dimanche 23 juillet 2006 (21h53) :
« Le communisme de Chávez est en train de nous tuer ! »
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En écoutant une conversation entre trois personnes âgées, à Baruta, dans l’Est de Caracas, lieu de résidence d’une partie de la classe moyenne caraqueñene, nous fûmes pris de stupeur. En effet, pour ces trois personnes, « le Communisme de Chavez est en train de nous tuer ! ».
L’inexactitude du terme utilisé est d’abord frappante. Il n’a jamais été question au Venezuela, pour l’instant tout du moins, de collectivisation des moyens de productions ou de nationalisation des banques privées. Les expropriations que fait le gouvernement sont, en réalité, un processus de négociation ou au final, l’exproprié accepte l’indemnisation financière que lui propose « l’Etat expropriateur ». Déduisons en que par « communisme de Chavez », ces trois personnes entendaient parler des stéréotypes sur ce paradigme économique et social, et craignaient par là « la fin de leurs privilèges particuliers ».
Par classe moyenne, nous entendons ici les classes moyenne-moyenne et moyenne-supérieure qui s’opposent au gouvernement sur la base de la même sentence que celle des trois personnes de Baruta. Il nous semble donc intéressant d’énumérer certaines actions que le gouvernement “communiste de Chavez” avait entreprit en direction de la classe moyenne vénézuelienne, pour voir en quoi il « est en train de [la] tuer » ou plutôt en quoi les privilèges de cette minorité sont en train de disparaître.
La vie en rose continue
Alors que 911.250 vénézueliens en situation d’extrême précarité bénéficient d’un déjeuner et d’un dîner gratuits dans une des 6075 « casas de alimentación » qu’a mis en place le gouvernement bolivarien, c’est aussi l’heure de pointe dans les nombreux restaurants du Centre Commercial Sambil, de Las Mercedes, de Altamira, de El Paraiso ou dans les « tascas » du quartier La Candelaria. Ces restaurants ne désemplissent pas, et connaissent une affluence dense et régulière du lundi au lundi, midi comme soir. Dans les « tascas » du quartier La Candelaria, le whisky et les aliments d’importation espagnole abondent. On y déguste sans compter paella, chorizo, chipirones et toutes les riches saveurs du pays ibérique. Des personnes élégantes, qu’on imagine mal sortir d’un supposé goulag, restent suspendues à leurs téléphones portables dernier cri (entre 700.000 et 1.200.000 bolivars-respectivement 235$ et 558$). Il s’agit ici de ces merveilles technologiques, qui permettent d’envoyer ou recevoir des vidéos, photos, musique,... et qui sont en rupture de stock dans les points de vente malgré leur prix élevé (bien au dessus du salaire minimum mensuel qui se situe à 465.750 bolivars-216$). La demande ayant largement submergé l’offre, les demandeurs sont obligés de s’inscrire sur liste d’attente. Dans l’un de ces restaurants espagnols, La Cita, le visiteur est accueilli à l’entrée, par une pata negra, le fameux jambon espagnol. Son prix élevé (46 dollars les 150 grammes) ferait réfléchir plus d’un vénézuélien. Mais les martyrs du communisme de Chavez s’arrachent cette ambroisie catalane. A tel point que le jambon de 8 kilos est remplacé toutes les trois semaines.
Ceux dont le passage dans un de ces nombreux restaurants n’est que le prélude à une nuit de divertissements peuvent jouir des nombreuses tournées internationales des derniers groupes à la mode, en visite dans un pays où, selon l’opposition, s’est perdue la liberté d’expression. Moby, Shakira, Black Eyed Peas, The Rasmus, Juanes, Ricky Martín, Jamiroquai, Jennifer Lopez, pour ne citer que quelques uns de ces artistes, ont tous joué devant les 15.000 personnes que peut contenir le Poliedro, la plus grande salle de concert de Caracas. Le droit d’entrée de ces spectacles, très vite complets comme on peut s’imaginer, varie entre 75.000 bolivars (35$) et 100.000 bolivars (46$).
