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 Les nouveaux maîtres du monde de JEAN ZIEGLER

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mihou
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mihou


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08062005
MessageLes nouveaux maîtres du monde de JEAN ZIEGLER

“Les nouveaux maîtres du monde” JEAN ZIEGLER

Après les mafias internationales et les banques suisses, le sociologue et agitateur genevois revient à l’attaque. Dans son dernier essai, il s’en prend au “prédateur”, le capitalisme mondialisé, et à ses “mercenaires”, les institutions financières et commerciales internationales. (13 novembre 2002)



Votre dernier livre s’intitule Les Nouveaux Maîtres du monde et ceux qui leur résistent*. Qui sont ces “nouveaux maîtres” ?



Ce sont les minces oligarchies qui détiennent le capital financier spéculatif mondialisé et que, dans mon livre, j’appelle les prédateurs. Ce sont les héritiers de cette classe de dominateurs blancs traditionnels qui gèrent l’économie depuis cinq cents ans. Près de 90 % des 1 000 milliards de dollars échangés chaque jour passent par les mains de ces sociétés. Des sociétés multinationales, comme Microsoft, l’Union de banques suisses, la Société Générale, General Food… Aujourd’hui, 200 de ces entreprises contrôlent près de 28 % de la production de richesse mondiale.


Où se trouvent les “maîtres du monde” et comment exercent-ils leur pouvoir ?


Leurs sièges se trouvent, ainsi que l’avait prédit il y a quelques années Max Gallo, dans un étroit triangle qui relie Tokyo, New York et Stockholm. Ils exercent leur pouvoir à travers la médiation des organisations mondialistes mercenaires : le Fond monétaire international (FMI), la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui mettent en œuvre le consensus de Washington. Il s’agit d’un ensemble d’accords informels conclus tout au long des années 80-90 entre les principales sociétés transcontinentales, les banques de Wall Street, la Réserve fédérale américaine et les organismes financiers internationaux (FMI, Banque mondiale). Ces accords informels visent à obtenir, le plus rapidement possible, la liquidation de toute instance régulatrice – Etat ou organisation internationale – la libéralisation la plus totale et rapide de tous les marchés et l’instauration à terme d’une stateless global governance, un marché mondial unifié et totalement autorégulé.


Que reprochez-vous à ces institutions ?


De mettre en œuvre ce consensus, car il est contraire à la vision de l’Histoire et aux valeurs fondatrices de notre société. Le but de l’Histoire est de créer une société humaine, dominée par la raison et où l’homme prime sur le capital. Or, ce que les “maîtres du monde” nous offrent, c’est un modèle de société dont la figure centrale est le gladiateur, dont le but principal est la maximisation du profit en un minimum de temps. Ils mettent radicalement en question tout l’héritage des Lumières : les valeurs de solidarité, de réciprocité et de complémentarité entre les êtres, les nations, etc. ; le contrat social ; l’idée de capacité normative de l’Etat ; l’idée que tout pouvoir sur les hommes ne peut s’exercer qu’avec leur consentement par délégation ; la souveraineté populaire. Tout ça, le capitalisme de la jungle le nie. Son postulat, c’est l’autorégulation du marché.
Mais, à bien y voir, n’importe quel énoncé de l’idéologie libérale bute sur un mensonge. On nous parle de libre circulation, mais les riches sont davantage protégés que les châtelains du Moyen Âge. Les 3/4 de l’humanité vivent dans le sud du monde et n’ont pas accès à la richesse du Nord, qui se protège derrière des barrières de quotas et autres brevets infranchissables. Je reviens du Bangladesh : là-bas, la seule exportation possible, en dehors des crevettes et de la jute, est le textile. Le pays doit respecter des quotas d’exportation qui se réduisent chaque année. Pendant les dix jours où j’y étais, cela a provoqué la mise au chômage de 82 000 femmes. Et les privatisations ? Quel sens cela a-t-il de privatiser l’eau dans un pays dont la plupart des habitants sont trop pauvres pour la payer ? Ou de privatiser des services, comme les contrôles vétérinaires au Niger ? Avec le résultat que ces services ne sont plus fournis, car considérés comme non rentables et que les têtes de bétail meurent par dizaines de milliers. Et la disparition des barrières douanières ? Pour le moment, la principale conséquence est que les produits des pays riches déferlent sur les marchés des pays du Sud, dont les produits ne sont pas compétitifs. Et quand bien même ils le seraient – comme c’est le cas avec les produits textiles ou agricoles – ils sont soumis à des quotas ou doivent affronter la concurrence des produits subventionnés du Nord. Pour justifier leur attitude, les “maîtres du monde” s’en réfèrent à une vieille croyance libérale : l’effet de ruissellement. Lorsque l’on pose la question à un des grands patrons : “Comment est-ce possible, où va ce monde, comment acceptez-vous que tant de gens meurent, etc. ?”, eh bien il répond : “Quand le marché sera suffisamment libre, il y aura une redistribution automatique des richesses.” Or, il n’en est rien : la société du capital mondialisé et l’obsession de pouvoir qui habite ses acteurs n’ont plus rien à voir avec la valeur d’usage quelconque des biens. C’est la cupidité et la volonté de pouvoir qui priment et qui n’ont pas de limites.

