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 La couleur de l'emploi au Québec

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mihou
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mihou


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La couleur de l'emploi au Québec Empty
15052006
MessageLa couleur de l'emploi au Québec

L'Actualité, no. Vol: 31 No: 8
15 mai 2006, p. 13

Bloc-notes

La couleur de l'emploi
Il y a 50 ans, l'État québécois a servi de levier à l'affirmation des francophones. Ce levier doit maintenant servir aux minorités.

Beaulieu, Carole

Parler de discrimination raciale au Québec, c'est pire que d'avoir à dévoiler son salaire. "Nous ne sommes pas racistes", me disait un collègue en voyant la couverture que nous préparions. Reste que les Noirs nés au Québec continuent d'enregistrer un retard criant dans le domaine de l'emploi ("Sommes-nous racistes?", p. 46). Appelons donc cela de la... frilosité.

Il est compréhensible que des immigrants de première génération vivent des difficultés. C'est le cas, au Québec, des membres des communautés arabes, arrivés en grand nombre récemment - comme les Pakistanais et les Indiens à Toronto - et dont le taux de chômage est semblable à celui des Noirs. Ce qui est anormal, c'est que l'écart persiste à la deuxième ou troisième génération! Le rêve de tout immigrant est de voir ses enfants prospérer. Pourquoi autant de Noirs n'y arrivent-ils pas?

En Ontario, le taux de chômage des Noirs de 15 à 24 ans atteint 25%, comparativement à 18% pour les jeunes d'autres origines. Au Québec, c'est 37% contre 17%! "La différence, c'est l'État", dit Jack Jedwab, directeur de l'Association des études canadiennes, qui s'occupe entre autres de sensibiliser la population aux réalités canadiennes. "La fonction publique québécoise est la moins ouverte aux minorités du pays."

Il y a 50 ans, les francophones ont utilisé l'État québécois pour combattre la discrimination dont ils souffraient aux mains des anglophones. Les salaires des deux groupes sont maintenant égaux. Pourquoi ne pas utiliser le même levier pour aider les minorités?

Les mesures annoncées récemment par Québec sont timides. Pourquoi ne pas être plus audacieux? Par exemple en confiant des postes politiques à des gens issus de minorités visibles, comme l'a fait Paul Martin en nommant Michaëlle Jean gouverneure générale?

On a tout de même fait des progrès, direz-vous. C'est vrai dans certains domaines. Il suffit de relire le dossier de L'actualité de 1992 pour le constater (www.lactualite.com).

Aujourd'hui, Didier Lucien joue dans Pure laine, émission brillante de Télé-Québec qui se moque allègrement des travers des uns et des autres. Corneille, Luck Mervil, Gregory Charles attirent les foules. Maka Kotto et Viviane Barbot sont députés, Juanita Westmoreland-Traoré est juge à la Cour du Québec.

Les enfants d'aujourd'hui sont moins ignorants que nous ne l'étions, petits francophones entrant à l'école primaire, il y a 40 ans, en ne connaissant des Noirs que ceux que l'on voyait dans l'émission américaine Daktari! Pourquoi personne ne nous a-t-il parlé, alors, de Mathieu Da Costa, l'homme noir arrivé en 1604 avec Samuel de Champlain? Ça nous aurait changé de Dollard des Ormeaux, qu'on a bien dû étudier 12 fois.

En 2006, les familles de toutes les couleurs, comme celle de Rosylien Senat, le comptable de 26 ans présenté en couverture, sont de plus en plus nombreuses. "Je ne pense jamais au fait que je suis noir, dit-il. Je le deviens seulement dans le regard de l'autre. Et pas souvent à Montréal."

Le Québec, c'est tout de même mieux que la Russie, où on brûle les résidences d'étudiants noirs. Mieux que la Chine ou le Japon, où le racisme ne se cache pas. En Europe, le retard des rémunérations est similaire à celui qui règne au Canada. Ici comme ailleurs, certains préjugés sont figés depuis des siècles.

