Mexique : une aussi longue ingérence US, par Comaguer.
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2 juillet 2006
Des électeurs qui élisent des gouvernements de gauche, des populations qui luttent contre la dévastation de leurs terres, de
leurs économies par le capital transnational, des gouvernements qui se plient de moins en moins aux diktats de Washington
qu’ils viennent de la Maison Blanche, du Pentagone, de la Banque Mondiale ou du FMI, l’Amérique Latine inquiète les
puissants.
Tous les pays n’évoluent pas au même rythme, tous les gouvernements ne sont pas poussés avec la même vigueur par les
mouvements populaires, certains même, mise à part la Colombie qui elle réprime, les redoutent et les freinent, mais cette
tendance est forte et réelle. Au quartier général de la réaction, à Washington on prépare les mesures pour briser ce
mouvement. Dans cette effervescence politique, le Mexique semble un peu en retrait. La droite libérale a pris le pouvoir,
c’est-à-dire la Présidence de la République - dans le système constitutionnel mexicain le Président est très puissant voire tout
puissant - en 2000 et se prépare à affronter en 2006 une gauche qui pourrait l’emporter. Allons y voir de plus prés !
Juin 2005.
Il est certainement mille façons de parler du Mexique, vaste pays, bordé par deux océans, peuplé de 105 millions d’habitants,
foyer de très anciennes civilisations ( aztèque et maya en particulier) et théâtre de moments importants de l’histoire «
moderne » ( au sens où l’entendent les historiens c’est-à-dire depuis 1492 date à partir de laquelle les Aztèques voient surgir
de frêles navires quelques soudards espagnols envoyés à l’aventure par Isabelle la Catholique) et en particulier de l’unique
Révolution ayant eu lieu sur le continent américain.
Notre intention n’est donc nullement de faire un portrait (nécessairement immense à l’image des fresques des muralistes
mexicains - Diego Rivera, Siqueiros..) mais de réfléchir à la capacité de ce pays à vivre à côté de la première puissance
mondiale, partageant avec lui 3500 km de frontière commune, et à la possibilité de conserver un minimum d’indépendance
politique, d’autonomie culturelle et de liberté d’action économique et sociale.
Comment résister à ce voisinage écrasant, à cet impérialisme de plus en plus envahissant ? Comme si, au lieu du sombrero
traditionnel, le Mexique portait en permanence sur la tête une énorme enclume soumise aux coups répétés d’un forgeron
forcené. Comme si le Mexique figurait un géant Atlas fatigué, tenant à bout de bras musculeux mais vieillis un globe terrestre
trop gros pour lui.
ECLAIRAGES
1- Le Mexique rétrécit
Quand en 1776, les 13 premiers Etats fédérés des Etats-Unis proclament leur indépendance, le Mexique n’est encore qu’une
colonie de la couronne d’Espagne. Il ne devient indépendant qu’en 1821 après une décennie de combats dans le grand
mouvement d’émancipation de l’Amérique Latine conduit par Bolivar dans l’hémisphère Sud. Immense, il s’étend depuis ce qui
est aujourd’hui le Costa-Rica jusqu’à des territoires très peu peuplés et qui deviendront dans les futurs Etats-Unis
d’Amérique le Texas, la Californie l’Arizona, l’Utah, le Nevada et le Nouveau Mexique.
En 1823, les petites républiques d’Amérique Centrale prennent leur indépendance mais le jeune pouvoir mexicain a déjà trop
à faire avec son voisin du Nord pour s’en préoccuper. Le voisin du Nord en effet après avoir racheté pour 15 millions de
dollars la Louisiane (une Louisiane immense qui s’étend jusqu’aux grands lacs) à Napoléon devient en effet très gourmand.
Après avoir proposé, chèque à l’appui, une fusion des deux Etats qui en aurait fait, selon les ambitions affichées d’un certain
MONROE qui n’est encore que Secrétaire d’Etat avant de devenir Président, la première puissance mondiale, proposition
rejetée avec dédain par les mexicains, les Etats-Unis, lancés dans leur grande chevauchée vers l’Ouest, se muent en
agresseurs. La guerre va durer plusieurs années, entrecoupée de périodes d’accalmie, mais finalement le Mexique est défait
et, par le traité de GUADALUPE - 1848 - qui fixe la frontière à son emplacement actuel, abandonne à son voisin le territoi re
des Etats cités plus haut, soit quelques 3 millions de km2 (6 fois la France). Sur le moment, cette perte n’est pas ressentie
très cruellement par le Mexique de l’époque car il s’agit à l’époque de territoires très peu peuplés, en partie désertiques.