Quelle est la conséquence de ce comportement ?


Les inégalités se sont creusées. Les riches sont devenus de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres : aujourd’hui, 826 millions de personnes – dont 95 % vivent dans les pays en voie de développement sont chroniquement et gravement sous-alimentées. Toutes les sept secondes un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Chaque jour, 100 000 personnes meurent de la faim ou de ses suites immédiates. En décidant en quelques minutes où placer leurs capitaux en fonction de la maximisation des profits, les “maîtres du monde” décident chaque jour de la vie et de la mort de centaines de milliers de personnes. C’est pour ça que je dis que, aujourd’hui, quiconque meurt de faim est assassiné, parce que ce n’est plus une fatalité.


Mais ces problèmes ont toujours existé…


Oui, mais ce qui est radicalement nouveau, c’est le nombre des victimes : aujourd’hui, on connaît les chiffres et on a les moyens de combattre la faim. Aujourd’hui, la planète croule sous la richesse. Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime qu’en l’état actuel des techniques de production, l’agriculture pourrait nourrir 12,5 milliards de personnes, c’est-à-dire donner à chaque individu chaque jour 2 700 calories. Or, il n’en est rien. Au contraire. D’ailleurs, l’ONU se rend bien compte que la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui dans la conscience collective représente les valeurs minimales pour qu’une société puisse exister, est insuffisante dans sa formulation actuelle. Comme disait Bertold Brecht, le bulletin de vote ne nourrit pas l’affamé. L’ONU a donc décidé de fixer de nouveaux droits de la personne, et le premier de ces droits est le droit à l’alimentation. Il y a deux ans, le secrétaire général Kofi Annan m’a confié la mission de rédiger un rapport sur la possibilité de mettre sur place une convention internationale sur le droit à l’alimentation.


Qu’en est-il des instances nationales et internationales susceptibles de réglementer le commerce mondialisé ?


Au niveau national, les privatisations à tour de bras ont mis sous tutelle les Parlements et les gouvernements et privé de leur pouvoir régulateur les institutions publiques. Les gouvernements appliquent ce que le capital financier international leur dit, dans les domaines de la fiscalité, de la politique salariale, de la politique de sécurité sociale etc. Les Bourses sanctionnent immédiatement toute décision qui n’irait pas dans ce sens.
Quant aux instances financières et commerciales internationales, elles représentent essentiellement les intérêts des pays riches et excluent totalement les pays pauvres des processus décisionnels. Face à elles, l’ONU est presque totalement impuissante : les institutions de Bretton Woods [Banque mondiale et FMI] annulent dans leur pratique quotidienne ce que les agences spécialisées des Nations unies peuvent faire dans leur activité quotidienne. L’ONU est devenue totalement schizophrène : alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ou l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) essaient de soutenir des structures de développement dans le tiers-monde, le FMI intervient et réduit à néant ces efforts en imposant des programmes d’ajustement structurels et des privatisations.