Pour prospérer, le Québec n'aura d'autre choix que de combattre ces idées préconçues. La société dépendra beaucoup de l'immigration au cours des prochaines années. On prévoit qu'en 2010 Montréal comptera plus de 100 000 musulmans. Certains arabes, d'autres africains. De beaux défis en perspective. Différents de ceux de Vancouver, avec ses immigrants chinois.

Le sondage CROP montre bien que si les Québécois se disent prêts à accepter qu'un de leurs enfants épouse un Noir (voir p. 48), ils sont beaucoup moins d'accord lorsqu'il s'agit d'un Arabe.

Si, pour se développer, le Québec doit être une terre d'immigration, alors ses habitants devront s'imaginer francophones-d'Amérique-de-toutes-les-couleurs, priant des dieux différents et cuisinant mille épices. Pour les héritiers d'Étienne Brûlé et de Pierre-Esprit Radisson, ce ne sera pas toujours facile.

Des sociologues américains estiment que dans certains coins du monde les "races" seront bientôt tellement mélangées qu'on ne s'y retrouvera plus. Comment nommera-t-on un enfant du Lac-Saint-Jean dont un parent sera descendant d'un Haïtien canadien-français et d'une Arabe crie? Un Québécois!


Dernière édition par le Lun 15 Mai - 20:51, édité 1 fois
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La couleur de l'emploi au Québec :: Commentaires

mihou
Re: La couleur de l'emploi au Québec
Message Lun 15 Mai - 20:50 par mihou
L'Actualité, no. Vol: 31 No: 8
15 mai 2006, p. 46

En couverture

Sommes-nous racistes?
Les Noirs du Québec sont davantage diplômés que le Québécois moyen, mais plus souvent chômeurs. Pourquoi?

Guérard, François

À la ferme, ils n'étaient pas des Noirs, mais des nègres. Une centaine, toute la journée le dos courbé, à cueillir carottes et laitues. Le midi, ils se rassemblaient pour manger autour d'une cabane verte. Un jour, Cupidon Lumène, petite femme ronde de 35 ans, transgresse une loi de la ferme. Elle se rend à la cafétéria, dans le bâtiment principal, pour y faire chauffer son repas. L'endroit est réservé aux employés blancs, c'est écrit sur la porte de la cabane. Lorsque Cupidon Lumène s'apprête à entrer, la femme du patron bondit, lui bloque le passage. "Ici, c'est pas votre place", lance-t-elle sèchement. Nous ne sommes pas dans le sud des États-Unis à l'époque de la ségrégation, mais à Sainte-Clotilde-de-Châteauguay, en Montérégie. Et nous sommes en 2001.

Au Centre maraîcher Eugène Guinois Jr, qui emploie, pendant les récoltes, des journaliers d'origine haïtienne, les toilettes du bâtiment principal n'étaient utilisées que par les employés du coin, à la peau blanche, dit Cupidon Lumène. Les 96 Noirs, eux, n'avaient droit qu'aux trois toilettes chimiques près de la cabane. Après une longue journée aux champs, ils se lavaient à l'extérieur, avec des tuyaux d'arrosage. "Nous étions traités comme des chiens, dit Cupidon Lumène avec un fort accent créole. Et pas seulement par les patrons." Elle a vu, dans l'usine d'emballage de la ferme, une employée blanche enfoncer une poignée de carottes dans la bouche d'un collègue noir après l'avoir sommé de se taire. L'homme, humilié, a porté plainte à la direction en compagnie de Cupidon Lumène et de deux autres témoins noirs. Le lendemain, les quatre Noirs étaient congédiés, sans explication.

