lundi 5 juin 2006
. La brutale interpellation dont a été victime lundi dernier cette mère
de famille malienne est à l’origine des deux jours de tensions qu’a connus la
cité des Bosquets à Montfermeil. Nous publions ici son témoignage paru dans le
journal L’Humanité.
« Ils nous ont traités comme on traite des cochons ! » Komotine Coulibaly se
lève du canapé et va saisir un sac en plastique blanc, rangé en haut de
l’armoire du salon. Dedans, un chemisier et une jupe en jean. « Ce sont les
affaires que je portais ce jour-là. Vous voyez, on sent encore l’odeur du gaz
lacrymogène... » Komotine, c’est cette mère de famille malienne dont la brutale
interpellation, lundi 29 mai, a mis le feu aux poudres à Montfermeil
(Seine-Saint-Denis). Deux jours après, elle se dit encore sous le choc. Effarée
par l’attitude « provocante » et « humiliante » des policiers.
Les visites dans son appartement de la cité des Bosquets ont débuté une bonne
semaine auparavant. Les pandores du commissariat de Gagny recherchent alors son
plus jeune fils, Mamadou, seize ans, soupçonné de « tentative d’effraction »
(des carreaux brisés) dans deux pavillons proches du quartier. À plusieurs
reprises, ils viendront toquer, aux aurores, à la porte de Komotine, histoire de
coincer l’adolescent. En vain.
Et pour cause : Komotine, qui vit seule avec ses six enfants, gagne sa vie en
faisant des ménages à la Défense, à l’autre bout de Paris. Chaque matin, elle se
lève à 4 h 30 et rentre vers 10 h 30. Avant de repartir en fin d’après-midi,
pour finalement se coucher vers 22 h 30. « Ils venaient tout le temps aux
horaires où je n’étais pas là ! » s’agace la maman.
Le vendredi 26 mai, l’affaire s’accélère. Vers 15 heures, les policiers
reviennent une nouvelle fois à l’appartement. Cette fois, ils forcent la porte.
Toujours pas de Mamadou, ni personne d’ailleurs. « Et pourtant, ils se sont
quand même permis de tout perquisitionner », s’étonne Komotine. La porte de sa
chambre, fermée à clé, est carrément défoncée.
Finalement, la police interpellera Mamadou le dimanche suivant. Le mineur est
aussitôt placé en garde à vue. Les policiers sont censés avertir ses parents
dans l’heure qui suit. « Et pourtant, je n’ai reçu aucun coup de fil du
commissariat, déplore Komotine. On l’a appris par le bouche-à-oreille des
voisins. »
Le lundi 29 mai, l’affaire dégénère. Il est environ 16 heures. Les policiers
se garent à proximité du bâtiment. Ils sortent avec Mamadou, menotté dans le
dos, et s’engouffrent dans l’immeuble. Komotine ouvre sa porte. L’ambiance est
électrique. « Ils ont cassé ma porte, ils sont venus toute la semaine, et
pourtant ils voulaient encore perquisitionner... Pour moi, c’était de
l’acharnement. »
Le ton monte rapidement. « Un policier m’a réclamé ma carte d’identité. Je lui
ai demandé pourquoi. Il m’a répondu : "Parce que j’ai le droit !" Pourtant, ils
savent parfaitement qui je suis. Ce n’était que de la soumission, il voulait
juste me voir lui obéir. » Ali, un autre de ses fils, s’en mêle. « Il demandait
: "Pourquoi tu fais ça à ma mère ?" » On se bouscule. Exaspérée, Komotine exige
que les policiers s’en aillent. L’un d’eux, dans l’entrebâillement de la porte,
lui lâche : « Tu parles trop, ferme ta gueule. » Avant de projeter du gaz
lacrymogène dans l’appartement.
Komotine est finalement embarquée manu militari. À demi traînée par quatre
agents, la voilà dans la rue, en plein après-midi, menottée et sans chaussures.
Toute la cité est aux fenêtres. Les insultes fusent. « Une fois dehors, ils ont
baissé le pantalon de Mamadou, sans aucune raison, juste pour l’humilier »,
assure la maman. Modimo, un autre de ses fils, est hors de lui. Il s’en prend
aux policiers qui répliquent par des coups de matraque au genou et deux tirs de
Flash-Ball dans le dos. Il s’enfuit.
Komotine se retrouve au commissariat de Gagny. En garde à vue et en piteux
état. Selon un certificat médical, elle souffre de brûlures aux yeux suite aux
gaz lacrymogènes, de douleurs aux cervicales, au bras et au genou. Pourtant,
l’ambiance ne s’apaise pas vraiment. Dans les locaux, on ricane. « Ils me
disaient de "fermer ma gueule’’ parce que mon fils avait fait des bêtises.
Certains se moquaient de mon accent. Quand je disais quelque chose, ils
faisaient exprès de dire : "Quoi ? Qu’est-ce tu dis ?’’ » Elle assure qu’un
autre lui aurait lancé : « On va balayer tous les immigrés de la France. »
Komotine, qui ne sait ni lire ni écrire le français, refuse de signer le PV de
garde à vue. Le policier revient à la charge. « Il m’a assuré que si je signais,
je sortirais le lendemain. » Elle finit par apposer un paraphe, sans savoir,
aujourd’hui encore, ce qu’il y avait d’écrit.
Komotine est finalement ressortie de garde à vue le mardi à 13 heures. En
contact avec un avocat, elle s’apprête à porter plainte.
Laurent Mouloud
http://www.indigenes-republique.org...