Allocution de Fidel Castro, Président de la République de Cuba, pour le soixantième anniversaire de son entrée à l’ université.
Introduction de Danielle Bleitrach.
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25 décembre 2005
25 décembre 2005
Lecture politique du texte de Fidel
Nous avons reçu en France, via internet, le 17 novembre 2005, un discours De Fidel Castro à l’Université, c’était un document fleuve de 52 pages, un discours de 6 heures.
Ce texte, relu et approuvé par son auteur, est devenu un texte officiellement approuvé et diffusé par le Conseil d’Etat. Même si nous n’en avons eu aucun écho dans la presse française, c’était donc un document important, sur lequel le peuple cubain était invité à se pencher, à réfléchir à débattre.
Le premier commentaire est paru dans le site latino américain Rebelion, sous la signature de Hanz Dietrich, le marxiste mexicain. Il insistait sur un aspect du texte, à savoir les conditions dans lequel le socialisme pouvait disparaître.
En réponse donc à ce texte, j’ai écrit un autre texte en référence aux travaux du philosophe marxiste allemand Ernst Bloch, en montrant que le fond n’était pas la disparition du socialisme, mais au contraire une bataille politique pour le socialisme, une révolution dans la révolution dont Fidel prenait la tête, non plus en temps que président de Cuba, mais en tant que "commandante" révolutionnaire.
Un texte de Celia Hart, insistait sur la même dimension et proposait même la création d’une nouvelle internationale. Le rôle de Cuba, me paraît d’une autre nature, tant le socialisme cubain est peu donneur de leçon, aide mais laisse à chacun le soin de mener son propre processus révolutionnaire. En liaison avec cette volonté de l’unité dans le respect de la diversité des peuples, il y a dans le discours de Fidel l’analyse des tâches révolutionnaires et le rôle des générations du peuple cubain dans l’accomplissement de ces tâches.
Mais nous avons désormais l’ouverture d’un débat démocratique à Cuba autour des idées politiques de ce texte.
La session de l’Assemblée Nationale du 21 et 22 décembre 2005 donne la clé politique de ce discours qui s’adressait certes au peuple cubain, mais au-delà aux révolutionnaires du monde entier.
Lire le texte de Fidel
Ce texte intervient à un moment historique. La Révolution cubaine, une fois conclu le pire moment de la Période spéciale, s’engage résolument sur des voies nouvelles en matière d’économie, de distribution de la richesse, de conception du développement, de rapport au tiers monde, et, encore une fois, c’est Fidel qui conduit le combat avec une lucidité confondante, avec des idées résolument en marge de ce qui se fait de "politiquement correct".
La nouvelle, confirmée par le CEPAL, l’organisme lié à l’UNESCO qui élabore les statistiques pour tout l’Amérique latine, fait état d’une croissance phénoménale de Cuba en 2005 : 11,8%. Il s’agit d’un véritable succès basé de surcroît sur le haut niveau de développement scientifique et culturel atteint par Cuba. Il intervient dans un contexte international marqué par des transformations profondes en Amérique latine. Comme en témoigne l’élection au même moment d’Evo morales en Bolivie.
Cette situation non seulement permet mais exige un approfondissement du socialisme, avec l’idée centrale que l’on ne fait pas le socialisme avec les méthodes du capitalisme. Cuba ne peut pas être mis en péril par l’ennemi, mais en revanche s’il n’avance pas le socialisme cubain sera détruit par lui-même. D’où la lutte contre la corruption, les gaspillage tout ce qui peut freiner l’élan et le mettre en péril.
Fidel et ce discours le prouve est en pleine forme, il reste capable de convaincre les pierres et de faire penser que tout est à portée de la main, et que tout est possible. Les longues interventions qu’il a faites ces derniers temps, en particulier jeudi et vendredi 22 et 23 décembre devant l’Assemblée nationale, sont, comme aux meilleurs temps, de vraies leçons de "réalisme utopique". Et il nous convainct dès lors qu’un monde meilleur est tout à fait possible.
