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 Dans les coulisses de Bilderberg

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zapimax
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zapimax


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MessageDans les coulisses de Bilderberg

Dans les coulisses de Bilderberg
Messes basses entre maîtres du monde
Chaque année, un club d'initiés se réunit dans le plus grand secret. Enquête exclusive sur un huis clos où tout peut se dire mais d'où rien ne doit sortir.

Par Christian LOSSON et Jean QUATREMER et Pascal RICHE
mardi 05 août 2003


e jour-là, Versailles et son château rejouent Fort Chabrol. Ballets de motards de la police, entourés des forces spéciales nanties d'une oreillette. Des hommes en costume s'extraient de limousines aux vitres fumées. L'accès au Trianon Palace est verrouillé, les voitures fouillées. Motif : «Symposium international». A quel sujet ? «C'est pas pour vous», évacue un homme des services de sécurité occupé à passer un miroir sous une voiture. Ce jeudi 15 mai 2003, une centaine de «global leaders» s'enferment, jusqu'au dimanche, pour discuter des «choses du monde». Le saint du saint des clubs mondiaux, la Mecque du gotha mondial, «le top du top» des séminaires de réflexion, prend ses quartiers annuels à l'abri des regards. Bienvenue, pour la centaine d'élus, au «Bilderberg».

Les «privilégiés» de ce raout euroaméricain sont des hommes politiques de haut rang (du numéro deux du Pentagone, Paul Wolfowitz, à Dominique de Villepin, ministre français des Affaires étrangères, en passant par Valéry Giscard d'Estaing, président de la Convention européenne) ; des patrons de multinationales (les PDG de Thales, Axa, Nokia, Daimler Chrysler, Novartis...) ; des gouverneurs de banques centrales (du Français Jean-Claude Trichet au Norvégien Svein Gjedrem) ; des journalistes acceptant la règle de l'omerta (Newsweek, The Financial Times, La Repubblica, The Economist, Nicolas Beytout pour Les Echos ou Alexandre Adler pour Le Figaro) ; des têtes couronnées (l'Espagnol Juan Carlos, la reine Béatrix des Pays-Bas) ; des Premiers ministres (le Danois Anders Fogh Rasmussen et le Portugais José Durao Barroso) ; des experts (le juge antiterroriste Bruguière, des membres de l'Ifri ­ Institut français des relations internationales ­ ou de la Brookings Institution, un centre de recherches de Washington). Pendant trois jours, tout ce beau linge discute postguerre en Irak, lutte contre le terrorisme, institutions internationales, Convention européenne, etc. «Sans langue de bois, sans diplomatie, en toute franchise», note un participant. «Prendre un verre au bar avec Kissinger ou Wolfowitz, sans risquer d'être dérangé, c'est sympa, non ?», se ravit encore Pierre Lellouche, député UMP, un des rares politiques français invité.

Ce huis clos pour «happy few» se réunit chaque printemps dans une ville différente, du jeudi soir au dimanche midi, invariablement. Et, à chaque fois, dans un lieu tenu secret le plus longtemps possible. Pas de site Internet, pas de conférence de presse. Surtout, les conférenciers sont tenus à un strict embargo sur les propos qu'ils ont pu tenir ou entendre lors ces réu nions... Le moindre écart, et ils se retrouvent «blacklistés». «La franchise est la règle du jeu», explique le Belge Etienne Davignon, qui préside le comité d'organisation du groupe du Bilderberg. «Elle est possible car on est discret. Personne n'embarrassera personne.» L'idée est que «les dirigeants du monde puissent se parler en privé», souligne un Américain. «Si Bilderberg a du succès, c'est parce que chacun juge utile d'entendre autre chose que ce qu'il entend d'habitude autour de lui, ajoute Etienne Davignon. Ces gens très occupés savent qu'ils vont retirer quelque chose de leur déplacement.» Et ça n'est possible que hors micro. Leitmotiv des participants interrogés : «Je ne peux rien vous dire, ce serait tellement contraire aux usages...»

