Milliardaires sans diplôme

Dufour, Richard

Un professeur de finances de l'Université d'Ottawa a déjà dit à ses étudiants au MBA: " Si vous obtenez le titre de CFA (analyste financier certifié), vous pourrez signer votre propre chèque de paie. "

C'était une façon d'imager les retombées potentielles du titre de CFA et une bonne mesure incitative pour amener les étudiants à poursuivre leurs études. Mais de toute évidence, ce n'est pas le chemin qu'ont emprunté bon nombre de milliardaires pour faire fortune.

L'homme le plus riche de la planète, Bill Gates, n'a pas de diplôme universitaire. Il avait pourtant été accepté à Harvard, mais il est parti avant l'obtention de son diplôme.

Bill Gates a arrêté ses études pour fonder Microsoft en 1975 avec Paul Allen, un autre entrepreneur dans l'âme qui a quitté les bancs de l'école avant d'obtenir un diplôme universitaire. Allen avait, de son côté, amorcé des études à l'Université de l'État de Washington avant de tout laisser tomber pour se lancer dans l'aventure Microsoft.

Curieusement par ailleurs, la destinée de Microsoft est aujourd'hui menée par un milliardaire, Steve Ballmer, diplômé de Harvard.

D'autres multimilliardaires, comme Richard Branson, Li Ka-Shing et Albert Frère- le partenaire d'affaires de Paul Desmarais- n'ont même pas de diplôme d'études secondaires.

Comme quoi le pif des affaires se développe aussi bien sur le terrain que sur les bancs d'école.

" Une formation universitaire peut aider, mais ce n'est pas nécessaire pour réussir en affaires ", commente le professeur Harold Simpkins, de l'École de gestion John Molson.

" Les principes économiques de base ne sont pas compliqués: il suffit au départ d'identifier un besoin et de trouver un moyen de le satisfaire ", ajoute-t-il en soulignant que Jean Coutu, dont la fortune personnelle est évaluée à 1,5 milliard US, est allé à l'université, mais qu'il ne possède pas une formation en affaires ou en administration.

Le professeur Simpkins souligne qu'il faut un minimum de vision, mais surtout beaucoup de volonté. " Un célèbre homme d'affaires a déjà dit que la plus grosse erreur qu'il avait faite n'était pas d'avoir abandonné l'école lorsqu'il avait 13 ans, mais plutôt de ne pas l'avoir fait plus tôt! "

Savoir se positionner et se vendre sont d'autres qualités indéniables. Charles Revson, le père des shampooings de marque Revlon, a toujours dit que ses concurrents vendaient des cosmétiques, mais que lui, il vendait " de l'espoir ".

Lino Saputo, qui a arrêté l'école après le secondaire, est un autre entrepreneur qui s'est bâti un véritable empire avec un minimum d'instruction. L'entreprise qui porte son nom aujourd'hui a généré des profits de 232 millions l'année dernière grâce à des ventes s'approchant du plateau des 4 milliards.

Si bien que la fortune personnelle de Lino Saputo se chiffre à 2,4 milliards US, selon la plus récente évaluation faite par Forbes. En plus des produits laitiers, Lino Saputo a par ailleurs développé un intérêt et une expertise dans le secteur forestier. Au fil des années, il a injecté des fonds dans Uniforêt, Arbec et Tembec.

Lino Saputo possède aussi des placements immobiliers. Il est notamment copropiétaire de la Tour de la Bourse située dans le quartier des affaires de Montréal.

Le designer Ralph Lauren est un autre habile homme d'affaires milliardaire qui a fait fortune en ne possédant qu'un diplôme d'études secondaires. Fort d'un prêt de 50 000 $, il a lancé la marque Polo en 1967. Aujourd'hui, la réputation du parfum et des vêtements Ralph Lauren n'est plus à faire en plus d'être reconnue partout dans le monde.

L'Américain d'origine arménienne Kirk Kerkorian est un autre personnage au parcours particulier. Propriétaire de plus de la moitié des chambres d'hôtel du Las Vegas Boulevard et de près de 10 % des actions de General Motors, sa fortune personnelle est évaluée à 8,7 milliards US. Il n'a pourtant qu'une huitième année.

Des " self-made-men "

Le plus bel exemple au Québec demeure probablement Guy Laliberté. Avant de fonder le Cirque du Soleil en 1984, il a été amuseur public, cracheur de feu, accordéoniste et échassier. En 1997, il a reçu l'Ordre national du Québec. Et aujourd'hui, à 46 ans, sa fortune personnelle est évaluée à 1,4 milliard US.

" Guy Laliberté est un stratège hors pair dotée d'une intelligence remarquable. Il a compris avant tout le monde que le cirque traditionnel avec des animaux était dépassé ", souligne le professeur Harold Simpkins, de l'Université Concordia.

L'histoire de Guy Laliberté est unique, mais celle de l'Américain Wayne Huizenga, qui vaut 2,1 milliards US, est tout aussi fascinante. Après avoir abandonné ses études postsecondaires, Huizenga s'est lancé dans la gestion de déchets en achetant un premier camion à ordures.

Peu de temps après, il a diversifié ses activités en faisant l'acquisition d'une petite chaîne d'une vingtaine de magasins appelée Blockbuster. Sept ans plus tard, il vendait cette chaîne 8,7 milliards US à Viacom.

Aujourd'hui, Huizenga profite de la vie et s'amuse avec sa fortune qu'il a utilisée pour " se payer " les Dolphins de Miami, une des franchises les plus prestigieuses de la Ligue nationale de football (NFL).

Il y aura sûrement d'autres milliardaires sans diplôme, mais ils seront moins nombreux dans l'avenir, prédit Bakr Ibrahim, directeur du Centre d'études en entrepreneurship à l'Université Concordia.

" Les banques et les anges financiers sont plus exigeants qu'avant pour prêter de l'argent, ne serait-ce qu'au niveau de l'élaboration d'un plan d'affaires détaillé. "

Les plus chanceux, comme la femme et les quatre enfants de Sam Walton, le fondateur de Wal-Mart, recevront de gros héritages et pourront se payer de longues études universitaires et beaucoup de folies. Mais sûrement pas autant de satisfaction personnelle que s'ils avaient bâti un empire à partir de rien.


Illustration(s) :

Lino Saputo a quitté l'école après le secondaire. Il fait partie de ces entrepreneurs qui se sont bâti un véritable empire avec un minimum d'instruction.
Le plus bel exemple au Québec de " self made man " demeure probablement Guy Laliberté. Le fondateur du Cirque du Soleil est un stratège hors pair et un visionnaire.