Ces quelques exemples illustrent que le train de vie de la classe moyenne vénézuelienne n’a pas connu de chute vertigineuse depuis l’arrivée au pouvoir de Hugo Chavez. Bien au contraire.
Le gouvernement stoppe la paupérisation des classes moyennes
En 1994, sous le gouvernement de Rafæl Caldera, eut lieu une crise bancaire comme celle que l’Argentine a connu fin 2001. Des milliers de vénézueliens perdirent leurs économies, englouties dans ces « dommages collatéraux » du néolibéralisme. Engloutis aussi furent les restaurants, le whisky, les week-end à l’île Marguerite ou à Miami, les concerts... Ce fut grâce aux efforts déployés par le « communiste » Chavez que les classes moyennes sortirent de leur tourmente. Le gouvernement bolivarien s’acquitta des erreurs économiques de son prédécesseur et remboursa leurs économies à la valeur du bolivar d’alors.
Lorsque le lock-out de l’hiver 2002-2003 s’est terminé par l’échec de l’entreprise de déstabilisation, un nombre non négligeable de petits commerçants, qui avaient aveuglement suivi l’opposition se sont retrouvés ruinés. En ouvrant le rideau de fer qu’ils avaient baissé durant deux mois (et notamment durant la période des fêtes de fin d’année), ils trouvèrent les partis auxquels ils avaient fait confiance sourds à leurs appels au secours, et un gouvernement qui leur tendait la main avec sa politique de micro-crédit, grâce à laquelle beaucoup purent se remettre à flots.
Le gouvernement du « communiste » Chavez a maîtrisé l’inflation, les taux d’intérêts chutèrent de 15,7% en 2005. Les députés « communistes » de l’Assemblée Nationale, déposèrent une plainte devant le Tribunal Suprême de Justice et réussirent, par là, à faire supprimer les Crédits indexés qui permettaient aux banques de toucher des intérêts sur les intérêts des prêts octroyés.
Selon la Banque Centrale Vénézuélienne, le pays de Bolivar a connu lors de l’année 2005 une croissance économique de 9.3%, ce qui confirme les bons résultats de l’année précédente. Or si l’on en juge la faible croissance de l’économie pétrolière (2,7%), on peut penser légitimement que cette bonne nouvelle économique a eut une retombée positive pour les classes moyennes et supérieures. Le P.I.B a, quant à lui, augmenté de 2,1%.
Fin août 2005, le gouvernement bolivarien décida, à travers le programme Venezuela Movil, de supprimer la TVA (14,6%) sur 12 marques de voitures « à usage familial » (Chevrolet Aveo, Ford Ka, Hyundai Accent, Renault Twingo, ...) ainsi que d’octroyer des prêts a faible intérêt pour favoriser l’achat de ces véhicules. Le prix de ces voitures oscille entre 16.800.100 bolivars (7800 dollars) et 21.500.000 bolivars (10.000 dollars), c est à dire pour cette dernière 47 fois le salaire minimum !
Cette mesure, qui n’était pas tournée vers les classes populaires, a eu un succès retentissant. A la fin du mois de décembre, c’est à dire 4 mois après le début du programme, 210.000 véhicules neufs ont été vendus dans le pays du « communiste » Chavez. Beaucoup d’autres citoyens se sont inscrits sur des listes d’attentes dès octobre 2005 pour pouvoir profiter de l’offre en mai 2006, la capacité des assembleurs nationaux étant dépassée.
Le 10 novembre 2005, le Président Chavez, a annoncé le débloquement de 12 milliards de Bolivars (5.582.000 dollars) qui seront consacrés à des prêts à faible intérêt destinés à l’acquisition d’un logement pour les classes moyennes. « Tout le Venezuela peut être un pays de classe moyenne » déclara-t-il sous les applaudissements des intéressés, présents à l’évènement.
