Interview de Malek Chebel*
« L'avenir est à l'islam »
Propos recueillis par Catherine Golliau
Pourquoi choisir l'islam plutôt que le christianisme ? « Pour sa virilité », répond non sans provocation le psychanalyste et anthropologue Malek Chebel, auteur, chez Perrin, d'un très roboratif essai sur la pensée musulmane : « L'islam et la raison ».
Le Point : De Jésus ou de Mahomet, qui est le plus fort ?
Malek Chebel : L'homme du Coran. Jésus est un personnage formidable, mais il est mort trop jeune. Non seulement, d'après les synoptiques, il n'a prêché qu'un an, mais ce messager de l'amour du prochain est mort crucifié. Mahomet est un personnage plus abouti, un commerçant, un va-t-en-guerre, un négociateur, un amant, un époux, un père.
Ce n'est pas un handicap d'être un prophète qui ressemble à M. Tout-le-Monde ?
Ah, revoilà l'argument numéro un des Pères de l'Eglise vis-à-vis de la religion de Mahomet : comment un Bédouin analphabète peut-il prétendre se mettre à la hauteur du fils de Dieu ? Nous, les musulmans, on ne parle pas du Prophète, on parle de son message. C'est lui qui fait le prophète, pas le contraire.
Justement, le message du Christ est d'une force inouïe : « Aimez-vous les uns les autres. » On n'a pas fait mieux pour aider les hommes à vivre ?
La force de Jésus, mais c'est aussi son talon d'Achille, est d'avoir promu une religion de bonté, de miséricorde, mais aussi de souffrance. On te frappe la joue, tu tends l'autre. C'est une religion compassionnelle. En Orient, ce sont des vertus féminines. Que propose Mahomet ? Un renforcement du patriarcat, même s'il respecte la femme et restaure son statut. Les valeurs fortes comme la richesse, la force, la guerre ne sont pas remises en question. Religion masculine par définition.
Et peu attirante si elle rime avec djihad, intolérance, terrorisme... Cela explique peut-être qu'il y a près de 2 milliards de chrétiens pour 1,2 milliard de musulmans...
Oui, mais le christianisme a le bénéfice de l'antériorité. Aujourd'hui, les églises se vident, alors que les mosquées se remplissent. L'avenir est à l'islam. Entre 2020 et 2050, du fait de sa force démographique, l'islam sera la première religion monothéiste.
Pourquoi se convertir à une religion qui oppresse la femme et prône la violence ?
Je suis toujours très surpris par la force de conviction des convertis chrétiens à l'islam. Qu'est-ce qu'ils trouvent ? Une virilité et une sécurité qu'il n'y a plus dans le christianisme. Dans l'islam, ils n'ont plus à penser. La parole vient d'en haut. Les obligations du croyant sont strictes mais limitées : la profession de foi, cinq prières par jour, l'aumône obligatoire, le jeûne et le pèlerinage à La Mecque. Ils peuvent régresser en toute quiétude. Les nouveaux convertis sont pris en charge. On les marie s'ils ne sont pas mariés. On les circoncit si ce sont des hommes. L'islam leur offre une communauté, la sécurité physique et morale, une orientation, un destin. Tout est balisé. L'islam ne doute pas et ne connaît pas, comme le christianisme, l'angoisse de l'église vide.
Pourquoi l'islam a-t-il toujours cherché à récupérer Jésus ?
Pour le croyant, l'islam est un continuateur qui confirme le message des prophètes qui l'ont précédé, et notamment Jésus. Celui-ci et Marie y tiennent une place particulière, à mon avis, parce qu'ils sont humains. Il est différent des autres prophètes de la Bible, il fait moins peur à un islam qui, par ailleurs, se sent trop proche du judaïsme.
Cette religion « virile » négocie pourtant mal le virage de la modernité. Il lui manque une révolution culturelle façon Vatican II pour le christianisme...
Un point pour Jésus, ou plutôt pour l'Eglise ! C'est vrai que l'islam a besoin d'urgence d'une autocritique. Il faut rompre radicalement avec l'enfermement théologique. C'est le discours des hommes, pas le discours de Dieu, qui doit gérer la société des hommes.
L'Iran est une théocratie et pourtant c'est là que l'on trouve aujourd'hui des philosophes réformateurs parmi les plus novateurs et les plus exigeants...
Effectivement. Le chiisme a toujours été une force de réflexion en islam. Abdel Karim Soroush est un bon exemple d'un Iranien qui travaille de l'intérieur et qui défend la modernisation de l'islam.
Celle-ci implique la reconnaissance de la raison. Or le Coran est un texte sacré, dicté par Dieu à Mahomet. Est-ce compatible ?
Totalement. L'islam parle aux gens au niveau de la foi ; et l'homme parle à l'intelligence. Ce que je réprouve, c'est l'usage de la religion dans la vie publique. C'est l'usage abusif de Dieu pour régler des problèmes entre les hommes
* Ecrivain
© le point 22/09/05 - N°1723 - Page 78 - 723 mots