enseignées à un instant donné deviennent obsolètes dans un délai de sept
ans. En France, la loi du 4 mars 2002 stipule que la formation continue des médecins est une obligation. Mais aucune sanction
n'est prévue en cas de manquement à la loi.
Alors, que penser d'une politique qui vise à pérenniser le culte de la hiérarchie entre les soignants, au détriment de la culture
de complémentarité ? Une politique qui dévalorise dès la formation initiale ceux qu'elle entend placer au coeur du réseau de
soins ? Une politique qui ne se donne pas les moyens d'exiger un niveau de compétence minimal de ceux qui ont en charge la
santé de leurs concitoyens ?
Il semble pourtant évident que l'éducation initiale des soignants et la formation continue sont une nécessité éthique. Un
impératif compatible avec une recherche de rationalité économique des choix de santé.
Nadège Bourvis est étudiante à l'Ecole normale supérieure et à la faculté de médecine Saint-Antoine à Paris.
Article paru dans l'édition du 18.08.06
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