MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE

Vues Du Monde : ce Forum MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE est lieu d'échange, d'apprentissage et d'ouverture sur le monde.IL EXISTE MILLE MANIÈRES DE MENTIR, MAIS UNE SEULE DE DIRE LA VÉRITÉ.
 
AccueilAccueil  PortailPortail  GalerieGalerie  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
Derniers sujets
Marque-page social
Marque-page social reddit      

Conservez et partagez l'adresse de MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE sur votre site de social bookmarking
QUOI DE NEUF SUR NOTRE PLANETE
LA FRANCE NON RECONNAISSANTE
Ephémerides
Le deal à ne pas rater :
Cartes Pokémon 151 : où trouver le coffret Collection Alakazam-ex ?
Voir le deal

 

 Du noir au pays des neiges

Aller en bas 
AuteurMessage
mihou
Rang: Administrateur
mihou


Nombre de messages : 8092
Localisation : Washington D.C.
Date d'inscription : 28/05/2005

Du noir au pays des neiges Empty
10052006
MessageDu noir au pays des neiges

Du noir au pays des neiges

Nadeau, Jean-François

Agenouillé, le bourreau installe de chaque côté des jambes à moitié nues d'Angélique quatre planches de chêne bien dures. Il les lui attache ensuite solidement, puis commence à insérer entre elles des coins de bois à coups de maillet. Sous l'impact, les os sont broyés.

Est-ce bien cette Marie-Josèphe-Angélique qui a causé, le 10 avril 1774, un incendie qui a ravagé une quarantaine de maisons et l'Hôtel-Dieu, c'est-à-dire une part substantielle du Montréal de l'époque? Après avoir nié vigoureusement une fois de plus, Angélique faiblit sous la torture. «C'est moi, dit-elle. Oui, c'est moi. Finissez-en. Pendez-moi.»

Mais peu importe que cette esclave noire avoue ou non un crime qu'elle n'a pas commis puisque son cas est entendu d'avance. La justice, droite et solide comme le chêne, a déjà décidé de son sort: après avoir été torturée, il est prévu qu'elle doit «faire amende honorable», puis «être pendue et étranglée jusqu'à ce que mort s'ensuive à une potence, qui sera plantée pour cette occasion, et son corps mort, brûlé et consommé». Son complice présumé, Claude Thibault, a eu la bonne idée de disparaître. Qu'à cela ne tienne: justice sera rendue aussi en son cas puisqu'on a prévu de brûler son effigie...

Nous savons aujourd'hui, notamment grâce aux recherches de Denyse Beaugrand-Champagne, qu'Angélique n'était pas coupable. On l'exécuta parce que, dans sa course pour fuir les flammes, elle avait laissé dans son tablier de ménagère de menus objets appartenant à son maître, dont une paire de ciseaux. On l'accusa en somme d'avoir mis le feu pour commettre le vol de ces biens. En fait, elle souffrit un aussi triste sort surtout parce qu'elle était noire. La Ville de Montréal vient de faire fondre une plaque commémorative qui souligne cette tragédie.

Des esclaves au pays des neiges

Des esclaves, le Canada en compta environ 1000 de 1632 à 1806. En 1833, ce crime de l'homme contre l'homme fut officiellement aboli.

Dans son essai d'histoire globale des traites négrières, Olivier Pétré-Grenouilleau estime que 9 599 000 esclaves africains ont été introduits en Amérique entre 1519 et 1867. En proportion, le nombre d'esclaves canadiens est certes bien mince, mais les baumes statistiques sont toujours sans effet sur les blessures laissées par la barbarie.

Qui sont les esclaves au Canada? D'abord, il faut le rappeler, des Indiens. Beaucoup d'Indiens. Mais bien sûr aussi ces Noirs auxquels l'histoire s'est peu intéressée jusqu'ici, malgré les travaux pionniers en la matière de l'historien Marcel Trudel.

Après l'abolition de l'esclavage en 1833, la condition des Noirs ne changea pas pour autant du jour au lendemain. Les nouveaux citoyens «libres» demeuraient des êtres tenus à l'écart. Rose, une ancienne esclave de la famille Baby, se fera même reprocher en 1861 d'écouter les conversations de ses nouveaux «employeurs»...

Chercher à retracer la vie de ces hommes et de ces femmes équivaut aujourd'hui à pourchasser des ombres dans la nuit du temps. Aux archives, ces individus n'apparaissent souvent que par hasard, au détour de certains recensements ou de documents divers. Ainsi, vouloir faire l'histoire de la communauté noire au Québec demeure oeuvre difficile, comme l'ont montré encore récemment les efforts de ceux qui ont voulu s'intéresser au cas d'un prétendu cimetière d'esclaves à Saint-Armand, dans les Cantons-de-l'Est.

Il revient à Daniel Gay, professeur de sociologie à la retraite de l'Université Laval, le grand mérite d'avoir entrepris une synthèse de l'histoire sociale des Noirs au Québec entre 1629 et 1900. Son travail, soigné, considérable, apparaît déjà comme

incontournable.

