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 Anciens combattants d'Afrique:Passeur de mémoire

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mihou
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mihou


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22052006
MessageAnciens combattants d'Afrique:Passeur de mémoire

Anciens combattants d'Afrique:Passeur de mémoire

Anciens combattants d'Afrique
Passeur de mémoire
Philippe Guionie, photographe.(Photo : Philippe Guionie)

Philippe Guionie, 33 ans, photographe, vient de publier un ouvrage consacré aux tirailleurs africains intitulé « Anciens combattants africains » aux éditions Les Imaginayres. Historien de formation, l’auteur ne nous donne pas seulement des photographies à voir mais aussi des textes à lire et des voix à entendre afin que leurs mémoires soient préservées de l’oubli. Il nous raconte ces anciens jeunes gens qui ont combattu pour la France. Militant dans l’âme, Philippe Guionie, quand il n’est pas en Afrique, vit à Paris et à Toulouse. Il développe une photographie sociale et documentaire autour des thèmes de la mémoire.



RFI : Qu’est-ce qui a déclenché l’aventure de ce livre ?

Ousmane Kassé, tirailleur sénégalais. Né à Tivaouane au Sénégal. Musulman. Numéro matricule n° 21 654. Indochine (1954-1956).Commandeur de l’Ordre du Mérite. Croix de Guerre. Croix du Combattant. Médaille de la France d’Outre-Mer. Médaille de la Reconnaissance française. Médaille commémorative d’Extrême-Orient. Titulaire de la Carte du Combattant Pension de retraite du combattant : 68 836 FCFA pour six mois soit 114,94 euros.(Photo : Philippe Guionie)
Ousmane Kassé, tirailleur sénégalais. Né à Tivaouane au Sénégal. Musulman. Numéro matricule n° 21 654. Indochine (1954-1956).Commandeur de l’Ordre du Mérite. Croix de Guerre. Croix du Combattant. Médaille de la France d’Outre-Mer. Médaille de la Reconnaissance française. Médaille commémorative d’Extrême-Orient. Titulaire de la Carte du Combattant. Pension de retraite du combattant : 68 836 FCFA pour six mois soit 114,94 euros.
(Photo : Philippe Guionie)

Philippe Guionie : Cela fait plus de huit ans que je travaille sur la mémoire des anciens combattants africains, ceux que l’on appelle d’un terme générique les « tirailleurs sénégalais ». J’ai parcouru l’Afrique pendant de nombreuses années mais le point de départ, le déclic, a commencé le 10 novembre 1998 le jour où j’ai vu à la Une du journal Le Monde un article intitulé : « Le dernier de la force noire est mort », le dernier tirailleur de la Première Guerre mondiale venait de mourir à l’âge de 104 ans, il s’appelait Abdoulaye N’Diaye. Il est mort à Dakar, à la veille de recevoir la Légion d’Honneur, alors qu’il était en train de choisir son boubou. Cette mort était pour moi un déclic dans la mesure où j’ai pris conscience qu’encore une fois on laissait partir des hommes emportant leur mémoire. Une mémoire qui n’avait pas été inscrite quelque part. Je trouvais que c’était à la fois un gâchis et un sacré pied de nez à la France. A l’époque j’étais étudiant en histoire-géographie à Toulouse. J’avais fait plusieurs longs séjours en Afrique noire et au Maghreb et j’ai eu envie de faire quelque chose par rapport à ceux qui étaient encore vivants c’est-à-dire les « tirailleurs sénégalais » qui ont participé à la Deuxième Guerre mondiale et aux conflits liés à la décolonisation de l’Indochine puis celle de l’Algérie.

RFI : Pourquoi particulièrement les tirailleurs africains ?

PH. G. : J’ai une sensibilité particulière pour l’Afrique. Encore une fois j’y ai beaucoup voyagé, j’y ai travaillé. En tant que photographe j’y vais très souvent. Et puis je m’étais spécialisé dans mes recherches historiques sur la question des « tirailleurs sénégalais ». C’est vrai que pour moi c’est l’une des injustices mémorielles très actuelles, très contemporaines, et j’avais envie de faire quelque chose par les moyens qui sont les miens c’est-à-dire par la photographie et j’ai choisi de m’intéresser à ceux qui sont encore vivants puisque dans quatre ou cinq ans, peut-être un peu plus, on ne pourra parler de ces hommes qu’en terme d’hommes du passé.