«Les armes de destruction massive, c'était du pipeau»

Et pourtant, il s'y dit beaucoup de choses «substantielles», selon Pascal Lamy, l'un des trois commissaires européens présents à Versailles. Le 17 mai, alors qu'on était au plus froid de la crise franco-américaine, Dominique de Villepin s'est offert une fracassante sortie devant un parterre de faucons (Bolton, Wolfowitz, Perle), messagers de la ligne néoconservatrice de l'administration Bush. A quinze jours du G8 d'Evian, le ministre des Affaires étrangères aurait pu profiter de l'occasion pour resserrer les liens transatlantiques mais, quand il prend la parole, il commence par citer une pensée antifrançaise prêtée à Richard Perle («J'aime la France, son vin, sa nourriture. Quel dommage que ce ne soit pas un zoo !»), pour mieux justifier la position antiguerre de Paris sur l'Irak. Un témoin raconte : «Villepin leur a alors dit quelque chose comme : le Pape et la France, en s'opposant à la guerre, ont permis d'éviter le choc des civilisations. Au lieu de nous demander des excuses, vous devriez nous être reconnaissants.» «Les Américains ont été sciés», reconnaît Etienne Davignon. «Au moins, il a commencé par citer le Pape avant de se citer lui-même», raille un Américain. Un proche du chef de la diplomatie française se marre : «Il fallait être franc et provocateur, non ? Eh bien, on a été franc et provocateur.» Un autre membre de son entourage reconnaît que le ministre a «refusé de se présenter la corde au cou comme les bourgeois de Calais, tels que les Américains s'y attendaient au lendemain de leur entrée à Bagdad. A l'époque, ça paraissait très décalé, aujourd'hui, ça ne l'est plus».

Quant aux «néocons» (néoconservateurs américains), ils en rajoutent une couche sur l'intervention américaine. Un participant se rappelle : «Les armes de destruction massive, c'était un pipeau, selon eux. Du politiquement correct vis-à-vis de l'ONU. Il fallait cogner pour montrer que les Etats-Unis n'accepteraient plus que le terrorisme dispose d'une base nationale. L'Irak était le meilleur client, car le plus faible.» Lors d'une table ronde, John Bolton, sous-secrétaire d'Etat chargé du contrôle des armements et de la sécurité nationale, a balayé les institutions internationales d'un revers de main. «Notre constitution prévoit que nous sommes responsables devant le peuple, pas devant l'ONU...» Un habitué du Bilderberg résume : «La passe d'armes était tellement violente que les Premiers ministres portugais et danois, pourtant proaméricains, se sont retrouvés aux côtés des Européens pour combattre cette vision du monde.» Avant de conclure : «Les Etats-Unis ont changé de logiciel et le monde ne s'en est pas encore rendu compte.»

«Davos, c'est moins élitiste, ça creuse moins les sujets»

Loin des paillettes du forum de Davos, Bilderberg a ses fans. «Davos, c'est moins élitiste, ça vise à travailler les réseaux. Ça creuse moins les sujets, ça laisse juste une impression sur l'état d'esprit mondial, résume l'un d'eux, douze éditions à son compteur. Bilderberg, ça va au fond des choses, ça parle géopolitique, stratégie.» La station des Grisons, en Suisse, tient, pour les habitués du Bilderberg (les «BB's» pour les initiés), du raout un peu «trop couru», une «foire», un «supermarché». Avec «des stands, du chahut, et beaucoup trop de contestation», souffle Ernest Antoine Seillière, le patron des patrons français, BB's pendant dix ans. Chez Bilderberg, en revanche, «on est chez Hermès», confie Pascal Lamy. Ses membres se veulent les grands des grands de ce monde. La noblesse de la pensée, pas la bourgeoisie qui croit tout acheter avec ses dollars. Comme le résume un membre influent : «A Davos, on paie pour voir et se faire voir. Au Bilderberg, on y vient pour entendre sans se faire voir.»