Comment les pays riches influencent-ils l’OMC ?


Par l’arrogance la plus totale. Le FMI fonctionne selon le principe “un dollar une voix” : les Etats membres y ont donc un poids proportionnel au produit intérieur brut. Les Etats-Unis par exemple ont 17 % des voix. Dans un souci de démocratie, on a voulu appliquer à l’OMC le principe du consensus, de l’unanimité entre les 146 membres du Conseil général. Mais l’OMC est complètement dominée par l’Union européenne, les Etats-Unis et le Japon, qui - ensemble -, sont à l’origine de 81 % des échanges dans le monde. Comment voulez-vous qu’un pays comme le Niger ou le Bangladesh fasse le poids ? Par ailleurs, pour être présent aux négociations, il faut qu’un pays entretienne un représentant permanent à l’OMC, à Genève, ce que la plupart des pays du tiers-monde ne peuvent se permettre. Ils sont donc exclus des processus de décision. Enfin, l’OMC agit en dehors de toute transparence : ses traités constitutifs comportent plus de 26 000 pages. Cela pose des problèmes d’interprétation énormes. Et lorsqu’il y a des divergences de vues entre Etats membres, ils passent devant l’organe de règlement des différends, qui décide de l’interprétation et inflige des sanctions immédiates et sévères. Cela mobilise des cohortes d’avocats : à Genève, il s’est créé un nouveau barreau d’avocats spécialisés qui ne traitent que ces procédures. Seule une poignée d’Etats peuvent s’offrir leurs services. Les autres sont condamnés à renoncer à toute initiative pour défendre leurs intérêts.


D’où peut alors venir le salut d’après vous ?


De ce que j’appelle “la nouvelle société civile planétaire”. Ce sont par exemple les organisations ouvrières et syndicales, les ONG, les mouvements paysans, comme Via Campesina, qui représente surtout les paysans du tiers-monde – 75 % des 1,2 milliard d’êtres humains les plus pauvres sont des paysans… C’est une mystérieuse “fraternité de la nuit”, qui apparaît de temps en temps pour répondre aux maîtres du monde, comme à Porto Alegre, l’anti-Davos, ou tout récemment à Florence.


On reproche à ce mouvement d’être divisé, de ne représenter que des intérêts partiels et de n’exprimer que des refus, sans avoir une vision constructive. Comment pensez-vous qu’il puisse faire face à un adversaire organisé, structuré et doté d’une “force de frappe” redoutable ?


Marx a dit : “Le révolutionnaire doit être capable d’entendre pousser l’herbe.” Il n’est pas question aujourd’hui de négocier une coalition hâtive entre quelques restes de gauchisme et des ruines du trotskisme. Il faut changer de perspective : on est aujourd’hui dans un moment de “rupture des temps”. Ce qui apparaît comme une faiblesse de notre mouvement planétaire, ce que l’adversaire qualifie de “revendications négatives” – abolition du FMI, de la Banque mondiale, de l’OMC, interdiction des OGM – est en fait une force. Lorsque ces institutions nous demandent ce que nous voulons et nous reprochent de ne pas avoir de projet et donc de ne pouvoir dialoguer avec nous, je donne l’exemple des révolutionnaires de 1789 : ils savaient ce qu’ils ne voulaient pas, mais n’avaient pas de projet précis. Demander aux altermondialistes quel est leur projet, c’est comme demander, au soir du 14 juillet, à ceux qui avaient pris la Bastille de réciter le premier article de la Constitution de la Ière République ou de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! Le programme du mouvement se fait en marchant
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