Cupidon Lumène et ses trois collègues se sont battus pour obtenir justice. En avril 2005, le Tribunal des droits de la personne a condamné la famille Guinois à leur verser un total de 62 500 dollars en dommages-intérêts punitifs et moraux. Le message est clair: les actes racistes ne sont pas tolérés au Québec. Mais un malaise subsiste. Cet été-là, en 2001, une centaine de Québécois d'origine haïtienne ont toléré des conditions de travail dignes de l'apartheid. Pourquoi? "C'est le seul emploi que nous avions", répond Cupidon Lumène, arrivée au Québec il y a 12 ans. Elle travaille aujourd'hui dans une usine de bas, habite un modeste cinq-pièces de Montréal-Nord avec quatre colocataires d'origine haïtienne, achète ses mangues à l'épicerie créole du coin, et a toujours l'impression d'être une étrangère dans un pays étrange.

La société québécoise est à un tournant de son histoire. Elle doit se redéfinir face aux nouveaux arrivants, qui compensent la faible natalité. Le Québec a accueilli environ 45 000 immigrants l'an dernier, soit l'équivalent d'une ville comme Rimouski. La région de Montréal, où vit près de la moitié des 7,6 millions de Québécois, est une courtepointe de Chinois, d'Haïtiens, d'Indiens, de Colombiens, d'Algériens, de Marocains, de Vietnamiens, de Québécois "de souche"... Dans le bottin téléphonique de la métropole, il y a plus de Nguyen que de Simard! Tout ce beau monde vit dans une certaine harmonie, mais il y a un problème d'intégration avec les Noirs, qu'ils aient la peau à peine chocolat ou noire comme du jais. Après 20 ans au pays, la plupart des groupes d'immigrants rattrapent le retard salarial sur l'ensemble de la population, note Statistique Canada. Pas les Noirs.

Le gouvernement du Québec reconnaît le problème. Le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles a tenu ces derniers mois une consultation publique intitulée "La pleine participation à la société québécoise des communautés noires" (voir l'encadré "Que fait Québec?", p. 52). Des Noirs, il y en a 152 200 au Québec, selon le dernier recensement, de 2001. C'est un peu plus que la population de Trois-Rivières. Ce nombre est sous-estimé, d'après les experts, car il en est qui ne se déclarent pas "noirs" lors des recensements. La moitié des Noirs du Québec sont d'origine haïtienne, les autres viennent surtout d'îles des Caraïbes et d'Afrique. Le constat fait par le Ministère est troublant. Au Québec, le revenu annuel moyen des Noirs n'est que de 19 541 dollars, comparativement à 27 125 pour l'ensemble de la population. C'est 28% de moins. Le taux de chômage de cette communauté est le double de celui des Québécois en général: 17%, contre 8%.

Pourtant, les Noirs devraient être légèrement avantagés sur le marché du travail. Ils sont 44% à être titulaires d'un diplôme d'études collégiales ou d'une école technique, comparativement à 37% de l'ensemble des Québécois. Leur taux de diplomation universitaire est le même que pour les autres, 14%. Et ils sont aussi bilingues (anglais et français) que la moyenne de la population.

"Le problème du chômage ne touche pas seulement les immigrants, mais aussi leurs enfants. Des Noirs qui sont nés ici et qui ont étudié dans nos écoles", dit la députée libérale Yolande James, qui a dirigé la consultation publique. Fille d'immigrants antillais, cette avocate de 27 ans est devenue, lors des partielles de septembre 2004 dans la circonscription de Nelligan, à Montréal, la première femme de couleur à être élue à l'Assemblée nationale.

Le faible emploi est peut-être dû au fait qu'il y a peu d'entrepreneurs noirs, dit le sociologue Jean Renaud, directeur du Centre d'études ethniques des universités montréalaises. "Prenez les Grecs. Dans les années 1960, ils ont investi la restauration à Montréal. Je ne parle pas seulement des restaurants grecs, mais des casse-croûte, des pizzerias. Ils ont créé une microéconomie dans laquelle un Grec fraîchement débarqué pouvait s'insérer. Il commençait plongeur, apprenait le français, et devenait serveur. Il amassait de l'argent et achetait son propre restaurant, pour embaucher des immigrants grecs à son tour." Les Noirs n'ont pas créé ce genre de réseau. "Les Haïtiens instruits, arrivés dans les années 1960, ont intégré la fonction publique plutôt que de se lancer en affaires", dit le sociologue. Il insiste: "Ce n'est qu'un élément de réponse à un problème complexe."

