Les deux cultures se retrouvent toutefois sur la nécessaire soumission des femmes à la « loi des mâles » : « L'homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l'image et la gloire de Dieu, mais la femme est la gloire de l'homme. [...] Voilà pourquoi elle doit porter sur la tête la marque de sa dépendance. » Un extrait du Coran ? Non, de la 1re Lettre aux Corinthiens de saint Paul (11, 7-10). Jésus, qui protégea la femme adultère de la lapidation (d'ailleurs absente du Coran), aurait-il dit la même chose ? Lui dont la mère, sacralisée, ouvrit un horizon - restrictif, mais inouï - de promotion féminine...
La spiritualité intérieure. Sous nos lunettes judéo-chrétiennes, l'issue du match ne semblerait donc guère faire doute... n'était le soufisme. Esotérisme islamique visant à révéler l'unité ultime de l'Homme et de Dieu, sa tradition initiatique séduit bien au-delà des rangs musulmans, notamment dans les milieux intellectuels occidentaux. Or elle aime à faire de Mahomet, l'organisateur de Médine et le chef de guerre, son fondateur et référent humain suprême. Si la question est débattue tant par les historiens que par les musulmans rigoristes, reste que le soufisme est à l'origine d'un brillant humanisme à même de rendre attractive une religion menacée par un dogmatisme puritain, si ce n'est autoritaire. Le christianisme, lui, a (presque) toujours condamné l'idée d'un approfondissement spirituel - et secret - de la religion « ordinaire ».
Match nul ? Si des disparités profondes séparent le Christ du Prophète, force est de constater la ressemblance des civilisations construites en leur nom, cultures traditionnelles nées d'un même univers méditerranéen archaïque. Elles connurent simplement des évolutions divergentes, accusant leur animosité chronique. Seul le christianisme a donné naissance à la modernité, et ce contre toute attente, la raison, la tolérance et le développement ayant été longtemps mieux portés à Bagdad ou à Cordoue qu'à Rome ou à Paris. Or cette modernité fut tout autant la fille que l'adversaire du christianisme, contraint avec le temps de se soumettre à elle pour l'essentiel. Reste à savoir si ces parcours sont fidèles à leurs inspirateurs respectifs... Tout aussi incompris, Jésus et Mahomet ? 1 partout, balle au centre, avant une incertaine deuxième mi-temps...
Jésus contre Mahomet, la grande confrontation ?
Jésus contre Mahomet ? Parle-t-on là du même sujet ? A l'aune de l'histoire des hommes, le christianisme tient une place à part, et essentielle : il nous a fait passer de l'archaïsme à la modernité, en nous aidant à canaliser la violence autrement que par la mort. Que se passait-il en effet avant que la croix ne s'installe au coeur de notre univers ?
Pour limiter la violence, les sociétés archaïques la concentraient sur des victimes, hommes ou bêtes, qu'elles sacrifiaient. De là le bouc émissaire et le meurtre rituel. Mais aussi la sanctification du héros. Le sacrifice était vécu comme une intervention surnaturelle, la violence unanime du groupe se transfigurait alors en épiphanie. C'était le coeur du religieux, un progrès pour l'humanité, même s'il n'était qu'un pis-aller puisqu'il obligeait à tuer des innocents.
En faisant d'un supplicié son Dieu, le christianisme va dénoncer le caractère inacceptable du sacrifice. Le Christ, fils de Dieu, innocent par essence, n'a-t-il pas dit - avec les prophètes juifs : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice » ? En échange, il a promis le royaume de Dieu qui doit inaugurer l'ère de la réconciliation et la fin de la violence. La Passion inaugure ainsi un ordre inédit qui fonde les droits de l'homme, absolument inaliénables. Et l'islam ? Il ne supporte pas l'idée d'un Dieu crucifié, et donc le sacrifice ultime. Il prône la violence au nom de la guerre sainte et certains de ses fidèles recherchent le martyre en son nom. Archaïque ? Peut-être, mais l'est-il plus que notre société moderne hostile aux rites et de plus en plus soumise à la violence ? Jésus a-t-il échoué ? L'humanité a conservé de nombreux mécanismes sacrificiels. Il lui faut toujours tuer pour fonder, détruire pour créer, ce qui explique pour une part les génocides, les goulags et les holocaustes, le recours à l'arme nucléaire, et aujourd'hui le terrorisme René Girard*
La vie de Jésus... musulman
A Srinagar, capitale du Cachemire, tout le monde connaît le Rozabal, le mausolée du saint musulman Yuz Asaf. Mais qui sait que, depuis plus d'un siècle, une folle rumeur court la planète : Yuz Asaf ne serait autre que... Jésus. N'y a-t-il pas dans un coin du Rozabal une pierre portant l'empreinte d'un pied percé d'un trou ? Et Yuz Asaf n'est-il pas arrivé au Cachemire il y a deux mille ans se présentant comme le fils d'une vierge ? Demeure la question : pourquoi le Christ serait-il venu dans cette province indienne ? Parce que c'est là que s'est installée l'une des dix tribus perdues d'Israël, déportées par Sargon II en 721 avant notre ère. Jésus aurait découvert ses « frères » lors d'un voyage en Inde dans cette jeunesse dont les Evangiles ne disent rien. L'Ahmadiyya, une secte qui regroupe des millions de fidèles au Pakistan et en Inde, soutient cette thèse depuis sa création en 1889. Ses adeptes sont convaincus que, contrairement à l'affirmation du Coran, ce n'est pas Jésus de Nazareth qui est le Messie de la fin des temps, celui qui rassemblera les humains pour le jugement dernier sous la bannière de Mohamet, c'est le fondateur de la secte, Mirza Ghulam Ahmad Qadiani. Le Coran ne dit-il pas que Jésus est monté au ciel après avoir échappé à la croix ? S'il est enterré à Srinagar, c'est donc qu'il y a maldonne... Les prétentions de l'Ahmadiyya sont bien sûr blasphématoires pour tout bon musulman, mais ce n'est pas la première fois que la biographie de Jésus (Issa, dans le Coran) connaît des épisodes étrangers au récit des Evangiles. Reprenant une thèse héritée du docétisme, une hérésie des premiers temps du christianisme qui n'admettait pas que le fils de Dieu ait pu souffrir, l'islam rejette aussi l'idée que ce Jésus qu'il vénère tant - même s'il ne voit en lui qu'un prophète - ait pu mourir sur la croix. « Ils ne l'ont pas tué et ils ne l'ont pas crucifié. Ce n'était qu'un faux-semblant », assure un verset du Livre saint (Coran IV ; 156). Comme le raconte l'historien Tabari, Dieu lui substitua un autre homme, vraie victime des Ecritures...
Frédéric Lewino
Le choix soufi
Faut-il l'appeler Fabien ou Badr ? Kinésithérapeute, catholique devenu musulman il y a dix ans, cet homme de 31 ans marie avec harmonie ses deux identités. « Pour moi, tous les gens de Dieu sont uns, explique cet Avignonnais de souche, fils de professeurs. D'Abraham à nous en passant par Moïse, Jésus et Mahomet, nous formons tous une même vague issue de l'unique source divine. L'islam - qui seul reconnaît tous ces prophètes - en est seulement le dernier héritier. » Une prise de conscience qui a pesé dans sa conversion à la religion qu'il estime « la plus adaptée aux hommes d'aujourd'hui ». Il n'estime d'ailleurs pas avoir tourné le dos à son christianisme familial, comme l'ont d'abord craint ses proches. « Je lui suis juste fidèle sous une autre forme. Toutes les traditions authentiques ne sont-elles pas des moyens pour aller vers Dieu ? » Mais alors, pourquoi en changer ? « Difficile à dire... C'est avant tout une expérience spirituelle. » Comme nombre d'Occidentaux attirés par l'islam, « Fabien-Badr » a choisi la voie du soufisme, l'ésotérisme musulman. Son frère lui-même est un « initié », comme son ami le chanteur Abd al-Malik (« Qu'Allah bénisse la France », Albin Michel, 2004), qui appartient à la même confrérie. Fabien a eu pour « guide spirituel » le sage marocain Sidi Hamza. Il a tout lâché pendant quatre ans pour rester à ses côtés. Cette expérience a bouleversé sa vie. « Devenu raciste à la suite d'une agression, je repoussais l'appel de l'islam, se souvient-il. Mais la découverte du soufisme a balayé mon rejet des Arabes et de leur religion. J'ai été emporté... » E. V.
le choix chrétien en kabylie
L'allure d'une rock star avec ses lunettes noires, son jean et son débardeur rouge, Ferhat, 29 ans, professeur d'anglais, vient d'abandonner l'islam pour le christianisme. Il est protestant évangélique et appartient à l'une de ces Eglises qui, depuis quatre ou cinq ans, se font de plus en plus visibles dans la grande vallée de Boghni-Les-Ouadias, en Kabylie. Ici, on parle même de « quatre églises pour une mosquée ». En fait d'églises, des salles de fortune, capables de rassembler des communautés de dizaines de fidèles. Pourquoi avoir choisi l'apostasie, pourtant punie par la mort en islam ? « J'ai vraiment rencontré Jésus. C'était à la messe de minuit, à Alger, en 2001. J'ai été gagné par une émotion que je n'avais jamais connue et qui depuis ne me quitte plus, raconte Ferhat, pudiquement. Il y avait des gens de toutes les couleurs et de toutes les nationalités. J'ai été surpris : être chrétien pour moi, c'était être blanc. » Rencontre spirituelle qu'il recherchait depuis longtemps. Dès sa deuxième année de fac, ce fils d'une famille musulmane maraboutique traditionnelle avait arrêté de faire le ramadan. Il sortait amer de ses années d'engagement pour la cause kabyle : « Tout ce à quoi j'avais cru était parti en fumée. Le mouvement pour la vérité sur l'assassinat du chanteur Matoub Lounès en 1998 était retombé. Des amis politiques s'étaient avérés des opportunistes dès qu'ils avaient été élus à l'Assemblée nationale. Même ma vie amoureuse était un chaos. » Depuis un an déjà, il était en contact avec une communauté évangélique. « J'ai été pendant une semaine le traducteur d'un missionnaire américain qui m'a marqué. Il avait une très bonne situation dans le Michigan et a tout laissé tomber pour prêcher la parole de Dieu durant trois mois dans un pays réputé dangereux et qu'il ne connaissait pas. » Difficile pourtant de se convertir. Il a fallu braver le regard des parents, du village. « J'ai dit à mon père qu'il devait me sentir plus près de lui car maintenant j'avais la foi. » Dès le début, le fait de chanter des textes liturgiques dans sa langue maternelle, le tamazight, lui apporte « un immense réconfort intérieur ». Pour lui, « Jésus n'est pas un autre visage de Dieu. C'est une expression douce et amicale de sa présence. Ce que j'ai vécu les années précédentes, la violence, la haine me l'avaient totalement cachée. Je pense vraiment que j'ai été sauvé par Jésus. Autour de moi, mes amis sont aigris, souvent haineux, surtout après le printemps noir où nous avons vu mourir sous les balles des gendarmes plus de 100 jeunes dans les villes de la Kabylie. » Dans sa vallée, les convertis demeurent discrets. Mais Ferhat doit quand même faire face aux critiques, répondre aux insinuations sur son supposé opportunisme, celui d'être devenu chrétien afin d'obtenir un visa pour les Etats-Unis, prouver enfin que les Kabyles convertis au christianisme sont « différents et pourtant les mêmes » Malek Sohbi
© le point 22/09/05 - N°1723 - Page 70 - 1727 mots