RFI : Vous accompagnez votre ouvrage de texte et de parole. Pourquoi ce choix ?

PH. G. : C’est très important. Je travaillais sur un sujet vivant. C’est-à-dire ces hommes et ces femmes -je n’oublie pas les femmes dans l’histoire, les veuves de ces tirailleurs-, sont encore des gens vivants, qui vivent dans la savane, dans le bled, dans les foyers, dans nos quartiers ; ils ont des choses à dire et pour exprimer cette parole, transmettre cette mémoire je voulais qu’il y ait à la fois des photographies, donner à voir, mais aussi des textes, leurs textes et leurs paroles, leurs chants : donc donner à entendre. C’est pour ça qu’à la fois dans l’exposition à Toulouse, qui va voyager par la suite, et dans le livre il y a des photographies bien sûr, des textes, mais aussi un CD joint à l’ouvrage et qui reprend l’ensemble de ces paroles de ces témoignages, des textes et des poèmes de Léopold Sedar Senghor pour que la mémoire bouge enfin.

RFI : Une photo ne parle pas suffisamment ?

PH. G. : La photographie est vraiment magique, elle permet d’inscrire beaucoup de chose sur une surface sensible, la pellicule, mais je voulais, peut-être pour accentuer, pour donner encore plus de véracité et de crédibilité à mon travail, que les gens qui voient ces photographies et découvrent ce travail, entendent par eux-mêmes la parole, les mots de ces anciens combattants africains. Entendre leurs paroles nous conduit peut-être à faire un petit chemin vers eux dans nos mémoires, comme disait Senghor « oublieuses » à leur égard, et prendre conscience qu’ils sont vivants.

RFI : Dans la préface de votre livre vous écrivez : « Je suis photographe et ce ne sont que des photographies ». Quel était le rôle de l’historien que vous êtes dans ce travail ?

Karfa Sané, veuve de « tirailleur sénégalais ». Marié à 14 ans avec Malamine Badji, tirailleur sénégalais. Quatorze ans dans l’armée française. Reversé dans l’armée sénégalaise pour deux ans. Décédé en 1977 ou 1978 à Ziguinchor. Titulaire de la carte du combattant. Pension militaire de veuve payable tous les trois mois.(Photo : Philippe Guionie)
Karfa Sané, veuve de « tirailleur sénégalais ». Marié à 14 ans avec Malamine Badji, tirailleur sénégalais. Quatorze ans dans l’armée française. Reversé dans l’armée sénégalaise pour deux ans. Décédé en 1977 ou 1978 à Ziguinchor. Titulaire de la carte du combattant. Pension militaire de veuve payable tous les trois mois.
(Photo : Philippe Guionie)

PH. G. : Je dis « Je suis photographe et ce ne sont que des photographies » pour bien distinguer que ce livre n’est pas l’histoire du « tirailleur sénégalais » et encore moins l’épopée du « tirailleur sénégalais ». Donc, j’ai mis de côté mon passé d’historien même si dans ma façon de procéder, dans la rencontre, je pense que ma formation nourrit mon travail. Mais l’idée c’est aussi d’apporter de la matière orale et vivante à des historiens qui peuvent être intéressés par ces questions et qui vont les mettre en perspective. J’ai voulu repartir à la source sur le terrain et rester en même temps à ma place c’est-à-dire celle de photographe, ce que j’ai produit ne sont que des photographies même si je collabore avec des historiens et des sociologues. Finalement ce ne sont que 20, 30 histoires d’hommes et de femmes.

RFI : Mais est-ce que ce sujet pouvait vous intéresser autant si vous n’étiez pas historien ?

PH. G. : Je ne sais pas. Je pense que non parce que c’est vrai que je commence à avoir un passé, un passif très fort par rapport à cette histoire. C’est vrai que mon passé d’étudiant en histoire et historien nourrit mon travail mais dans ce que je montre et ce que je dis je veux rester à ma place de photographe, de militant par rapport à la question des pensions et de la retraite des anciens combattants, ainsi que par rapport à leur mémoire.