Un autre élément est le racisme. Le sujet est délicat, difficile à étudier. Quand on interroge les gens de couleur, il semble toujours que la société soit plus raciste que lorsqu'on sonde la population en général (voir l'encadré ci-dessous).

Le racisme est la croyance que les différences sociales et culturelles proviennent de différences biologiques et héréditaires, dit la docteure en psychologie Annie Montreuil, qui se spécialise dans les questions d'immigration. "Le meilleur exemple que je puisse donner, c'est l'étude évoquée cet automne à l'émission Tout le monde en parle par le Dr Pierre Mailloux, sur le QI moyen des Noirs américains, inférieur à celui des Blancs", dit la psychologue, qui fait un postdoctorat aux Pays-Bas. "Il a expliqué le phénomène par la biologie et l'hérédité, en disant que les Africains sélectionnés comme esclaves étaient les plus forts, pas les plus intelligents. Mais il a passé sous silence l'explication sociale: la pauvreté des Noirs aux États-Unis, leur vie dans les ghettos, leur difficulté d'accès à une éducation de qualité."

Le chroniqueur télé du journal Le Soleil de Québec, Richard Therrien, a été surpris de la réaction de certains de ses lecteurs au lendemain de la publication de sa critique des propos du "doc" Mailloux. Il a reçu un nombre anormalement élevé de courriels, une cinquantaine, de gens défendant le psychiatre. "La plupart disaient: "Des études le prouvent", raconte le chroniqueur. D'autres ont écrit: "Ce n'est pas grave de dire que les Noirs sont moins intelligents. On dit bien que les Asiatiques sont plus intelligents que nous.""

L'auteur Martin Forget a choisi d'aborder le sujet du racisme avec humour dans la comédie Pure laine, diffusée à Télé-Québec. À chaque émission, le personnage principal, d'origine haïtienne, explique à un autre immigrant certains traits culturels des Québécois, comme l'obsession pour la météo ou l'incapacité de prendre des décisions quant à leur avenir. Chez les Québécois, le racisme est un sentiment qui tient plus du malaise devant l'étranger que de la haine, croit l'auteur. Le malaise est plus notoire envers les Haïtiens et les Africains francophones, car ceux-ci se sont immiscés dans la bulle des Québécois. "Avant leur arrivée, les immigrants de couleur étaient tous anglophones. Il y avait nous et les anglos. Maintenant, les Québécois se retrouvent être une ethnie parmi d'autres."

L'arrivée de nombreux étrangers est un traumatisme pour toute société, mais le Canada s'en tire admirablement bien, avance l'essayiste et chroniqueur politique canadien John Ibbitson dans son plus récent livre, The Polite Revolution: Perfecting the Canadian Dream (McClelland & Stewart). Il s'en tire mieux que la France, qui a vécu trois semaines d'émeutes dans ses banlieues en novembre 2005. Mieux aussi que le Danemark, où le Parti du peuple, d'extrême droite, a obtenu 13,3% des voix lors des dernières élections, en 2005. En échange du soutien de ce parti pour le vote du budget, le gouvernement minoritaire danois a privé de financement une centaine d'organismes oeuvrant auprès des immigrants!

Les Canadiens sont des gens fondamentalement polis, qui préfèrent le compromis au conflit, écrit John Ibbitson. Ils ont de l'expérience en la matière: l'histoire du pays est une suite d'efforts pour satisfaire deux cultures, l'anglaise et la française. Satisfaire les autres cultures va donc de soi.

Mais sous le vernis du multiculturalisme canadien, la discrimination raciale est bien vivante. Cynthia Guay voit le phénomène de près. Cheveux bruns aux épaules, 30 ans, la poignée de main solide, elle dirige, au centre-ville de Montréal, une succursale d'Adecco, entreprise spécialisée dans le recrutement et le placement de personnel. Les membres des minorités ethniques représentent la moitié de sa clientèle. De tous les candidats, les Noirs sont les plus difficiles à placer, dit-elle.

De nombreuses usines de Montréal font appel à Adecco dans le but de recruter des ouvriers pour des postes temporaires. "Nous ne communiquons jamais à l'avance l'origine ethnique des gens que nous sélectionnons. Mais nous remarquons qu'une forte proportion des employés qui nous reviennent - parce qu'ils ne font pas l'affaire - sont de race noire", dit Cynthia Guay. Lorsqu'elle interroge l'employeur sur les raisons du renvoi, les réponses sont évasives. "Il dit que ça ne va pas. Que la personne s'intègre mal. Il ne parle jamais de la couleur." La plupart du temps, l'employé raconte pour sa part qu'il n'a pas été rejeté par la direction de l'entreprise, mais par un contremaître ou des collègues. "Des choses comme ça arrivent plus souvent dans les usines de l'est de la ville, du côté francophone, où les employés sont à 95% des Québécois de souche." Depuis longtemps, les usines de l'Ouest, la partie anglophone de l'île, ont une forte composante ethnique, note-t-elle.

Marjorie Villefranche, noble dame d'origine haïtienne dans la cinquantaine, se souvient du "bon vieux temps", dans les années 1960. À l'époque, un médecin qui arrivait de Port-au-Prince devenait résident dans un hôpital, pas chauffeur de taxi, dit-elle. Les premiers immigrants haïtiens, des spécialistes et des étudiants qui fuyaient le régime de François Duvalier, débarquaient en pleine Révolution tranquille. "C'était la naissance des ministères et l'État avait un urgent besoin d'enseignants, de médecins, d'infirmières. Les Haïtiens arrivaient déjà formés, et ils parlaient français", dit la dame, qui supervise les programmes mis en oeuvre par La maison d'Haïti, ancienne école primaire du quartier Saint-Michel, à Montréal, transformée en centre d'aide à la communauté haïtienne.

La situation a changé dans les années 1980. Depuis déjà une décennie arrivaient par milliers des Haïtiens venant du monde paysan, pauvres et peu instruits. Ils trouvaient du travail, car les usines de Montréal avaient besoin de bras. Mais la récession est arrivée, accompagnée des inévitables mises à pied. "Une certaine intolérance s'est fait sentir dans les milieux ouvriers, on a commencé à parler de "voleurs de job"", raconte Marjorie Villefranche. Aujourd'hui, les grandes usines sont en Chine, pas à Montréal. Et cette masse d'ouvriers venue d'Haïti, parlant davantage créole que français, a du mal à s'adapter à la nouvelle économie, basée sur les services. "On peut faire un lien direct entre le chômage et les difficultés d'intégration dans la société, ajoute Marjorie Villefranche. Car le contact avec les Québécois ne se fait pas dans la rue ou dans l'autobus, mais au bureau et dans les cinq à sept, après le boulot."
mihou
Re: La couleur de l'emploi au Québec
Message Lun 15 Mai - 20:51 par mihou
À quelques rues de La maison d'Haïti, Justine Charlemagne, 29 ans, d'origine haïtienne, superbe avec son long manteau rouge et ses cheveux en boudins, m'invite à manger des spécialités créoles dans un casse-croûte: grillot (porc mariné frit), banane pezé (banane plantain frite) et riz collé (riz gras épicé). Le quartier Saint-Michel est le Petit-Haïti de Montréal. On y trouve des épiceries des Antilles et des dizaines de salons de coiffure où les jeunes filles se font tresser pendant des heures sur des rythmes zouk, rara et compas. Le visage de Michaëlle Jean est affiché sur de nombreuses vitrines, avec l'inscription en créole "27m gouvènè jeneral peyi Kanada" (27e gouverneur général du Canada). "Nous sommes tellement fiers d'elle, dit Justine Charlemagne. Les gens commencent à se dire: "Si une immigrante haïtienne a pu se rendre à la tête du pays, nous pouvons nous aussi réaliser nos rêves.""

