Charte pour une alternative au libéralisme (Version 4 au 9 mai 2006)
Les Assises nationales des « Collectifs du 29 mai » et l’adoption d’une « Charte pour une alternative au libéralisme » constituent un événement politique important dans la période. Le 29 mai n’est pas mort, le rejet du libéralisme est toujours là, l’exigence d’une alternative grandit.
Après le Non au TCE exprimé le 29 mai 2005, après la formidable mobilisation victorieuse des jeunes et des salariés contre le CPE, alors que s’engage une action citoyenne d’ampleur contre l’immigration jetable de la loi CESEDA, il n’est pas anodin que les forces qui ont été motrices de la victoire du Non de gauche au référendum, il y a un an, se retrouvent aujourd’hui pour proposer les bases communes d’une alternative antilibérale.
Dans les luttes comme dans les urnes, nos concitoyens ne cessent d’exprimer le rejet des politiques libérales qu’on veut leur imposer depuis 20 ans. Et le 21 avril 2002 est là pour rappeler que notre peuple ne se satisfait plus d’une simple alternance. Il est temps d’ouvrir une véritable alternative et notre Charte se veut une contribution essentielle à ce débat.
Les politiques néolibérales, caractéristiques du capitalisme de notre temps, se développent depuis plus de vingt ans à l’échelle de la planète. Remettant en cause plus de deux siècles de luttes sociales et démocratiques, elles orchestrent un véritable recul de civilisation. Cette offensive tous azimuts veut modifier substantiellement le partage des richesses au bénéfice des profits et des détenteurs de capitaux, élargir la sphère du marché, de la concurrence et de l’appropriation privée, et mettre l’économie hors de portée de la volonté démocratique.
Tous les pays industriels du Nord ont été dominés par ce dogme libéral : trop de contraintes, pas assez de fluidité, trop d’État et trop de réglementations sociales... Résultat : les profits se sont envolés, tandis que la part des salaires dans les richesses produites a baissé de 10 points en vingt ans.
C’est cela qu’il faut changer. Cela suppose de contester la logique du libéralisme et de lui opposer d’autres finalités et d’autres méthodes.
Faire face à l’offensive libérale
Pour maximiser les profits du capital, les libéraux ont imposé partout les mêmes règles et méthodes.
Ils baissent le « coût du travail », désengagent les entreprises du financement de la protection sociale et entreprennent une baisse généralisée de la fiscalité sur le capital. À l’échelle planétaire comme à celle de l’Europe, ils cassent la solidarité et amplifient le dumping social, fiscal, environnemental.
Partout, au nom de la nécessaire « fluidité » ou « flexibilité », ils font reculer l’essentiel des droits collectifs et des mécanismes de solidarité, misant sur une insécurité sociale qui amplifierait les replis individualistes au détriment des résistances collectives. Une logique de régression absolue a ainsi commencé de s’installer. Si ce processus continue, les générations futures vivront plus mal que celles qui les ont précédées !
Ils élargissent constamment la sphère du marché, en libérant les échanges et en faisant de l’éducation, de la culture, de l’information, de la santé et du corps humain lui-même de simples marchandises. Ils ouvrent le capital massivement et privatisent des entreprises industrielles et des services publics. Ils ponctionnent la masse salariale, par l’expansion des systèmes assurantiels et des fonds de pension. Ils mettent au cœur de la dynamique économique la spéculation financière mondialisée, au détriment des investissements matériels et des dépenses sociales.
Ils privent l’État de toutes ses fonctions de régulation et de répartition, tout en renforçant ses instruments de coercition et de contrainte sur les « classes dangereuses » et les individus. L’État social a été remplacé par l’État pénal. L’État a redéployé ses missions et renoncé à agir volontairement sur l’activité économique par sa fiscalité, ses instruments de crédit ou son secteur public. En même temps, partout reculent les instances de concertation et de décision plus ou moins démocratiques, remplacées par un petit nombre de décideurs publics ou privés, d’ « experts » ou d’instances dites « indépendantes » (Banque Centrale Européenne, autorités de régulation...).
Avec leur ultralibéralisme, ils imposent partout, et notamment en Afrique, un système de dépendance de type néocolonial qui accélère la liquidation de la paysannerie et élimine toute possibilité de souveraineté alimentaire. Pour de nombreux États, cela se traduit par un recul absolu des indicateurs les plus vitaux du développement humain.