Donc je vous invite à prendre connaissance de ce texte traduit en français, comme d’ailleurs des travaux de l’Assemblée nationale, disponibles seulement en espagnol.
Que serait le monde sans la Révolution cubaine ? Pour qui sait lire sans préjugé, elle est un laboratoire où s’élaborent ce que seront les idées de demain en matière de développement du tiers monde hors des normes foncièrement gaspilleuses de la société de consommation. D’ailleurs, s’il faut en croire Fidel qui dit à demi-mot ce qu’il ne peut dire à haute voix pour des raisons stratégiques, il semblerait bien que différents gouvernements commencent à s’intéresser de près à ce que fait Cuba dans ce domaine.Et l’altruisme éblouissant de Cuba n’est pas pour rien dans cet intérêt qu’elle suscite.
Et tout ceci semble d’autant plus réaliste que le contexte latino-américaine est chaque jour`plus favorable à l’expansion de cet exemple cubain. La décision du Brésil et de l’Argentine de rembourser leur dette au FMI pour pouvoir se débarrasser de son emprise et agir à leur guise, la victoire écrasante d’Evo Morales, la victoire vraisemblable de Lopez Obrador au Mexique l’an prochain, l’éventualité d’un retour au pouvoir des sandinistes au Nicaragua, le renforcement des relations économiques et politiques entre les grands pays du sous-continent, etc., pour ne citer que les derniers exemples en date, sont une preuve que l’arrière-cour l’est de moins en moins et qu’elle prend de plus en plus ses destinées en main et que rien ne sera plus comme avant. Bien entendu, Cuba ne peut que profiter d’un tel environnement, qui rend crédible le nouvel élan imprimé à la Révolution cubaine.
Danielle Bleitrach, 24 décembre 2005.
PS : Cette introduction à la lecture du discours de Fidel est le fruit de discussion avec J.F.Bonaldi, qui vit à Cuba depuis plus de trente ans et a écrit les livres les plus achevés sur la naissance de la Révolution, aussi bien que la traduction en français des textes politiques de José marti.
Allocution de Fidel Castro Ruz, Président de la République de Cuba, pour le soixantième anniversaire de son entrée à l’ université de la Havane, le 17 novembre 2005.
(Révision et correction faites par son propre auteur, en respectant intégralement les idées exprimées dans son discours)
Chers étudiants et professeurs de toutes les universités cubaines ;
Chers compañeros dirigeants et autres invités qui avaient partagé avec moi tant d’années de lutte.
Voila venu le moment le plus difficile, celui où je dois dire quelques mots dans ce Grand Amphi où tant de mots ont déjà dit. Un monde d’idées me vient à l’esprit, et c’est logique. Tant de temps s’est écoulé...
Vous avez été très aimables de rappeler ce jour très spécial, le soixantième anniversaire de ma timide entrée à cette université.
Je regardais une photo de l’époque. La veste ; l’expression du visage, mais je ne saurais dire si elle est de quelqu’un de fâché, ou de méchant, ou de bon, ou d’indigné, parce que la photo a été prise non le premier jour, mais quelques mois après, il me semble, que je commençais à réagir à tant de choses comme celles que je constatais. Je n’avais pas une pensée formée, tant s’en faut, c’était une pensée avide d’idées, mais aussi d’envie de connaître ; un esprit peut-être rebelle, plein d’ambitions, d’ambitions non révolutionnaires, mais en tout cas d’ambitions et d’énergie, et peut-être aussi d’envie de lutter.
J’avais été sportif, j’avais escaladé des montagnes. On m’avait même converti, je ne sais pas pourquoi, en une espèce de scout, une sorte de lieutenant et ensuite, plus tard, de général scout. Si bien que quand j’étais lycéen, on m’avait donné des grades bien plus élevés que ceux que j’ai aujourd’hui (rires), parce qu’après je n’ai été que simple commandant. Quant à ce grade de commandant en chef, ça ne voulait dire que chef de cette petite troupe d’à peine quatre-vingt-deux hommes qui ont débarqué du Granma.