Actuellement sont en construction les métro de Maracaibo, Valencia, Barquisimeto, ainsi qu’une prolongation du métro de Caracas. De même, un système ferroviaire est en construction au Venezuela, il permettra sûrement à cette classe moyenne de pouvoir se déplacer plus rapidement qu’en bus, moyen moins coûteux , bref plus ...populaire.
Le gouvernement a ouvert une compagnie nationale aérienne (Conviasa) qui bénéficiera à ceux qui peuvent se payer un vol intérieur ou un vol international vers la Colombie, Puerto Rico ou l’Espagne. L’ancienne compagnie nationale (Viasa) avait été liquidé par le gouvernement de Caldera, notamment par la frénésie ultralibérale du Ministre de la Planification, « l’ancien guérillero » Teodoro Petkoff. Il est toujours bon de le rappeler.
De même, le gouvernement bolivarien poursuit à travers Barrio Adentro II sa construction d’un réseau de santé totalement gratuit de haute technologie (Clinique populaire, Centre de Diagnostique Intégral, Salle de Réhabilitation Intégrale) qui bénéficient a tous : classes populaires, ou classes moyennes qui ne peuvent ou ne veulent pas payer les prix exorbitants des cliniques privées.
De la même manière, le budget de l’Education Nationale a augmenté entre 2001 et 2005 de 288%, passant dans cette période de 4,3 milliards de Bolivars à 12,4 milliards, c’est a dire 15% du budget total de l’Etat. La récupération d’un système nationale d’éducation de qualité, de même que pour la santé a largement contribué aux classes moyennes.
Le gouvernement bolivarien a inversé la tendance ultralibérale des gouvernements précédents qui condamnait la classe moyenne à la paupérisation. Et pourtant, malgré tout et contre tout, le « communisme de Chavez est en train de la tuer ».
Un rejet d’ordre cognitif
Ce paradoxe est une constante chez les membres de la classe moyenne qui soutiennent l’opposition. Il convient de s’interroger sur la dimension cognitive de cette haine pour le gouvernement.
Une des principales réussites du gouvernement bolivarien est d’avoir réintégré dans le chemin de la citoyenneté et de la dignité des millions de vénézueliens des classes populaires, ignorés par la « démocratie » punto-fijiste. Soudainement, des millions de pauvres ont acquis une visibilité sociale, et chose plus rare, une franche respectabilité de la part des gouvernants, y compris en période hors électorale.
Pour beaucoup de membres de la classe moyenne, accepter Chavez, c’est donc accepter que le Venezuela tel qu’ils se le sont toujours représenté est une image d’Epinal, à cent lieues de la réalité du pays. Il nous est tous arrivé un jour ou l’autre d’être brutalement sorti d’un rêve plaisant par la sonnerie impertinente de notre horloge. Rien de plus désagréable, nous en convenons tous. Le réveil de millions de pauvres fut le réveil-matin des classes moyennes et supérieures. Brusquement, apparaissaient au centre de l’attention politique une foule immense de spectres sociaux qui allaient désormais bénéficier d’un appui gouvernemental. La frustration de ne plus être le centre de l’attention des politiques s’est couplée avec la non-reconnaissance de ces « hordes de sauvages », comme il est de bon ton de les appeler dans les beaux quartiers de Caracas. Ainsi, l’on entend souvent de la part des membres des classes moyennes et supérieures l’argument qui soutient qu’il y a plus de pauvres depuis Chavez. Le nombre de pauvres est en baisse. En revanche, il est vrai qu’ils ne se terrent plus forcément dans leurs barrios, et donc sont plus nombreux à la surface de la visibilité sociale.
Accepter Chavez, c’est accepter que cette pauvreté vienne de quelque part. C’est accepter que sa fortune personnelle s’est faite au détriment de la majorité, aujourd’hui visible et soucieuse de ses droits.
Lun 24 Juil - 16:31 par Tite Prout