Les BB's se réunissent depuis près d'un demi-siècle (1) à l'abri des regards. Après deux ans d'ébauche, une première rencontre a lieu en mai 1954 à l'hôtel Bilderberg à Oosterbeek, à l'initiative du prince Bernhard des Pays-Bas. «Il souhaitait associer sa fille, Béatrix, aux discussions sur l'Etat de la planète, raconte Thierry de Montbrial, directeur de l'Ifri, habitué des rencontres depuis 1974. «Les têtes couronnées ont place dans ce club, mais elles ne prennent jamais la parole.» L'idée est de réunir des membres de l'Otan pour discuter à huis clos de la politique internationale des alliés, particulièrement des relations transatlantiques. «Il fallait éviter qu'elles fluctuent au gré des crises», poursuit Etienne Davignon. Ce n'est pas un hasard si les fondateurs du Bilderberg sont d'ailleurs les mêmes que ceux qui ont donné naissance à l'OCDE. De Jozef Luns à Lord Robertson, en passant par Lord Carrington ou Javier Solana, tous les secrétaires généraux de l'Otan ont été des membres de ce sélect conclave planétaire.

«C'est très blanc, très Wasp, et on assume»

Ce «noyau dur» du monde occidental ne s'est jamais ouvert à des «global leaders» d'autres continents. «C'est très blanc, très Wasp, et on assume», n'hésite pas à dire un Français. Très anglo-saxon, comme tous les grands clubs planétaires. «Les Latins sont nuls dans ce registre», résume un patron français. Le Bilderberg s'efforce de faire tourner 40 % de son effectif. Histoire d'être sans cesse à la pointe du gotha. «Ça évite la fossilisation», estime Montbrial. Le choix des invités obéit à un système de quota par nationalité, les grands pays ayant droit à une plus forte représentation. Et attention : chaque invité paye ses frais et personne n'est rémunéré pour son intervention.

Tout s'articule autour de trois cercles. Le plus resserré : le comité d'organisation, assuré par un président (le poste est occupé depuis 2000 par Etienne Davignon, vice-président du conglomérat Société Générale de Belgique) et un secrétaire général, basé aux Pays-Bas. Puis l'inner circle, constitué de quatre personnes, dont David Rockfeller. Enfin, le comité de pilotage (steering committee), de quinze à dix-huit personnes, dont deux Français, Bertrand Collomb (PDG de Lafarge) et André Lévy-Lang (ex-PDG de Paribas). Faire partie des BB's, «c'est déjà énorme», dit l'un d'eux, mais intégrer le comité de pilotage, ceux qui choisissent de coopter les nouveaux, c'est toucher au Graal.

Ce petit monde trié sur le volet se retrouve, une fois la réunion débutée, en rang, par ordre alphabétique. «Du souverain au roturier», résume Nicolas Beytout, le patron des Echos. Ce qui crée des liens. «Moi, j'ai toujours été assis à côté de David Rockfeller, raconte le baron Seillière. Sympa, vraiment. Un jour, je lui ai demandé s'il voulait resserrer des liens avec l'Europe... et prendre 10 % de mon groupe. Il a accepté. Rockfeller, ça fait glamour, non ?» Les réunions, toutes plénières, durent quatre-vingt-dix minutes. Elles sont animées par un modérateur, qui introduit la discussion pendant dix minutes, avant de laisser la parole aux participants. Le tout en anglais : c'est plus chic et ça évite de payer des interprétations simultanées. Puis commencent les échanges. Une lumière rouge s'allume quand une prise de parole dépasse les quatre minutes. Mais entre «gens de ce monde», dit un patron, «elle ne reste pas longtemps allumée, les BB's ont du savoir-vivre».

