«Mbeki prépare quelque chose»

Le Courrier d’Abidjan - Parution N° 715 du Mardi 16 Mai 2006 - http://news.abidjan.net/presse/courrierabidjan.htm

Silué Nannougou :

« Sortie de crise – La recréation des fauteurs de coups bas dans la crise ivoirienne semble tirer à sa fin. Après un moment de repli stratégique, le président sud-africain Thabo Mbeki va bientôt revenir au premier plan.

La Françafrique croyait avoir réduit au silence le président sud-africain, Thabo Mbeki. Mais selon toute évidence, l’Afrique du Sud s’est mise en retrait de manière volontaire, le temps de bien se préparer pour être plus efficace dans la recherche des solutions du retour à la paix et à la normalité en Côte d’Ivoire. Dans une interview publiée hier par un confrère, l’Ambassadeur d’Afrique du Sud en Côte d’Ivoire, Chief Gwadiso Dumisani met les pieds dans le plat. Il dénonce plusieurs fois le colonisateur, désigne clairement la France comme une des causes réelles de la crise, puis fustige tous ceux qui se plaisent à fabriquer des obstacles pour retarder le processus de sortie de crise : «…Je dois avouer que le conflit ivoirien est très compliqué. La différence fondamentale d'avec l'Afrique du Sud, est qu'ici, il y a beaucoup plus d'acteurs. Et chacun travaille pour préserver ses intérêts. C'est ce qui fait que sur le terrain, les choses piétinent, certains d'entre eux, ayant des agendas secrets. Un élément qui a empiré la situation, c'est la division artificielle qui a été faite entre les Ivoiriens. Il faut être aussi courageux pour dire que la colonisation est pour quelque chose dans ce qui se passe en Côte d'Ivoire», a indiqué sans faux fuyant SE Chief Gwadiso Dumisani.
Au moment où tout le monde se rend compte que le Premier ministre Charles Konan Banny piétine – le quotidien Libération, hystériquement anti-Gbagbo, a été obligé de reconnaître dans son édition d’hier que «la Côte d’Ivoire s’enfonce dans l’impasse électorale» –, l’Afrique du Sud se remet à défendre de façon frontale la Côte d’Ivoire contre ceux qui érigent les obstacles sur la route de la paix. L’Ambassadeur sud-africain s’attaque de manière très claire au Groupe de travail international (GTI) et à la Communauté internationale, et affirme haut et fort qu’elle refuse de s’engager dans la sortie de crise. «Je pense que vous vous souvenez que le 30 août 2005, lorsqu'une équipe de la médiation est allée présenter ses conclusions au Conseil de sécurité de l'ONU, ce rapport a été très clair et honnête, parce que toutes les choses qui devaient être négociées l'ont été. Toutes les lois qui devaient être modifiées pour rester en parfait accord avec la réunion de Marcoussis l'ont été également. Personne ne s'est plaint jusqu'à ce jour. L'article 35 a été amendé comme cela [avait] été demandé; le programme du désarmement avait été accepté par toutes les parties. Toutes les questions avaient été bouclées ; il restait maintenant à mettre en pratique les accords obtenus. Mais la Communauté internationale au lieu de s'engager sur cette voie, a créé un Groupe international de travail (GTI) et une autre médiation. Au jour d'aujourd'hui vous êtes là comme moi en Côte d'Ivoire, dites-moi ce que ces nouveaux groupes sont en train de faire de nouveau. Ils sont en train de revisiter les accords sur lesquels on s'était déjà entendu depuis longtemps. La seule chose que je constate, c'est que les gens ont peur de mettre en pratique les décisions déjà prises. Nous avons donc joué notre rôle pleinement», s’est indigné, preuve à l’appui, le patron de la diplomatie sud-africaine en Côte d’Ivoire. «La preuve se trouve dans les actions de la Communauté internationale après les conclusions de notre médiation. Nous avons conclu pour dire que tout a été fait comme il se devait et que nous étions à la phase de la mise en pratique de ces choses. Mais en retour qu'est-ce que nous avons eu ? On a eu le GTI, je ne sais quoi dire, mais c'est le résultat qui est là, que la communauté internationale a présenté par rapport à ce que nous avons fait.»
L’Ambassadeur sud-africain évoque aussi la concomitance dont il relève l’anachronisme. «Nous nous en tenons à la volonté des Ivoiriens. Si vous regardez les accords signés , il apparaît clairement une phase pendant laquelle ces opérations doivent être conduites. Mais on nous a dit que pendant une réunion à Yamoussoukro, les leaders ivoiriens se sont accordés sur l'idée de la concomitance. Donc si c'est cela la dernière décision des Ivoiriens, évidemment nous prenons acte (…) C’est très difficile. Dans les pays où nous sommes engagés dans la résolution des crises, ça a toujours été le DDR qui a commencé, ensuite l’identification a suivi. Bon, maintenant, si la Côte d’Ivoire elle-même veut innover en se mettant dans une situation d’exception, nous, nous ne ferons que la suivre». Ambiance !
Pour bien faire comprendre à l’opinion ivoirienne et continentale le vrai enjeu de cette crise, l’Ambassadeur sud-africain développe un véritable plaidoyer panafricain : «L'Afrique, c'est notre maison. Ça sera une mauvaise option pour les Africains de remettre tout le continent entre les mains des puissances coloniales. (…) L'arme la plus puissante contre l'oppresseur c'est l'unité qui peut nous libérer du joug des puissances coloniales. Nous avons besoin d'être solidaires et unis, et privilégier l'intérêt de nos peuples. Je l'ai dit et j'insiste là-dessus. L'intérêt de nos peuples et des générations futures doit déterminer nos actions. C'est mon message aux Ivoiriens». Par ailleurs, pour confondre davantage la France et son président Jacques Chirac, il indique que le président Gbagbo est «l’un des paragraphes de la conclusion de notre médiation mentionne que, quelque soit l'opinion publique sur cette crise, le président Gbagbo est l'une des rares personnes qui font tout pour mettre ce pays sur le chemin de la paix. C'est un président qui a à cœur de faire respecter la dignité du peuple africain», au grand dam des appendices de la Françafrique.
Après avoir ainsi démontré par l’absurde que la déstabilisation de la médiation sud-africaine par la France n’était qu’une manière de fabriquer artificiellement l’enlisement de la crise ivoirienne, le président Thabo Mbeki prépare, selon nos informations, quelque chose d’encore plus efficace pour remettre le processus de sortie de crise sur les rails.
Selon certaines informations, Thabo Mbeki a déjà saisi le président de l’Union Africaine, Denis Sassou Ngesso. Il lui a clairement fait comprendre, précisent d’autres sources, qu’il est et demeure le seul médiateur de l’UA dans la crise ivoirienne.
On évoque aussi une diplomatie de l’ombre. Laquelle vise à mobiliser un certain nombre de pays progressistes en Afrique et au Conseil de sécurité pour barrer la route aux ennemis de la paix sur notre continent. Dans la même veine, l’Afrique du Sud travaille aussi à l’ONU pour mettre à nu les dangereuses lacunes de la méthode de Pierre Schori, Représentant spécial de Kofi Annan en Côte d’Ivoire, qui s’est spécialisé dans les attaques frontales et personnelles contre des personnalités du camp présidentiel.
Le tout augure d’une présence plus pugnace de l’Afrique du Sud aux prochaines réunions du GTI. »