Cette appellation est venue après le débarquement du 2 décembre 1956. Quelqu’un devait bien être chef des quatre-vingt-deux, et le « en » est venu après. De commandant chef, je suis devenu commandant en chef à l’époque où il y avait déjà d’autres commandants, qui avait été le grade le plus élevé pendant bien longtemps. Je me souvenais de tout ça. Il faut bien penser à ce qu’on était, à ce qu’on pensait, à ce qu’on éprouvait comme sentiments.
Des circonstances spéciales de ma vie m’ont peut-être fait réagir. Très tôt, ma vie n’a pas été facile, et c’est peut-être pour ça que j’ai développé ce métier de rebelle.
On parle de rebelles sans cause. En tout cas, il me semble me rappeler que j’étais au contraire un rebelle avec de nombreuses causes, et je remercie la vie d’avoir pu continuer d’être, tout au long de mon existence, rebelle, même aujourd’hui, et peut-être avec encore plus de raisons qu’avant, parce que j’ai plus d’idées, plus d’expérience, parce que j’ai beaucoup appris de ma propre lutte, parce que j’ai bien mieux compris cette terre où je suis né et ce monde où nous vivons, aujourd’hui mondialisé et à un moment décisif de son évolution. Je n’oserais pas dire un moment décisif de son histoire, parce que celle-ci est bien plus brève. Elle est vraiment infime par rapport à la vie d’une espèce qui, tout récemment, voilà trois ou quatre ou cinq mille ans, a commencé à faire ses premiers pas après sa longue et sa brève évolution. Je dis « longue et brève » parce que l’homme a évolué pour devenir un être pensant peut-être en quelques centaines de milliers d’années, après que la vie soit apparue sur cette planète selon les connaisseurs, si je ne me trompe pas, voilà un milliard ou un milliard et demie d’années. La vie est d’abord apparue, puis des millions d’espèces. Et nous ne sommes que ça, une de beaucoup d’espèces qui sont apparues sur cette planète. Voilà pourquoi je dis que c’est au terme d’une vie brève et à la fois longue que nous sommes arrivés à cette minute-ci, à ce millénaire-ci dont on dit qu’il est le troisième de l’ère chrétienne.
Pourquoi est-ce que je tourne tant autour de cette idée ? Parce que j’ose affirmer que cette espèce-ci court vraiment le danger de s’éteindre, et nul ne pourrait assurer, écoutez bien, nul ne pourrait assurer qu’elle survive à ce danger.
Que l’espèce ne survivra pas, c’est quelque chose dont on a parlé voilà deux mille ans. Je me rappelle quand j’étais à l’école avoir entendu parler de l’Apocalypse, prophétisé dans la Bible, un peu comme ci, voilà deux mille ans, certains s’étaient rendus compte que cette chétive espèce pouvait disparaître un jour.
Les marxistes aussi, bien entendu. Je me souviens très bien d’un livre d’Engels, Dialectique de la nature, où il dit que le Soleil s’éteindrait un jour, que le combustible qui alimente le feu de cette étoile qui nous éclaire s’épuiserait et que la lumière du Soleil cesserait d’exister. Et alors je me pose une question que vous vous êtes posés vous-mêmes un jour, ou vos professeurs, ou des milliers et des centaines de milliers comme vous : notre espèce sera-t-elle capable ou non d’émigrer vers un autre système solaire ?
Vous ne vous l’êtes jamais posé ? Eh bien, un jour ou l’autre, vous vous la poserez, parce qu’on se pose bien des questions tout au long de sa vie, surtout quand il existe une raison de se la poser. Et je crois que l’homme n’a jamais plus de raisons de se la poser. En effet, si cette homme qui était marxiste s’est posé la question de la disparition de la chaleur et de la lumière du Soleil, et a pensé comme scientifique que le système solaire cesserait un jour d’exister, nous aussi, en tant que révolutionnaires, et en faisant voler notre imagination, nous devons nous demander ce qu’il arrivera et s’il existe un petit espoir que cette espèce-ci s’échappe en direction d’un autre système solaire où la vie existe ou peut exister. Tout ce que nous savons à présent, c’est qu’il existe un Soleil à quatre années-lumière parmi les centaines de milliards de soleils existant dans cet énorme espace dont nous ne savons encore trop bien s’il est fini ou infini.