Les résultats de ces choix, suivis obstinément depuis plus de vingt ans, dans le cadre de pouvoirs de droite « néolibéraux » ou de pouvoirs de gauche « sociaux-libéraux », ont abouti à des effets désastreux.
Le chômage est maintenu à un haut niveau et la précarité se développe largement, les deux exerçant une pression sur les salariés et encourageant à la résignation.
Le recul de l’État social et la montée de l’autoritarisme ont alimenté un doute massif sur l’action publique, ont favorisé les replis et aggravé le désengagement civique dans tous les pays.
La spirale inégalitaire s’est accélérée, après avoir été atténuée dans les trente années précédentes. La pauvreté s’est étendue et s’est aggravée, à l’échelle du monde comme à celle des pays riches eux-mêmes. Pauvreté et précarité ont déchiré les tissus sociaux, exacerbé les discriminations, incrusté les mécanismes dangereux et violents de « l’exclusion », nourri le rejet de l’Autre.
L’environnement s’est un peu plus dégradé, les ressources naturelles ont été gaspillées, notamment au détriment des pays et des régions les plus fragiles. Le modèle de développement capitaliste libéral mène la planète à une catastrophe écologique.
Le monde de l’information, de la culture et celui de la pensée se sont uniformisés avec la concentration croissante et la domination de quelques grands groupes multimédias transnationaux. Les idées libérales forment la trame d’une sorte de « pensée unique » : le capitalisme et sa « concurrence libre et non faussée » seraient devenus l’alpha et l’oméga de toute organisation sociale, certains allant jusqu’à décréter la « fin de l’Histoire ».
Le capitalisme se développe de plus en plus comme une hyperindustrie culturelle avec au cœur une convergence de nouvelles technologies qui modifient les manières de produire et servent de prétexte à une idéologie du risque cassant les protections sociales au profit de l’actionnaire-roi.
Depuis plus de vingt ans, nous avons pu mesurer les effets d’un véritable projet de société, faisant des indications des marchés financiers la norme et le critère de toute rationalité, publique ou privée. Nous avons pu mesurer la nocivité de ces choix quand ils étaient mis en œuvre par des gouvernements de droite, en connivence avec les institutions patronales. Mais nous avons pu voir aussi combien étaient désastreuses toutes les politiques de gauche qui, d’une façon ou d’une autre, partaient du postulat qu’il fallait bien s’accommoder de ces normes capitalistes et libérales.
Dans tous les pays d’Europe, les salariés ont mené de nombreuses luttes contre tous ces processus. Des grèves et des manifestations imposantes ont eu lieu ces dernières années, notamment en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie, en Autriche, en Grande-Bretagne ou en France, contre les démantèlements des systèmes de protection sociale et de retraite ou les législations du travail. Une série de scrutins ou de référendums ont également témoigné du rejet massif des politiques libérales. Il s’agit aujourd’hui de rassembler toutes les forces disponibles, de créer les mobilisations d’ensemble nécessaires en France et en Europe pour un autre modèle social fondé sur la satisfaction des besoins sociaux.
Construire une alternative
Nous savons donc aujourd’hui que le réalisme suppose de retrouver collectivement une autre voie. Ce n’est pas la recherche du profit maximum et la croissance ininterrompue de la marchandisation qui sont la source d’une amélioration de l’état du monde, mais la volonté de voir s’élargir les capacités de chaque personne humaine.
Ce qu’il faut rechercher, c’est la satisfaction des besoins sociaux, le développement des capacités humaines et donc plus de recherche, de qualification, de culture et de démocratie. Cela suppose de répartir et d’utiliser autrement les richesses disponibles, d’instaurer un socle ambitieux de droits collectifs et individuels, de restaurer des politiques publiques actives, de mettre au cœur du projet politique l’appropriation sociale et les services publics, d’instaurer une autre manière de décider de notre avenir commun, de concevoir un « alterdéveloppement », de réorienter la construction de l’Europe et du Monde.
Alors que les libéraux prônent le retrait de la volonté collective devant les forces obscures du marché, nous affirmons que l’utilisation des ressources disponibles relève de choix politiques. Il faut donc donner aux collectifs humains les moyens nécessaires pour réaliser les objectifs qu’ils se sont démocratiquement fixés. De tels objectifs se heurtent aux intérêts des forces et classes dominantes, ils susciteront leur résistance. Leur réalisation sera le résultat d’un mouvement continu articulant mobilisations sociales, débats citoyens et perspectives politiques.
Mar 16 Mai - 19:51 par Tite Prout