Pour rencontrer du monde, et peut-être quelqu'un
Violaine de Montclos
«Allez, on change de partenaire... » Les mains se lâchent, les regards se cherchent, les corps hésitent et s'accrochent à nouveau, deux par deux, sous l'oeil du professeur de danse. Une grande fille s'agrippe avec un sourire navré à son partenaire de fortune, tout petit. Une danseuse effrénée, la cinquantaine superbe, s'agace au bras de son jeune cavalier qui compte méthodiquement les pas. Et là-bas, au fond de la salle, un couple plutôt bien assorti savoure visiblement la joie de s'être trouvé au hasard. Nous sommes au club des célibataires Eurofit, il est 19 h 30, le cours de salsa bat son plein. Dans la salle adjacente, des apprentis sorciers suivent un cours de magie. Au bout du couloir, un petit groupe perfectionne son anglais. Et au bar, quelques oisifs calés dans leurs fauteuils devisent en prenant l'apéro, s'interpellent d'une table à l'autre, échangent infos et bons tuyaux. « Inscris-toi au week-end de ski, les listes sont presque complètes », « Comment c'était, le dîner voyance ? », « N'oubliez pas l'anniversaire d'untel... »
Rien ici n'évoque l'asile tristounet ni le repaire ringard que l'on s'attendait à trouver. Sur les trois étages de ce bel appartement parisien, c'est un peu notre société en miniature qui se reconstitue : tous les âges, tous les styles, toutes les professions se croisent. Jeune boulanger arrivé de province, décoratrice quadragénaire, col blanc débordé de travail, veuve à la retraite, les 4 000 membres de cette famille hétéroclite n'ont finalement rien de plus en commun que les voyageurs d'une rame de métro. Sauf qu'ils ont juré sur l'honneur être célibataires. Ils sont là parce qu'un divorce les a privés de leur ancien réseau d'amis, parce que leurs vieux copains, en couples, ne sortent plus, parce qu'ils se sont installés dans une ville où ils ne connaissaient personne, parce qu'ils sont seuls mais qu'ils ont envie de vivre bien. Ils veulent rencontrer du monde et, peut-être, avec un peu de chance, rencontrer quelqu'un. « Eurofit est un club de loisirs, pas une agence matrimoniale, explique Nathou Jooris, la directrice. Nous offrons aux membres toute une gamme d'activités, de soirées, d'événements. Au départ, nous guidons les nouveaux arrivants, nous les aidons à se présenter, à se repérer, mais la suite est leur affaire. »
Chaque soir, le restaurant, le bar et la salle de danse sont ouverts. Ce soir-là, une table d'habitués se constitue sans malaise pour dîner. On convainc une connaissance un peu intimidée de se joindre au groupe, on garde une chaise pour l'amie qui viendra après le cours de salsa, et la discussion rebondit vite d'un sujet à l'autre : les prochaines vacances en Espagne, le piètre danseur qui sévit dans les soirées du club, l'amie qu'on ne voit plus depuis qu'elle a trouvé l'âme soeur. « Parfois, des gens disparaissent de la circulation parce qu'ils ont rencontré quelqu'un. Il arrive qu'on les voie réapparaître quelques mois plus tard, si l'histoire n'a pas marché », ironise une convive. Autour de la table, des quinquagénaires exubérantes, un quadra silencieux, et une jeune femme de 36 ans qui évoque sa solitude simplement : « Tous mes copains ont maintenant une famille, ils sortent moins, n'ont pas le même rythme que moi. » Derrière les visages souriants, on devine des histoires individuelles éprouvantes, des divorces, des ruptures. Mais ces compagnons de célibat rient en choeur de leurs angoisses, et leurs existences sont tout entières tournées vers l'avenir. Si les souffrances et les déceptions sont évoquées à demi-mot, le plus clair est qu'ils ont retrouvé ensemble l'envie et l'énergie de se construire une bonne vie
Site : Eurofit-club.fr Info loisirs : 01.48.24.31.31.
© le point 16/05/03 - N°1600 - Page 65 - 614 mots