Justine Charlemagne, elle, réalise les siens. Elle a été l'un des premiers mannequins noirs à Montréal. Elle a joué dans des films haïtiens. Elle dirige aujourd'hui une agence de mannequins et organise chaque année à Montréal le concours de beauté Miss Exotika, très populaire dans la communauté. Elle a aussi fondé un mensuel pour la communauté haïtienne, Le Journal Positif, qui présente régulièrement des portraits de jeunes Noirs qui réussissent. "Les jeunes sont souvent découragés dès l'école secondaire, lorsqu'ils voient un grand frère ou un cousin qui a décroché un baccalauréat et qui ne trouve pas d'emploi."

Au coin de la rue de l'école secondaire Louis-Joseph-Papineau, dans Saint-Michel, se trouve un restaurant qui vend des pointes de pizza à 99 cents et où des jeunes Noirs, surtout des garçons, viennent traîner à l'heure du souper. Ils se la jouent gangsters. Pantalons baggy, chaussures Adidas, bandeau blanc au front, chaîne en or et médaille, ils se saluent avec le poing, en se cognant les jointures, font des gestes nonchalants mais longuement étudiés en regardant les vidéos rap.

Beaucoup de jeunes Noirs adoptent la culture du gangsta rap, style de musique hip-hop qui célèbre la vie des gangsters des ghettos noirs américains. C'est une industrie de plusieurs milliards de dollars, qui a envahi l'univers des adolescents de toutes races avec ses vidéoclips, ses films et ses vêtements. Pour la plupart des jeunes Québécois de la classe moyenne, le gangsta rap s'arrête lorsqu'ils éteignent leur iPod. Mais pour beaucoup de jeunes Noirs des quartiers pauvres, c'est un mode de vie qui place la consommation de drogue, les conquêtes sexuelles et le "bling bling" (bijoux voyants, vêtements griffés et voitures de luxe) au sommet de la pyramide des valeurs. Certains sont même prêts à verser dans le crime pour y parvenir. Curtis Jackson, alias "50 Cent", a bien commencé sa carrière comme vendeur de crack avant de devenir une star multimillionnaire du hip-hop! Le titre de son premier album est éloquent: Get Rich or Die Tryin' (deviens riche ou crève en essayant).
On peut trouver des raisons au chômage des jeunes Noirs dans le racisme et la pauvreté, mais on n'aura pas le portrait complet de la situation sans tenir compte du comportement de certains d'entre eux, affirme le sociologue Orlando Patterson, de l'Université Harvard. Le New York Times a publié en mars une lettre dans laquelle ce professeur afro-américain exhorte ses collègues à considérer l'aspect culturel dans leurs études sur la situation des jeunes hommes de race noire. En adoptant la culture du gangsta rap, ces jeunes se déconnectent de la société, écrit-il. Cela explique en partie, selon lui, pourquoi ils n'ont pas profité de la croissance économique des dernières années aux États-Unis, qui a créé des millions de nouveaux emplois et amélioré le sort des jeunes filles noires, des Latinos et des autres communautés ethniques.

Les jeunes filles noires s'en tirent mieux que les garçons, car elles évoquent moins la culture des ghettos, par leur habillement, leur attitude, indique Marjorie Villefranche. "Pour la population en général, elles ont l'air moins menaçantes."

Montréal n'a pas de quartier comparable aux ghettos des grandes villes américaines. Mais les jeunes de Saint-Michel vivent dans un monde un cran plus violent que l'ensemble de la société québécoise. L'école Louis-Joseph-Papineau, bunker blanc presque dénué de fenêtres, a fait les manchettes en octobre dernier lorsque les enseignants l'ont désertée en masse pour protester contre l'insécurité quotidienne dans ses murs. Quelques jours plus tôt, un élève avait été poignardé à l'abdomen.