Les journalistes sont l'un des ciments du Bilderberg. Deux rédacteurs de l'hebdomadaire britannique The Economist jouent les scribes (à Versailles, c'est Gideon Rachman, correspondant à Bruxelles, qui s'y est collé). Ils compilent des actes de ce colloque un peu particulier où les propos ne sont «pas attribués», selon la formule. Les autres journalistes, eux, «ne sont pas invités en tant que tels, mais comme leaders d'opinion, précise un membre du comité de pilotage. Et ils sont priés de poser leur casquette à l'entrée». «Tous les grands directeurs de journaux du monde y ont été conviés au moins une fois», résume un des organisateurs. Mais aucun de ces médias, à l'exception, notable, de The Economist il y a dix-sept ans, n'y a consacré le moindre article. Comme le résume Nicolas Bey tout : «Le Bilderberg, c'est une superbe réunion, très méconnue, et qui gagne à le rester !» Tant pis pour l'information des citoyens. «Pourquoi n'y a-t-il pas d'articles sur le sujet ? s'interroge Lévy-Lang. Mais parce qu'il n'y a rien à dire. Une fois qu'on a dit comment ça marche et que rien ne s'y décide...»

Rien ne s'y décide formellement, peut-être. Mais il s'y élabore du consensus parmi les élites politico-médiatico-économiques. Les participants ne se perdent pas en conjecture sur les vertus du libéralisme ou du libre-échange : elles vont de soi. Dans l'enceinte du club, on ne risque pas de s'étendre sur la fracture mondiale ou la montée en puissance des ONG. D'autant que les VIP du Bilderberg s'avèrent aussi des VRP multicartes. Beaucoup se retrouvent dans d'autres cénacles (lire encadré). Autant de rencontres souvent fermées qui scelleraient, selon leurs détracteurs, l'évolution des politiques internationales ou les agendas des réunions du FMI, de la Banque mondiale, de l'OMC, voire du G8. C'est la thèse d'un réseau de chercheurs altermondialistes, le Corporate European Observatory, qui l'a étayé dans un livre (2). «Le Bilderberg illustre la collusion structurelle entre l'élite des affaires et l'élite politique et médiatique», estime le Belge Geoffrey Gueuns, de l'université de Louvain (3), qui a travaillé sur la structure sociologique de ces clubs. Davignon ne le nie absolument pas : «Bilderberg a préfiguré le mélange, qui est aujourd'hui plus répandu, entre les politiques, les entrepreneurs, les universitaires et les journalistes.» Un pilier du club nuance : «On invite des gens de gauche. Sweeney, le président de l'AFL-CIO, est déjà venu. Jospin, Strauss-Kahn et Fabius aussi.» Pas de quoi tenir lieu de think tank gauchiste. Seillière lance, amusé : «C'est vrai que c'est pas Attac !»

«Une coterie de ploutocrates, une internationale de la magouille»

Les critiques les plus radicaux prêtent un rôle «décisif» au Bilderberg. L'opacité de ce club privé a un prix. Elle alimente les fantasmes de «conspirateurs» et laisse libre cours à des coïncidences troublantes (4)... James P. Tucker, un Américain militant de droite, consacre ainsi son énergie à pister et dénoncer cette «coterie de ploutocrates, une internationale de la magouille, financée avec l'argent du contribuable», souffle-t-il entre deux bouffées de cigarettes sans filtre. En mai, il logeait dans un hôtel à deux pas du Trianon, à Versailles, dans l'espoir de récupérer un dossier, une info. A 68 ans, Tucker se définit comme un «nationaliste», un «réac de droite», proche de Pat Buchanan, homme politique américain ultraconservateur. Il émarge au Spotlight, un hebdomadaire au vitriol, populiste et ultralibéral. Il ne faut pas pousser Jim Tucker trop loin pour qu'il liste l'impact du Bilderberg, façon X-Files. A l'écouter, en 1956, les BB's auraient participé à la gestation du Traité de Rome. En 1975 à Cesme (Turquie), Margaret Thatcher y aurait été adoubée avant même d'être Premier ministre ; puis torpillée, en raison de son opposition à l'euro. En 1991 à Baden-Baden, un gouverneur américain alors inconnu, Bill Clinton, aurait été intronisé comme futur président de son pays. En 2002, Donald Rumsfeld, secrétaire d'Etat américain à la Défense, y aurait planifié l'intervention en Irak. Et en 2003, à Versailles, Giscard aurait réservé aux BB's l'avant-première de sa Constitution européenne...
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