RFI : Vous travaillez sur une photographie sociale autour des thèmes de mémoire. Comment photographie-t-on la mémoire des hommes ?

PH. G. : Je suis devenu photographe parce que j’aime les gens. Donc j’avais envie de travailler dans la durée, développer une photographie par des hommes et qui s’inscrit dans la durée. La durée c’est le temps qui passe. Et de par ma formation je suis sensible à la mémoire. Traiter la mémoire c’est par exemple s’intéresser aux hommes porteurs de cette mémoire quand ils sont encore présents. Et c’est aussi travailler sur des lieux, des lieux de mémoires dans lesquels il s’est passé des choses. Des lieux où les hommes porteurs de l’histoire sont passés. Dans ce travail, « Les anciens combattants », il y a beaucoup de détails : des documents d’époque, des mains à défaut des visages, des lieux, des lieux de mémoire, des lieux de vie, des maisons, des paysages ou des lieux de mort, des cimetières. Donc pour moi photographier la mémoire est une quête mémorielle, très personnelle également, qui est mise sur une surface sensible à travers des portraits d’hommes et de femmes et de lieux et d’essayer de retrouver l’esprit des lieux.

RFI : Quelle était la réaction des anciens combattants et de leur famille d’abord en découvrant votre projet et par la suite votre travail ?

PH. G. : C’étaient des moments d’intensité très forte. En général quand je vais dans un pays africain, les premiers contacts sont toujours les mêmes c’est-à-dire que je suis considéré, que je le veuille ou non, comme l’envoyé spécial du président Chirac : je suis l’émissaire que la France envoie enfin. Alors, je me sens comme le petit blanc qui est un peu dépassé par les événements à chaque fois. Mais je leur explique ma démarche, je leur explique ce que je veux faire, quel rôle de passeur de mémoire j’essaie d’avoir par la photographie et que je n’ai pas la prétention de résoudre tous leurs problèmes, mais que je vais tout faire pour en parler sur la place publique en France. Il y a alors des temps très forts. Mais le résultat, le livre et le CD, ils ne l’ont pas vu encore. Je m’attends à des réactions très fortes le jour où ils vont découvrir cet ouvrage.

RFI : Pouvez-vous choisir une de vos photos et nous la décrire ?

PH. G. : On voit deux mains d’un ancien combattant qui montre sa photographie de régiment. Alors on voit au milieu de ces deux mains vieillies, patinées, sa photographie d’époque sur fond blanc : lui avec son ami de régiment, en Algérie, en 1959. Ils sont jeunes, lui il est torse nu à gauche, son collègue de régiment, mort en Algérie, est à droite. A côté il y a son livret individuel militaire.


Il s’appelle Boniface d’Oliveira. Il est né en 1938. Maintenant il vit à Cotonou. Son arrière-grand-père était Brésilien. Il s’est engagé volontaire pour quatre ans en Algérie et, après son passage dans l’armée française, il a travaillé dans la gendarmerie de son pays. A côté il y a une sorte de livret militaire. Souvent il ne leur reste que ça : leur document ou leur livret individuel militaire où tout leur parcours d’homme et de soldat est mentionné. Boniface d’Oliveira est un tirailleur béninois photographié à Cotonou en 2000. Cette photo est la couverture de mon livre.

RFI : Y a-t-il une suite à votre travail ?

PH. G. : Dès les mois d’octobre-novembre 2006, je repars en Afrique de l’Ouest parcourir les trois grands fleuves de l’Afrique de l’Ouest c’est-à-dire le Sénégal, le Niger et le Congo qui sont dans cette histoire de l’empire coloniale français à la fois trois chemins, trois itinéraires mais surtout dans cette histoire d’hommes, de « tirailleurs sénégalais », trois déchirures, trois fractures. Je vais reprendre ces trois fleuves à la recherche des anciens combattants africains vivants au bord de ces trois grands fleuves. Donc la suite de ce projet est en cours et je pense que je vais travailler sur cette histoire encore pour cinq ou six ans jusqu’au dernier « tirailleur sénégalais » vivant.

Propos recueillis par Darya Kianpour

Article publié le 08/05/2006 Dernière mise à jour le 08/05/2006 à 14:50 TU
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