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Banque du Sud, contexte international et alternatives(PNG)
par Éric Toussaint
5 août 2006
Document préparé pour le séminaire de l’Observatoire international de la dette qui se tiendra à Caracas du 22 au 24 septembre 2006 :
1. Deux grandes tendances opposées sont en action à l’échelle internationale
2. Contexte économique international en 2003-2006
3. Alternatives potentielles
4. La Banque du Sud et le Fonds monétaire du Sud
5. Perspectives futures de l’économie
6. Conclusions
1. Deux grandes tendances opposées sont en action à l’échelle internationale
La tendance qui domine aujourd’hui, à l’œuvre depuis 25 à 30 ans, consiste en la poursuite de l’offensive capitaliste néolibérale et impérialiste. Dans les dernières années, cette tendance s’est exprimée par le recours de plus en plus fréquent à des guerres impérialistes, l’augmentation de l’armement des grandes puissances, la poursuite du renforcement de l’ouverture commerciale des pays dominés, la généralisation des privatisations, une attaque systématique contre les salaires et les mécanismes de solidarité collective conquis par les travailleurs. Tout cela fait partie du Consensus de Washington. Une contre tendance se développe depuis la fin des années 1990. Sa forme la plus avancée s’exprime (presque) uniquement en Amérique latine : l’élection de présidents prônant une rupture avec le néolibéralisme (ce cycle a commencé avec l’élection de Hugo Chavez fin 1998) ou tout au moins un aménagement de celui-ci ; la suspension du paiement de la dette extérieure publique due aux créanciers privés par l’Argentine à partir de fin décembre 2001 jusqu’à mars 2005 ; le début de récupération du contrôle de l’État sur de grandes entreprises publiques (PDVSA) et sur les ressources naturelles (gaz naturel en Bolivie) ; l’échec de l’ALCA ; la réduction de l’isolement de Cuba... Cette contre tendance serait inconcevable sans les puissantes mobilisations populaires qui se sont opposées à l’offensive néolibérale dès les années 1980 (février 1989 à Caracas) à différents endroits de la planète et qui ont explosé depuis de manière périodique. La résistance que rencontre l’impérialisme en Irak, en Palestine et en Afghanistan joue également un rôle fondamental.
2. Contexte économique international en 2003-2006
La crise qui a frappé l’économie des États-Unis en 2000-2001 a été surmontée par une politique anticyclique volontariste de la Banque centrale qui a abaissé radicalement son taux directeur l’amenant à un niveau proche de zéro. L’objectif poursuivi : éviter que la faillite d’Enron et de Worldcom ne s’étende à d’autres grandes entreprises privées très endettées. La réduction radicale des taux d’intérêt a permis aux entreprises de refinancer à moindre coût leurs dettes. Il en a été de même pour les ménages nord-américains dont le niveau d’endettement avait atteint un sommet historique (130% du revenu annuel). L’ensemble des dettes publiques et privées aux Etats-Unis dépasse 37.000 milliards de dollars. Les États-Unis ont pu surmonter la crise et ont retrouvé un niveau de croissance soutenu par la consommation intérieure qui a été alimentée et financée par l’extérieur. La récupération économique aux États-Unis a eu lieu alors que la croissance en Europe et au Japon était très faible. Les États-Unis ont dès lors joué le rôle de locomotive économique mondiale en 2002-2003. La consommation des États-Unis implique un fort recours à des importations, notamment de produits chinois. La locomotive états-unienne a entraîné la Chine dans son sillage. La Chine a maintenu ainsi un taux de croissance proche de 10%. Les besoins chinois en combustible et en matières premières ont dopé les prix de ces produits sur le marché mondial. Selon la Banque des règlements internationaux (BRI [1]), en 2005, « la Chine a représenté plus de 57% de la demande supplémentaire d’aluminium, 60% de celle de cuivre et plus de 30% de celle de pétrole » [2]. À partir de 2003, on a assisté à une forte hausse des prix réels du pétrole, des autres matières premières et de certains produits agricoles. Dans le même temps, les prix des produits manufacturés ont connu une hausse assez modeste. C’est pourquoi nous vivons une conjoncture internationale caractérisée par une amélioration des termes de l’échange en faveur des pays en développement exportateurs de matières premières, de combustible et de certains produits agricoles. Cela tranche avec plus de vingt ans de dégradation des termes de l’échange [3] au détriment des PED. Dans le cas de l’Amérique latine, à partir de 2003, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Pérou et le Venezuela ont tous bénéficié d’une forte hausse des prix de leurs exportations [4].
