Imposer la retraite à un âge prédéterminé est une grave erreur
27 juin 2005
Bernard Mooney , Journal Les Affaires
J'ai eu un choc en lisant la Circulaire de sollicitation de procurations de la direction de la Banque Nationale. On y découvre que l'âge de la retraite des dirigeants est fixé à 60 ans.
Il me semble que dans une société qui mise tant sur le capital humain, ce genre de politique qui impose la retraite est difficile à justifier.
Qu'une personne comme Réal Raymond, président et chef de la direction de la Banque Nationale, décide de prendre sa retraite à 60 ans après avoir consacré 41 ans de sa vie à travailler au sein de cette institution, on peut le comprendre. Mais qu'une entreprise l'impose ou l'encourage fortement, c'est autre chose.
Je ne crois pas qu'un dirigeant âgé de 60, 65, 70, voire 80 ans, soit "fini". Il peut encore contribuer de façon importante. Les plus récentes découvertes des scientifiques concernant le cerveau, en particulier pour ce qui est de sa plasticité, montrent clairement que le vieillissement n'a rien d'inéluctable (pour en savoir davantage, vous pouvez lire le livre du neurochirurgien Richard Restak, The New Brain : How the Modern Age Is Rewiring Your Mind). La clé est de rester actif, intellectuellement et physiquement.
Comme un grand nombre de personnes atteignent les postes de direction les plus élevés uniquement dans la cinquantaine, une politique restrictive imposant un âge pour la retraite les force à raccourcir leur perspective d'avenir. Pourtant, une des clés du succès de General Electric, c'est que ses présidents restent 20 ans et plus à la tête de l'entreprise. Cette situation est voulue ainsi. En procédant de cette manière, on reconnaît le fait qu'en cinq ans, ils n'ont pas vraiment le temps de faire leur marque.
Warren Buffett affirme que les mandats de président et chef de la direction qui ne durent que cinq ans ou moins mènent au désastre. Il faut noter que M. Buffett, président de Berkshire Hathaway, a 74 ans. Il dit depuis longtemps qu'il prendra sa retraite 10 ans après sa mort. Son vice-président et partenaire Charles Munger a 81 ans, et plusieurs des dirigeants des entreprises de son conglomérat ont 80 ans et plus. À les regarder agir depuis de nombreuses années, je peux témoigner qu'ils s'améliorent avec les années. Leur retraite complète serait une catastrophe.
De la sagesse
À plusieurs reprises, M. Buffett a fait l'éloge de Rose Blumkin, fondatrice des magasins Nebraska Furniture Mart, qui appartiennent à Berkshire, soulignant entre autres qu'elle avait travaillé jusqu'à sa mort, à l'âge de 105 ans ! Warren Buffett cherche des entrepreneurs passionnés et ceux-ci ne sont pas du genre à arrêter parce que le calendrier affiche une nouvelle année.
De plus, le célèbre investisseur milliardaire reconnaît la valeur inestimable de l'expérience et de la sagesse. Or, si je me fie à ce que j'observe autour de moi, la sagesse nécessite de nombreuses décennies avant de prendre racine.
Une des tâches critiques d'un président et chef de direction est de répartir le capital généré par l'entreprise de façon rationnelle et optimale. Or, c'est un travail qui demande une grande sagesse. La tendance la plus répandue est cependant d'imiter les concurrents et de suivre les modes. C'est ce à quoi nous a habitués l'industrie bancaire, par exemple, en perdant des milliards dans le pétrole dans la fin des années 1970, dans les prêts aux pays en voie de développement une décennie plus tard et dans l'immobilier lors du cycle suivant, etc.
On voit l'importance d'avoir un dirigeant qui a vécu plusieurs cycles et qui a vu les erreurs du passé. Mettre à la retraite un dirigeant parce qu'il a atteint un âge prédéterminé est un gaspillage éhonté du capital humain.
> Signe des temps
Le Régime de pensions du Canada (RPC) a annoncé la semaine dernière un investissement d'un milliard de dollars (G$) dans l'immobilier. Le RPC achète 50 % d'un portefeuille de 11 immeubles commerciaux de la société Oxford. Le 31 mai, le RPC avait annoncé sa participation dans une transaction de 2 G$ pour acheter avec des partenaires des immeubles de O&Y Properties.
Évidemment, la direction du RPC présente ces placements dans une perspective favorable, mentionnant qu'ils font partie de ses plans de diversifier son actif. Mais il faut se demander pourquoi des sociétés immobilières aguerries comme Oxford et O&Y ont vendu de leur actif.
Géré par comité, le RPC achète goulûment des immeubles parce que cette classe d'actif est fort populaire. L'immobilier a réalisé des rendements élevés depuis quelques années, rendements qui attirent les investisseurs avides.
Sans parler de bulle, un terme dont on abuse, ce secteur vit ses heures de gloire et c'est normal. Après plusieurs années de croissance économique et, en plus, avec des taux d'intérêt à long terme à un creux sans précédent depuis 40 ans, il est évident que l'actif immobilier s'est apprécié de façon sensible.
Par contre, c'est une grave erreur que d'imaginer que cette performance récente se poursuivra longtemps. Au contraire, les prochaines années risquent d'être plus difficiles, sans qu'on puisse annoncer pour autant la catastrophe. Le marché immobilier peut facilement passer cinq ans sans donner de rendement. Et lors du prochain creux, vous verrez des annonces de vente pour des raisons dites "de diversification". On sortira d'un secteur décevant pour acheter des actifs plus à la mode. C'est l'histoire des cycles et des hommes qui se répète...