Anciens combattants : les indigents indigènes
Patrice Biancone
Dans le dictionnaire, le mot «indigènes» est suivi par le mot «indigent». Une curiosité quand on sait que le film de Rachid Bouchareb a pour premier objectif, de rappeler le «rôle considérable» des soldats maghrébins dans la libération de la France durant la Seconde Guerre mondiale. Leur rôle et bien évidemment, la façon indigne dont ils ont ensuite été traités puisque non seulement les tirailleurs nord-africains n'apparaissent pas, ou peu, dans les manuels scolaires. Mais de surcroît, ils n'ont jamais eu droit à des pensions d'anciens combattants décentes et égales à celles des soldats français pure souche. D'où la curiosité de la proximité des deux termes dans le dictionnaire. Après tout, les anciens combattants en question, les Indigènes de Rachid Bouchareb, ont réellement été transformés en indigents. Ils ont manqué des choses les plus nécessaires à la vie et notamment de la reconnaissance qui leur était due.
On le sait d'expérience, rendre justice n'est pas si aisé. Et de ce point de vue, la France a beaucoup de retard, empêtrée qu'elle est dans son histoire et la reconnaissance de son histoire. C'est vrai en particulier pour son passé colonial qui suscite beaucoup de débats. Il y a ceux qui se considèrent être des victimes et qui réclament réparation et reconnaissance. Il y a ceux qui défendent les bienfaits de la colonisation et qui s'opposent aux premiers. Et puis il y a ceux qui désirent, plus que tout, en finir avec ce qu'ils qualifient de «masochisme national» ce qui a conduit plus d'un historien à s'interroger publiquement pour savoir si le respect de l'autre doit nécessairement conduire à l'effacement de la mémoire nationale et à la culpabilité générale. Autrement dit, la question de notre confrère L'Express est bien d'actualité : faut-il avoir honte d'être Français ? Au-delà du film de Rachid Bouchareb, qui tourne souvent à la caricature, on pourrait répondre qu'à défaut de honte, on peut ressentir des regrets. Ceux que suscitent les décisions de nos responsables successifs qui n'ont jamais su faire la part entre le juste et l'injuste. Entre les moyens qui auraient assuré une vraie cohésion nationale et ceux qui ont conduit au rejet, à la division, voire à la contestation.
Car pour beaucoup, et en particulier de l'aveu même de Djamel Debouze, acteur du film, il était indispensable que l'on raconte cette histoire pour les fils d'immigrés «qui vivent une crise d'identité terrible». Des fils d'immigrés qui ne seraient pas considérés ici en France, pas plus qu'ils ne seraient considérés là-bas, au Maghreb, et qui seraient, nous dit toujours Djamel Debouze, fiers de voir qu'enfin des héros leur ressemblent. Et qu'enfin les choses pourraient changer. Jacques Chirac lui-même a exigé que son secrétaire d'Etat aux Anciens combattants se penche sur le problème des pensions. Il était temps. Nous sommes presque hors délais. Encore faudra-t-il que cette promesse, nouvelle promesse se traduise par des actes.
par Patrice Biancone
[27/09/2006]
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