Cette amélioration des termes de l’échange a provoqué une augmentation énorme des réserves de change dont disposent les PED. Plus de 130 d’entre eux (sur 165) en effet ont connu une hausse de leurs réserves. Entre 2000 et avril 2006, les réserves de change de l’ensemble des PED — parmi lesquels figurent les pays de l’ex-bloc soviétique — ont été multipliées presque par 3 (passant de 973 à 2679 milliards de dollars). Les réserves de change des PED exportateurs de pétrole ont été multipliées par 4 (passant de 110 à 443). Celles de la Chine ont été multipliées par plus de 5 (passant de 166 à 875). Plus modestement, celles de l’Amérique latine ont augmenté de 40% pendant la même période.
L’encours total mondial des réserves de change atteignait en décembre 2005, selon la BRI, l’équivalent de 4170 milliards de dollars (dont 2/3 en dollars US, le 1/3 restant étant composé d’euros, de yens, de livres sterling et de francs suisses), dont seulement 1292 milliards sont en possession des pays les plus industrialisés. Encore faut-il savoir que les États-Unis ne possèdent que l’équivalent de 38 milliards de dollars (en différentes devises) et la zone euro seulement 167 milliards. Le Japon quant à lui en détient 829 milliards [5]. Les PED n’ont jamais connu une telle situation : ils disposent d’une somme équivalente à plus du double des réserves de change des pays les plus industrialisés. Les réserves de changes des PED sont distribuées de la manière suivante : 60% en dollars, 29% en euros et le reste en yens, livres sterling et francs suisses.
Le FMI, officiellement chargé depuis sa création en 1944 de venir en aide aux pays confrontés à des problèmes de balance de paiement, ne dispose que de l’équivalent d’environ 9 milliards de dollars directement mobilisables. Le total des quotes-parts représentent 300 milliards mais encore faut-il que les 184 membres du FMI mettent ces sommes à la disposition de l’institution. Son portefeuille de prêts ne s’élève plus qu’à 35 milliards. Il fait figure d’un nain par rapport à une vingtaine de PED. Sa situation est d’ailleurs aggravée par le fait que son portefeuille de prêts diminue (et par conséquent ses revenus) suite au remboursement anticipé de la part de plusieurs pays asiatiques, du Brésil et de l’Argentine, bientôt suivis par le Mexique et l’Uruguay.
Au sens propre comme au sens figuré, les PED sont des prêteurs nets à l’égard des pays les plus industrialisés. C’est tellement vrai qu’ils prêtent de l’argent au Trésor des États-Unis et aux pays d’Europe occidentale en achetant leurs bons du Trésor. Les PED détiennent des bons du Trésor états-unien pour un montant qui dépasse plusieurs centaines de milliards de dollars.
Nota bene : La Banque mondiale reconnaît elle-même que les PED sont des prêteurs nets à l’égard des pays les plus industrialisés. Dans le rapport annuel de 2003 de la Banque mondiale intitulé Global Development Finance, on peut lire « Les pays en développement pris dans leur ensemble sont prêteurs nets par rapport aux pays développés » [6]. Dans l’édition de 2005 du Global Development Finance, la Banque écrit : « Les pays en développement sont maintenant exportateurs nets de capitaux vers le reste du monde » [7]. Dans le Global Development Finance 2006, elle revient sur le sujet : « Les PED exportent des capitaux vers le reste du monde, en particulier vers les États-Unis » [8].
Rien que ce constat démontre la futilité de la théorie dominante dans le domaine du développement. En effet, selon la pensée dominante, un des obstacles principaux au développement du Sud [9], c’est l’insuffisance de capitaux. Aussi, afin de se développer, les PED doivent chercher ailleurs les capitaux dont ils ne disposent pas en suffisance chez eux. Ils doivent à la fois s’endetter et attirer les capitaux étrangers.