"Ces jeunes sont des proies faciles à recruter pour les gangs de rue", dit Shermond Absence, 22 ans, d'origine haïtienne. Il est le boss de la patrouille de rue de La maison d'Haïti: huit jeunes Noirs qui surveillent la station de métro Saint-Michel, les parcs et autres endroits où traînent les jeunes du quartier après l'école. Ils sont là pour prévenir les bagarres et éviter que les membres des gangs ne viennent rôder. "La plupart d'entre eux vivent dans des familles monoparentales. La mère travaille le soir, dans une des usines de vêtements du quartier. Ils n'ont rien à faire. Et ils sont facilement impressionnés par une Mercedes conduite par un Noir dans la vingtaine qui vend de la drogue."
Même si très peu de jeunes Noirs répondent à l'appel des gangs, la plupart se font regarder avec suspicion lorsqu'ils entrent dans un magasin, déplore Shermond Absence. "Lorsqu'un Noir vole dans un dépanneur, c'est toute la communauté noire qui est blâmée, dit-il. Mais les Blancs aussi ont des gangs: les motards. Et on ne juge pas la communauté blanche par rapport aux actions des motards!"

Le commerçant serait-il aussi suspicieux si le Noir en question avait l'apparence de Gregory Charles plutôt que de "50 Cent"? "Vous avez beau être honnête, si vous êtes habillé en "yo", vous projetez une image associée aux gangs", dit Russell Ducasse, l'élégant journaliste de TQS, d'origine haïtienne. Rasé de près, l'air classe dans son pantalon et sa chemise sport, il est le seul Noir de l'équipe du Grand Journal. Arrivé à Québec à l'âge de deux ans, il se considère comme parfaitement intégré à la société québécoise. Ce n'est toutefois pas le cas de certains de ses cousins, nés dans le quartier Saint-Michel. "J'ai été élevé dans un environnement différent, où j'étais souvent le seul Noir", dit-il. Il estime que cela lui a permis d'assimiler rapidement les codes de ses amis québécois.
"C'est trop facile de blâmer les Blancs pour les problèmes des Noirs", dit le journaliste. S'il est victime de préjugés, le jeune Noir ne doit pas baisser les bras. "Au contraire, si des portes se ferment, il faut faire deux fois plus d'efforts."

Car le moment est propice pour un jeune Noir qui veut trouver du travail, surtout s'il acquiert une des nombreuses formations techniques très demandées. Les secteurs de la construction, de l'agriculture, du commerce de détail et du transport sont constamment à la recherche de travailleurs. En 2005, au Québec, pas moins de 37 000 postes sont restés vacants pendant quatre mois et plus, montre une étude de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante. Un patron de PME qui cherche un menuisier depuis quatre mois, même s'il a des préjugés contre les minorités, ne rechignera pas à embaucher un Noir compétent. D'autant plus que Québec offre depuis l'an dernier un cadeau aux PME qui ouvrent leur porte aux gens de couleur. Le Programme d'aide à l'intégration des immigrants et des minorités visibles en emploi finance 50% du salaire, jusqu'à concurrence de 7 500 dollars.

Dans certaines entreprises, comme les banques, les gens des minorités ethniques sont même considérés comme une valeur ajoutée. En 2001, la Banque Nationale s'est donné pour mission de favoriser l'embauche de candidats ethniques, indique France Pelletier, directrice du Service équité en emploi et diversité. "Nous étions perçus comme une banque de Québécois blancs, francophones, pure laine." Elle a formé les employés des Ressources humaines pour éviter que des détails culturels ne nuisent à leur jugement lors des entrevues d'embauche. "Ils doivent comprendre qu'un candidat qui ne les regarde pas dans les yeux ou qui ne leur serre pas la main n'est pas nécessairement impoli", dit-elle.

La Banque ne fait pas ces efforts par altruisme. C'est l'économie qui lui dicte d'agir ainsi. "Il est plus facile d'attirer les clients des communautés ethniques et les investisseurs étrangers si on a des employés de différentes origines, qui parlent plusieurs langues", dit France Pelletier.