Quelques noms connus liés à guerre :
Côté mexicain le Général Santa Anna, plusieurs fois président mais pour des durées brèves, côté Etats-Unis le général
Houston président du Texas sécessionniste avant que cet Etat n’intègre définitivement les Etats-Unis.
Pendant cette guerre les Etats-Unis font l’apprentissage impérialiste de la « diplomatie de la canonnière ». En Décembre
1845 La flotte US s’installe devant Vera Cruz et bloque le port pour ralentir les fournitures d’armes européennes et faire
pression sur le gouvernement mexicain, les marines débarquent à Monterrey en 1846 et à Vera Cruz en 1847 d’où ils
commencent leur marche sur la capitale. Bientôt, Le drapeau US flotte sur Mexico.
Dans ces combats les Etats-Unis ont perdu 25000 hommes mais le gain territorial est énorme. En même temps, ils se sont fait
les dents de grande puissance dominatrice sur leur voisin.
Leur démarche dans cette période fondatrice est résumée par l’historien français Thomas Calvo professeur à Paris X, qui
écrit dans l’ouvrage collectif : « Le Mexique face aux Etats-Unis » (L’Harmattan -2004) :
« Déjà les Etats-Unis mettent au point leur diplomatie expansionniste, basée sur l’usure, l’interprétation abusive des textes,
la manipulation cartographique de territoires encore mal délimités et , au bout du compte, une certaine mauvaise foi appuyée
sur la force. » , phrase d’une éclatante actualité
2 - Les intérêts économiques US dominnent
Cependant le traité de GUADALUPE ne calme aux Etats-Unis que les appétits gouvernementaux. Le Nord du Mexique, ses
terres, ses richesses minières sont convoitées par les aventuriers qui sévissent dans les nouveaux Etats annexés et qui n’ont
aucun respect pour les frontières nouvellement tracées. Ils le font sous la bannière étoilée mais sous un contrôle faible ou
nul de l’Etat fédéral. La figure la plus connue de ces personnages est WILLIAM WALKER qui après avoir tenté de
s’approprier la basse Californie (province mexicaine) prend possession du Nicaragua où il devient temporairement chef
d’Etat. Dans le texte qui suit, Il a bien exprimé l’opinion des « gringos » sur les mexicains et autres latinos :
« Ceux qui parlent d’établir des relations durables entre la race américaine pure, ainsi qu’elle existe aux États-Unis, et la
race mêlée indo-hispanique, sans l’emploi de la force ne sont que des visionnaires. Partout où se trouvent face à face la
barbarie et la civilisation, ou deux formes de civilisation, le résultat doit être la guerre. »
Il a ainsi souligné une différence fondamentale entre les deux pays : au nom d’une mythologie de la race pure, les Etats-Unis
se sont bâtis sur l’élimination quasi-totale des indiens alors que le Mexique, lui-même profondément métissé, même s’il a
souvent maltraités et marginalisés les indiens, ne les a pas éliminés, comme si les siècles de civilisation précolombienne qu’ils
portent en eux leur donnaient une fabuleuse capacité de résistance, une sorte de pérennité historique et les protégeaient de
l’extermination.
La pression étasunienne sur le Mexique va se relâcher en raison du conflit entre Nordistes et sudistes qui va déboucher sur
la guerre de sécession. Ce relâchement est perçu en Europe comme une opportunité de reprendre pied sur ce continent si
riche. Napoléon III poursuit à l’époque une politique colonialiste et s’allie avec Maximilien d’Autriche, frère cadet de
l’empereur François Joseph et donc en manque de trône, pour remettre les Habsbourg, ancienne famille régnante en Espagne,
sur le trône mexicain. La bourgeoisie mexicaine est favorable à cette restauration mais la résistance à cette occupation
s’organise autour du général indien, BENITO JUAREZ. Elle reçoit l’appui matériel des Etats-Unis dés que la guerre de
sécession s’achève. Les troupes franco-espagnoles- autrichiennes sont battues, Maximilien fait prisonnier et fusillé. La chute
de Maximilien est l’échec de la dernière tentative des puissances européennes de reprendre pied sur le continent américain .
