mercredi 17 mai 2006, 19h09
La proposition de loi sur le génocide arménien met Paris dans l'embarras
http://fr.news.yahoo.com/17052006/5/la-proposition-de-loi-sur-le-genocide-armenien-met-paris.html
PARIS (AP) - Les questions de mémoire et d'histoire font leur retour dans le débat politique. Après la polémique autour de l'amendement sur le "rôle positif" de la colonisation, c'est au tour du génocide arménien de diviser les députés et de plonger l'exécutif dans l'embarras, une proposition de loi socialiste débattue jeudi matin voulant en interdire la négation quitte à provoquer la fureur de la Turquie.
Déposé par le député socialiste Didier Migaud, ce texte veut rendre effective la loi du 29 janvier 2001 reconnaissant le génocide arménien de 1915, en sanctionnant les propos négationnistes. Sur le modèle de la loi Gayssot punissant la négation de la Shoah, serait punie d'un an d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende la contestation de l'existence d'un génocide qui a fait 1,5 million de morts entre 1915 et 1923.
La proposition divise la majorité. Alors que le député UMP de Seine-Saint-Denis Eric Raoult a notamment déposé une proposition de loi similaire, la présidence du groupe a préféré laisser prudemment la liberté de vote à ses troupes.
Ce débat intervient alors que le climat s'est tendu en France entre communautés turque et arménienne. Le mémorial dédié au génocide arménien a été profané le 17 avril à Lyon. Le 18 mars, des nationalistes turcs avaient défilé dans la ville pour s'opposer à sa construction.
Ces événements ont provoqué la colère de plusieurs organisations arméniennes. D'où un lobbying intense pour obtenir l'adoption de la proposition de loi socialiste. Le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF) a ainsi appelé à un rassemblement jeudi matin devant l'Assemblée. Le collectif VAN (vigilance arménienne contre le négationnisme) s'est même payé des pages de publicité dans les journaux pour soutenir la loi.
La Turquie, qui a toujours nié le génocide arménien, n'est pas en reste. Ankara multiplie les pressions pour obtenir le rejet du texte. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a averti des dirigeants d'entreprises françaises en visite en Turquie que les relations franco-turques pourraient être endommagées. La Turquie avait déjà annulé en 2001 des contrats de défense avec Paris de plusieurs millions d'euros.
Une manifestation de protestation a par ailleurs eu lieu mercredi devant le consulat de France à Istanbul.
D'où un embarras certain à Paris. Dans l'entourage de Jacques Chirac, qui s'est entretenu avec M. Erdogan en marge du sommet UE-Amérique latine de Vienne la semaine dernière -on ignore si le sujet a été évoqué- on rappelait "l'attachement du président à ce que le travail de mémoire soit accompli, notamment sur le génocide arménien, dont la reconnaissance a été affirmée par la loi de 2001 qui s'impose à tous".
"Le travail de mémoire pour la Turquie est considéré" par M. Chirac "comme indispensable dans le cadre du travail de prise en compte des valeurs européennes dans lequel ce pays s'est engagé". Toutefois, "la question touche au rôle du Parlement en ce qui concerne l'histoire. C'est une question sensible qui exige une réflexion sereine dans un esprit de responsabilité", ajoutait-on de même source.
L'initiative socialiste a de fait suscité un tollé chez les historiens, qui reprochent aux députés de se mêler une nouvelle fois de l'Histoire. "On s'en prend à la liberté de penser", a estimé mercredi sur RTL Hervé de Charette, président du groupe d'amitié Turquie-France, en rappelant que "il y a quelques semaines" les "socialistes étaient ceux qui demandaient avec le plus d'ardeur" le rejet d'un amendement affirmant le "rôle positif" de la colonisation en estimant que le Parlement n'avait pas à légiférer sur l'histoire.
Dans ce contexte, les députés pourraient juger jeudi urgent... d'attendre. Embouteillage de l'ordre du jour oblige, le vote, voire l'examen du texte, pourrait être reporté sine die. Le CCAF a dénoncé dans un communiqué "un stratagème scandaleux de la présidence de l'Assemblée", qui tente "de compromettre la possibilité d'un vote des parlementaires".
L'historien Halil Berktay, une des premières figures turques à avoir reconnu le génocide, jugeait en tout cas l'initiative contre-productive dans un entretien publié dans "Le Monde" daté de vendredi. En Turquie, "nous sommes en train de créer graduellement les conditions d'un débat normal", a-t-il expliqué. Les effets d'une adoption de cette proposition de loi "seraient désastreux", car "on peut craindre que le Parlement turc n'adopte une contre-loi, criminalisant la reconnaissance du génocide". AP
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