La politique actuelle en matière de réserves de change est, à bien des égards, absurde car elle se conforme à l’orthodoxie des institutions financières internationales. Au lieu d’utiliser une partie importante de leurs réserves de change pour des dépenses d’investissement et pour des dépenses courantes (dans les domaines de l’éducation et de la santé par exemple), les gouvernements des PED s’en servent pour rembourser leurs dettes ou les prêtent au Trésor des États-Unis ou aux Trésors des pays d’Europe occidentale. Mais cela ne s’arrête pas là, les gouvernements des PED utilisent les réserves en devises comme garantie de paiement futur et contractent de nouvelles dettes auprès des banques privées étrangères ou auprès des marchés financiers. C’est absurde du point de vue de l’intérêt général. Autre politique absurde du point de vue de la Nation, pour prévenir un effet inflationniste lié au niveau important des réserves en devise, le Trésor public des PED s’endette auprès des banques locales afin de retirer de la circulation le surplus de monnaie.
Reprenons les différentes actions mentionnées plus haut.
2.a. Paiement anticipé au FMI. Fin 2005—début 2006, l’Argentine a remboursé de manière anticipée le FMI en utilisant une partie de ses réserves de change. Or l’Argentine aurait été parfaitement en droit de mettre en cause les sommes dues au FMI car celui-ci est responsable d’un ensemble d’actions qui ont porté préjudice aux citoyens argentins et à l’économie du pays. Le FMI a soutenu activement la dictature argentine de 1976 à 1983 qui a commis de manière systématique des crimes contre l’humanité et qui a endetté lourdement le pays pour appliquer un modèle économique contraire à l’intérêt de la Nation. Le FMI a ensuite exigé du régime démocratique qui a succédé à la dictature qu’il lui rembourse les dettes odieuses contractées par la junte militaire. Ensuite, il a dicté des politiques économiques qui ont encore porté préjudice aux intérêts de la Nation et ce, jusqu’à aujourd’hui. L’Argentine était parfaitement en droit de refuser de poursuivre le paiement des dettes au FMI. On pourrait dire la même chose du paiement anticipé des dettes au FMI par le Brésil. En utilisant une partie de leurs réserves pour rembourser le FMI, l’Argentine et le Brésil ont gaspillé une partie de leurs ressources qui auraient pu être utilisées à des fins autrement plus utiles et plus honorables. Une des raisons principales avancées par les gouvernements argentin et brésilien pour rembourser de manière anticipée le FMI était la volonté de retrouver leur liberté d’action. Force est de constater qu’après le remboursement, ils ont maintenu une orientation économique qui est soutenue par le FMI. Par exemple, ils n’ont pas rétabli un contrôle sur les mouvements de capitaux et un contrôle sur les changes.
2.b. Prêts au gouvernement des États-Unis par le biais de l’achat de bons du Trésor La plupart des PED achète des bons du Trésor US. Les montants exacts ne sont pas connus mais cela représente plusieurs centaines de milliards de dollars prêtés au gouvernement des États-Unis. L’argument le plus commun est de dire que les bons du trésor US sont très liquides, cela veut dire que l’on peut les revendre très facilement très vite. On ajoute généralement qu’ils sont sans risque car il est inimaginable que le Trésor US soit à court ou moyen terme en « default ». Il n’en reste pas moins que les PED contribuent ainsi au maintien de la puissance de l’empire US. Les PED donnent au maître le bâton dont il se sert pour les battre et les spolier. En effet, les EU ont un besoin vital de financement extérieur pour financer leurs énormes déficits et maintenir leur puissance militaire, commerciale et financière. S’ils étaient privés d’une partie significative des prêts des PED, la position des EU se trouverait affaiblie. Ajoutons que ceux qui prônent l’achat de bons du Trésor des EU omettent généralement le fait que le dollar évolue à la baisse. Les bons sont rémunérés avec des dollars dévalués. Affirmons tout de suite que l’achat de bons des Trésors d’Europe occidentale, s’ils constituent un moindre mal, ne représente en rien une alternative. Il vaut beaucoup mieux dépenser productivement les surplus de réserve ou les mettre en commun dans une banque du Sud.
Mer 16 Aoû - 19:47 par Tite Prout