Une des dernières pubs de la Banque montre deux conjoints étendus côte à côte dans leur première maison, discutant de la future couleur des murs. Le jeune homme est de race blanche. La fille est noire.


Encadré(s) :

MARIAGES EN BLANC ET EN COULEURS

Avez-vous dans vos relations une ou des personnes de race noire?

Oui 54% (61% chez les 18-34 ans)

Non 44%

Je suis noir 1%

Voudriez-vous d'un Noir comme voisin?

Oui 89%

Non 5% (8% chez les 55 ans et plus)

J'en ai déjà un 5%

Refus 2%

Accepteriez-vous d'être suivi par un médecin de race noire?

Oui 92%

Non 5% (9% chez les 55 ans et plus)

J'en ai déjà un 2%

Refus 1%

Seriez-vous à l'aise si votre enfant épousait une personne...

... asiatique?

Oui 85%

Non 13% (20% chez les 55 ans et plus)

Refus 2%

... arabe?

Oui 59%

Non 36% (45% chez les 55 ans et plus)

Refus 5%

... noire?

Oui 82%

Non 17% (26% chez les 55 ans et plus)

Refus 1%

Sondage réalisé par CROP du 12 au 16 octobre

2005; 1 008 Québécois de 18 ans et plus ont répondu; marge d'erreur maximale: 3% en plus ou en moins, dans 19 cas sur 20.


ET POURTANT...

Pourcentage des Noirs au Québec qui possèdent un diplôme d'études collégiales ou d'une école technique: 44%

Chez l'ensemble des Québécois: 37%

Taux de diplomation universitaire des Noirs: 14%

Chez l'ensemble des Québécois: 14%

Pourcentage des Noirs bilingues français-anglais: 42%

Chez l'ensemble des Québécois: 40,8%

Revenu annuel moyen des Noirs au Québec: 19 541 dollars

Chez l'ensemble de la population: 27 125 dollars

Taux de chômage des Noirs: 17%

Chez l'ensemble de la population: 8%


QUE FAIT QUÉBEC?

Après deux mois de consultation publique partout au Québec, le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles a formulé 35 recommandations pour faciliter l'intégration des Québécois de race noire. Marjorie Villefranche, de La maison d'Haïti, espère qu'elles ne resteront pas à l'état de suggestions. "Je suis sceptique. Ce sont de bonnes idées, mais on n'a annoncé aucun budget pour les réaliser." En voici quatre:

Modifier le système d'embauche des groupes cibles (communautés culturelles, anglophones, autochtones et personnes handicapées) dans la fonction publique. L'objectif d'embauche de 25% deviendrait une exigence ministérielle plutôt que gouvernementale. Ainsi, le ministère de l'Immigration - qui recrute beaucoup chez les minorités - ne pourrait pas permettre indirectement à d'autres ministères de ne pas remplir leur quota.

Lier une partie des primes annuelles de rendement des sous-ministres à l'atteinte de l'objectif d'embauche de 25%.

Lancer une campagne de publicité-choc contre le racisme, à l'image de celles contre le tabagisme et l'alcool au volant.

Revoir les manuels scolaires pour y inclure la place qu'occupent les Noirs dans l'histoire du Québec et du Canada.

Illustration(s) :

Isabelle, Rosylien et leur fillette, Mylee. Pas moins de 82% des Québécois accepteraient que leur enfant épouse une personne de race noire.
Manifestation, en mai 2005, pour dénoncer les conditions de travail imposées aux Noirs au Centre maraîcher Eugène Guinois Jr, à Sainte-Clotilde-de-Châteauguay.
Justine Charlemagne, un des premiers mannequins noirs à Montréal, et Yajaira Mercedes, première Noire à remporter le titre de Miss Québec, en 2005-2006. En bas, Shermond Absence, chef de la patrouille de rue de La maison d'Haïti.
Macha Limonchik (Chantal) et Didier Lucien (Dominique) dans la comédie Pure laine.
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La couleur de l'emploi au Québec

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