Ce sociologue doublé d'un ethnologue s'est intéressé au profil socioéconomique des Noirs, à la représentation que l'on se fait d'eux à l'époque ainsi qu'à la perspective raciale qui prédispose alors aux rapports entre les communautés.

Dans les écrits qu'il a fouillés, le Noir apparaît souvent sous les traits d'un Hercule élancé, souple et fort. L'analyse de récits de voyage montre qu'une réflexion embryonnaire sur la physiologie des Noirs existe à l'époque au Canada. On y voit entre autres que le sang du Noir ne serait pas de la même qualité que celui des Blancs... Depuis le Soudan, un certain Gaston Labat, un bon Canadien français, raconte aussi que son ami a failli devenir lui-même noir après avoir bu du lait d'une femme nègre. L'histoire ne dit pas comment il en était venu à boire de ce lait-là...

Plusieurs autres textes considérés par Daniel Gay mènent à conclure que la société de l'époque conçoit les Noirs comme des hommes-enfants, c'est-à-dire sans capacité intellectuelle vraiment développée. Les Noirs sont ainsi perçus régulièrement comme des êtres inférieurs, incapables d'efforts intellectuels soutenus, des êtres par ailleurs rieurs, voire insolents, tout autant que peureux, malpropres et, soulignons-le, immoraux. Le Canadien français fantasme en effet beaucoup sur la vitalité sexuelle de l'homme noir.

Dans l'univers du spectacle, on découvre aussi que le Noir joue au pays des neiges un rôle d'attraction indéniable. Les bonnes fanfares, très à la mode alors, se font un honneur de présenter un ou même plusieurs «Africains» comme cymbaliers habillés tout spécialement. Ces musiciens sont en quelque sorte aux fanfares ce que les mascottes animalières sont aux régiments militaires.

Les «Africains» offrent presque en tout un accent supplémentaire au divertissement du public. Les principales salles de théâtre de Montréal présentent au XIXe siècle des spectacles de variétés baptisés «Soirées éthiopiennes», «Spectacles nègres» ou «Minstrel Shows». À en croire Daniel Gay, ces numéros sont extrêmement populaires. Est-ce donc ce qui explique le fort succès à l'époque des By-Town Coons, ces caricatures d'Henri Julien publiées dans le Montreal Daily Star et qui représentent des politiciens sous les traits négroïdes de joueurs de banjo un peu stupides?

Le racisme est là. Mais au moins le droit change, comme les mentalités. Au XIXe siècle, il réitère désormais le caractère d'égalité de tous les citoyens de Sa Majesté très britannique. Ainsi, lorsqu'en 1898 un certain M. Johnson et sa compagne sont refusés à l'Académie de musique de Montréal dans les sections pour Blancs, le juge Archibald rend un verdict en leur faveur. Il rappelle que le «règlement» qu'évoque l'Académie de musique à sa défense «est sans aucun doute une survivance des préjugés créés par l'esclavage des Noirs» et que «cette pratique a disparu de nos moeurs». Il souligne en outre que la Constitution «n'admet pas de distinctions fondées sur la race ou sur la classe sociale».

Daniel Gay a le souci de se faire entendre au-delà de la communauté des historiens. L'histoire dont il rend compte lui est naturellement intolérable et il souhaite, en la parcourant, contribuer à une meilleure prise de conscience de l'histoire populaire du Québec afin de favoriser l'inclusion sociale. L'établissement d'une «mémoire collective» québécoise n'a de sens pour lui que dans la mesure où celle-ci comprend des «mémoires multiples et concurrentielles». Il propose donc une réévaluation à la hausse des absents de l'histoire officielle, dont la population noire. Sur le terrain de la nécessaire cohabitation entre les hommes, son livre correspond donc aussi à un appel lancé à notre époque.

jfnadeau@ledevoir.com

Le procès de Marie-Josèphe-Angélique

Denyse Beaugrand-Champagne

Libre Expression

Montréal, 2004, 296 pages

Les noirs du Québec 1629-1900

Daniel Gay

Septentrion

Québec, 2004, 516 pages

Les traites négrières

Essai d'histoire globale

Olivier Pétré-Grenouilleau

Gallimard, «Bibliothèques des histoires»

Paris, 2004, 474 pages
Revenir en haut Aller en bas
https://vuesdumonde.forumactif.com/
Partager cet article sur : reddit

Du noir au pays des neiges :: Commentaires

Aucun commentaire.
 

Du noir au pays des neiges

Revenir en haut 

Page 1 sur 1

 Sujets similaires

-
» Pays émergents et pays développés réduisent leur écart numér
» NOIR C'EST NOIR.........MAIS BEAUCOUP D'ESPOIR: L'OUTRE-MER
» les Pays-Bas, l'un des principaux pays esclavagiste
» NOIR C’EST NOIR:SARKOZY L’AFRICAIN
» QUI EST NOIR

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE :: HISTOIRE-HISTORY :: ESCLAVAGE-SLAVERY-
Sauter vers: