Sa Majesté Beau Bogolan : Ambassadeur Mondial de l’Esthétique Africaine Millénaire
25/12/2005
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Le Bogolan est, probablement avec le tissu Kenté ou Kita, la technique de teinture de textile africaine la plus mondialement répandue, objet d’une énorme audience aux Etats-Unis dans les années 80-90, son succès en Europe ne s’est par ailleurs jamais démenti. Ce savoir-faire magique d’Afrique de l’Ouest, habitué désormais des précieux rayons des magasins spécialisés, boutiques de luxe, musées, symbolise la puissance de création de l’esthétique africaine, puisant dans le répertoire de la tradition pour marquer la modernité.
Le Bogolan se raconte comme une mythologie mandingue, découvert et inventé par une femme de chasseur qui, ayant constaté les tâches indélébiles sur les vêtements laissées par les décoctions de plantes médicinales séchées par terre, a saisi la réaction chimique produite par le contact de la boue -bogo- et du support textile. Il s’agissait dés lors de réutiliser ce principe en y rajoutant différents motifs, formes et teintures à bases d’écorces naturelles ou autres matériaux minéraux et végétaux. L’invention ne serait pas complète si les sociétés mandingues n’y avaient imprimé des significations, des codifications propres, ainsi les tenues et motifs traditionnels vont prendre les fonctions et usages très précis, tels motifs de pagne pour l’épouse, tel autre pour la jeune fille, pour le néo-circoncis, pour le chasseur, pour le mariage, le système vestimentaire Bogolan était né, complet dans son esthétique et dans son écriture sociale, traduisant les espérances, les enjeux sociopolitiques, les croyances des peuples de langue Bamanan ou Bambara.
Cette constance du partage des tâches d’innovation, cette division sociale du travail africain est frappante entre genres masculin et féminin, souvent les femmes étant à la source de l’invention dans les cultures continentales ce qui se mari parfaitement avec les cosmogonies anciennes. En l’espèce la femme découvre le procédé Bogolan, à partir de matériaux -textiles, décoctions de chasseurs,…- laissés par inadvertance par… l’homme. Ni sujétion, ni rapport de force, complémentarité créative et créatrice.
Pourtant ce n’est pas seulement en se remémorant sa cosmogonie que le Bogolan est entré par la grande porte dans tous les réceptacles réputés de l’esthétique mondiale. Ces promontoires n’ont été investis que par le fruit d’une longue et permanente adaptation des techniques, des produits, des motifs, des canaux de commercialisation et donc du métier des artisans artistes.
C’est le créateur de mode malien Chris Seydou, décédé, qui a le premier introduit avec un énorme succès international le Bogolan dans la cour des grands de la haute couture, suivi en cela par des générations postérieures de créateurs africains, et occidentaux. Cette intrusion de la tradition dans le moderne contemporain devait impliquer des mises en forme et des ajustements pour répondre aux canons de la haute couture. La geste du Bogolan se poursuivrait par la suite par un développement des usages étendant l’empire plastique de la civilisation Bogolan-Bamanan du strict textile habillement à la décoration intérieure, à la maroquinerie, aux arts du spectacle, à l’ameublement, etc.
Ces innovations impliquant souvent un travail sur les graphismes réinventés, en plus d’un investissement pour internationaliser la commercialisation de ce savoir-faire en mouvement.
Fierté légitime du monde mandingue, le Bogolan, son système de signes, de motifs, d’usages structurés, sa technique, portent des valeurs, un discours sur la vie, il est écriture, transporteur et rapporteur d’une culture, véhicule et passager d’une civilisation. Il a su assurer une mutation très exigeante mettant sa dimension industrielle en avant pour la conquête de nouveaux fronts commerciaux, en Afrique et dans le reste du monde, sortant des frontières exiguës du textile habillement mandigue, se segmentant progressivement en gammes plus ou moins nettes.
Cependant le développement et la séduction commerciale ont un prix qu’il faut apprécier à sa juste valeur et éviter les pièges de la banalisation que le succès a apporté, en incitant un processus d’entrée dans la branche d’artisans artistes peu aguerris, parallèlement à un risque de disparition des motifs anciens et traditionnels, éliminés par la demande des marchés. En se limitant à répondre aux attentes immédiates des consommateurs occidentaux ou occidentalisés, le Bogolan pourrait y perdre son âme, cette source de valeur l’ayant supporté dans son incroyable odyssée culturelle et économique. Technique d’impression et artéfact, à la fois trait d’union entre tradition et modernité, tradition et modernité en substance, Sa Majesté Bogolan s’apprête à graver de nouveaux idéogrammes magnifiant le beau, l’utile, l’éternel. Africain.
Première parution 21.04.04
Ze Belinga