D’après nos maigres connaissances en physique, en mathématique, en lumière et en vitesse de la lumière, d’après ceux qui voyagent vers les planètes les plus proches où ils ne trouvent rien, et ceux qui voyageront vers Vénus - qui était à l’époque des Romains la déesse de l’Amour - et ceux qui auront le privilège d’y arriver, on se retrouvera en face de cyclones qui sont je ne sais combien de centaines de fois pires que Katrina, que Rita, ou que Michelle ou que Mitch et tous les autres qui nous frappent avec toujours plus de violence. On dit en effet que la température sur Vénus est de 400º, et qu’il y a des masses d’air ou d’atmosphère lourde en mouvement constant.
Ceux qui sont allés sur Mars, dont on disait que c’était un petit endroit où la vie a peut-être existé - Chávez blague à ce sujet en affirmant que la vie y a peut-être existé - et a disparu cherchent une particule d’oxygène ou tout autre indice de vie. Bien des choses ont pu se passer, mais le plus probable c’est qu’aucune vie développée n’ait jamais existé sur aucune de ces planètes. L’ensemble de facteurs qui ont rendu la vie possible a joué au bout de milliards d’années sur la planète Terre. Cette vie fragile n’a pu se développer que dans des fourchettes de températures limitées, entre quelques degrés en dessous de zéro et quelques degrés au-dessus de zéro ; car personne ne survit dans une eau à une température de 60º et la mort surviendrait au bout de vingt secondes, et il suffirait de quelques dizaines de degrés en dessous de zéro, sans chaleur artificielle, pour que personne ne survive. La vie a surgi dans des marges de températures limitées.
Si je parle de la vie, c’est parce que quand on parle d’universités, on parle de vie.
Qui êtes-vous ? Si vous me posiez la question, je dirai que vous êtes la vie, que vous êtes des symboles de la vie.
Nous avons évoqué ici des événements de nos vies, de notre université, de notre Alma Mater, nous avons évoqué ceux d’entre nous qui y sommes entrés voilà des dizaines d’années et ceux qui y sont aujourd’hui, qui sont maintenant en première année ou sur le point de se diplômer, ou certains qui sont déjà diplômés et qui remplissent des fonctions que d’autres, moins expérimentés, ne pourraient pas réaliser.
J’essayais de me rappeler comment étaient ces universités-là, à quoi nous nous consacrions, de quoi nous nous inquiétons. Nous nous inquiétons de cette île, de cette petite île. On ne parlait pas encore de mondialisation, la télévision n’existait pas, l’Internet non plus, pas plus que les communications instantanées d’un bout à l’autre de la planète, c’est à peine s’il y avait le téléphone et peut-être quelques avions à hélice.
En tout cas, à l’époque, vers 1945, nos avions de passagers arrivaient à peine à Miami et encore avec bien du mal. Même si j’entendais parler quand j’étais écolier du voyage de Barberán et Collar. À Birán, on disait : « Barberán et Collar sont passés par ici. » C’étaient deux pilotes espagnols qui avaient traversé l’Atlantique et avaient poursuivi jusqu’au Mexique. Après, on n’en a plus entendu parler. On discute encore de l’endroit où ils se sont écrasés : en mer entre Pinar del Río et le Mexique, ou au Yucatán, ou ailleurs... En tout cas, on n’a plus jamais rien su d’eux, mais ils avaient eu en tout cas l’audace de traverser l’Atlantique sur un petit avion à hélice qu’on venait juste d’inventer. C’est au début du siècle dernier que l’aviation a vu le jour.
Dim 7 Mai - 9:26 par Tite Prout