Il ne restera plus aux Etats-Unis qu’à aider les républicains cubains à chasser l’Espagne - 1898 - pour que le continent entier
échappe à toute autre influence que celle des Etats-Unis.
JUAREZ s’installe au pouvoir et le soutien qu’il a reçu des Etats-Unis fait désormais de ceux-ci une puissance amie.
L’influence étasunienne va désormais prendre un tour plus organisé sous la supervision des deux gouvernements. La page des
aventuriers de western s’achève, place aux investisseurs, aux banques et aux grandes compagnies. Les capitalistes US
ouvrent des mines, construisent des voies ferrées les reliant aux Etats-Unis et se trouvent progressivement à la tête de la
partie moderne de l’économie mexicaine. Cette évolution est grandement favorisée par un basculement de la démographie au
profit des Etats-Unis : grâce à l’énorme apport migratoire consécutif à la ruée vers l’or et à la conquête de l’ouest le pays
compte à la fin du 19° siècle 75 millions d’habitants alors que les mexicains ne sont que 15 millions. La domination des
Etats-Unis devient donc multiforme : territoriale depuis 1848, elle est maintenant démographique, économique et militaire.
Le dictateur PORFIRIO DIAZ, qui reste au pouvoir de 1879 à 1911, favorise cette prise en mains et s’installe en bon gérant
des intérêts US en faisant régner un ordre très brutal sur le Mexique. Comble de bonheur : en 1901, une entreprise
californienne extrait les premiers barils de pétrole mexicain prés de Tampico et cette production va très vite porter le pays à
la troisième place mondiale des producteurs après les Etats-Unis et la Russie.
3 - La main des Etat-Unis dans la révolution mexicaine
Cette main mise des Etats-Unis est très mal acceptée par la population mexicaine et sera une des causes profondes de la
révolution qui débute en 1910. DIAZ est renversé en Mai 1911 et remplacé à la tête de l’Etat par un réformateur modéré :
FRANCISCO MADERO qui veut redonner au Mexique un droit de contrôle sur ses richesses. C’en est trop pour les Etats-Unis
et l’ambassadeur des Etats-Unis à Mexico favorise un complot contre MADERO. FELIX DIAZ, neveu du dictateur, et le
général HUERTA renversent le gouvernement et exécutent MADERO le 22 février 1913. HUERTA prend le pouvoir. Ce coup
d’état orchestré par les Etats-Unis - on voit que le renversement d’ALLENDE , 60 ans plus tard, a eu des précédents - attise
le feu révolutionnaire. Entrent alors en scène CARRANZA, PANCHO VILLA, FRANCISCO ZAPATA, personnages célèbres, à
la tête de mouvements et de forces politiques diverses qui mèneront avec succès la guerre contre HUERTA mais ne
s’unifieront pas sur un programme révolutionnaire. Leur campagne militaire est paradoxalement soutenue par les Etats-Unis
qui après avoir favorisé HUERTA changent brusquement de cheval. En effet le personnage HUERTA n’est pas en lui-même
bien reluisant mais surtout il se met à rechercher l’appui des puissances européennes pour sauver son régime et se propose
d’ouvrir les champs pétroliers mexicains aux anglais. En stricte application de la doctrine MONROE : « L’Amérique aux
américains » (lire l’Amérique aux Etats-Unis), il faut lâcher HUERTA. C’est ce que va faire le nouveau président US
WILSON. Le 22 Avril 1914, les marines débarquent à nouveau à Vera Cruz ; marchent sur Mexico et font basculer le pouvoir
du côté des révolutionnaires. La bannière étoilée flotte une nouvelle fois sur Mexico. HUERTA s’enfuit en Juillet 1914. Reste
à faire le tri entre les insurgés. WILSON choisit évidemment le plus modéré : CARRANZA, il suspend toute fourniture
d’armes à l’armée du Nord de PANCHO VILLA et aux zapatistes et la nce ses troupes à la poursuite de PANCHO VILLA. Cette
poursuite est interrompue par l’entrée en guerre des Etats-Unis en Europe en 1917 mais l’élan révolutionnaire est brisé.
Mar 4 Juil - 23:10 par mihou