A propos de l’innocence quasi angélique de ces jeunes gens, il faut rappeler que les locaux qu’ils ont occupés ont été souillés et dégradés de façon ignoble, et pas par les casseurs de fins de manifestations, ce qui en dit long sur l’idée qu’ils se font de la culture et de la dignité humaine en général. Mais l’essentiel n’est même pas là. Ce qu’il faut affirmer, à contre-courant de l’opinion qu’on veut officialiser, c’est que même ceux qui ont manifesté pacifiquement contre le CPE ont tort. Ils ont tort intellectuellement, parce qu’ils ne se sont pas donné la peine de comprendre que le CPE leur apportait des chances supplémentaires de trouver du travail. Ils ont tort moralement parce que, quoi qu’on puisse dire, leur refus était un refus des incertitudes inévitables (et, dans ce cas, peu écrasantes) de la vie. Ils ont tort globalement parce qu’ils s’imaginent qu’on peut échapper aux contraintes de la réalité, en refusant l’effort, en défilant dans les rues et en disant non. Tout le monde ne vit pas en France dans les délices de Capoue, mais combien de jeunes dans le monde, et pas seulement dans le tiers monde, seraient très heureux de bénéficier des conditions offertes par le CPE !
Ce qui est encore plus affligeant, pour ne pas dire répugnant, c’est que les démagogues de gauche, et peut-être aussi quelques bonnes âmes, veuillent faire croire aux manifestants qu’ils sont les héros d’une sorte d’épopée sociale et que, grâce à leur courage, ils ont sauvé leur dignité et remporté la victoire contre les exploiteurs. On s’attendrit sur l’esprit de révolte qui est l’un des beaux apanages de la jeunesse, mais lorsque la révolte se fait au nom d’un idéal qui pourrait être symbolisé par une paire de charentaises, elle perd quelque peu de son prestige.
Cela dit, si l’on voulait bien revenir à quelques idées simples, on éviterait peut-être de commettre certaines sottises qui risquent de nous coûter cher. Tout ce que nous avons dit de plus sévère sur l’attitude d’une partie de la jeunesse (une partie seulement, répétons-le) n’implique pas une condamnation définitive. Après tout, que de jeunes garçons et filles se trouvant à un âge de leur vie trouble et mal assuré, n’ayant aucune expérience des aléas de l’existence, déboussolés par l’influence délétère de l’enseignement et des médias, attirés de surcroît par des sollicitations printanières, aillent défiler dans les rues en criant des slogans irréalistes et téléguidés, voilà qui n’est pas incompréhensible. Ce qui est stupide, et même coupable, c’est qu’on les prenne quasiment pour des maîtres à penser, des guides aptes à nous indiquer les bons chemins vers l’avenir. En vérité, c’est une forme de démission : il est bien connu que les adultes qui ont démissionné croient s’exonérer lâchement des responsabilités qu’ils n’ont pas assumées en flattant les enfants qu’ils n’ont pas su ou pas voulu éduquer.
QUELQUES LEÇONS
Les leçons les plus utiles que nous devions chercher à tirer des derniers événements sont celles qui nous permettraient d’éviter le retour de mésaventures aussi dommageables pour l’intérêt de notre pays.
Dans le déclenchement et le développement des manifestations du mois d’avril, il est un aspect qui a été peu mis en valeur, c’est le rôle joué par la mobilisation militante à gauche. En fait, comme nous l’avons déjà signalé, ce militantisme s’est fortement durci depuis quelques années et est aujourd’hui carrément passé à l’extrême gauche, que ce soit au sein du syndicat Sud ou dans d’autres structures moins organisées. Pendant la campagne anti-CPE, on a donc vu fonctionner cet engrenage : les militants résolus et aguerris d’extrême gauche ont allumé des foyers de revendication ici et là, puis ont entraîné les organisations syndicales de gauche, lesquelles ont entraîné les syndicats dits réformateurs et modérés, qui se trouvent ainsi, de fait, les exécutants d’une stratégie gauchiste. L’extrême gauche, qui est aujourd’hui l’élément essentiel de la gauche, est appelée à jouer un rôle décisif en 2007 et plus tard. En face, le militantisme politique en est presque arrivé au degré zéro. On peut dire sans exagération que, sur le terrain universitaire, il n’existe que l’UNI, et ailleurs le MIL. Dans l’affaire du CPE, les jeunes de l’UNI ont déployé une activité remarquable. Là où des actions anti-blocage ont eu lieu, elles ont été montées presque partout à leur initiative. Mais il est évident que, lorsque la mobilisation de gauche devient une mobilisation de masse, l’UNI ne peut pas, à elle seule, faire contre-poids, ne serait-ce que parce qu’elle ne trouve aucune force de relais. Toutefois le mouvement, seul défenseur du CPE, a gagné en notoriété, les militants ont acquis de l’expérience et ils ont attiré à eux les étudiants les plus lucides et les plus courageux. A ce militantisme traditionnel sur le terrain, qui est et demeure toujours essentiel et indispensable, s’est ajoutée une utilisation ingénieuse et inventive de l’Internet, qui s’est révélée d’une remarquable efficacité et qui a permis, en particulier, de toucher beaucoup de gens qui se sentaient isolés, presque abandonnés, et qui se sont sentis compris et soutenus, qui ont aussi pris conscience de leur nombre et de leur force potentielle. Le renforcement de l’UNI et du MIL est donc la condition nécessaire du renforcement du militantisme de droite, lequel est une condition nécessaire pour que la rue ne soit pas abandonnée en permanence aux grandes manœuvres de la gauche.
Condition nécessaire mais non suffisante. On voit bien, en effet, qu’on ne peut plus faire l’économie d’un effort de pédagogie permanent. Cela suppose quelques conditions simples mais impératives. D’abord, des affirmations nettes, massives, sans ambiguïté. Par exemple : le CPE est bon, les manifestants anti-CPE ont totalement tort.
Ensuite, un argumentaire ciblé simple : le CPE est créateur d’emplois et n’apporte que des avantages supplémentaires par rapport à la situation présente.
Troisièmement, et c’est essentiel, des argumentaires développés sur toutes sortes de sujets et qui aboutissent toujours à la même démonstration pratique : l’illusion conduit toujours à la catastrophe, alors que l’acceptation de la réalité, bien loin de reposer sur la résignation à une fatalité étouffante, offre au contraire de multiples chances à ceux qui font les efforts nécessaires pour les saisir. Quatrièmement enfin : répéter, marteler, rabâcher les quelques recettes simples. La droite, au contraire, est presque toujours portée à finasser, à laisser entendre que, sans être parfaite, elle n’est pas aussi méchante qu’on la dépeint, que ses adversaires n’ont pas foncièrement tort, mais qu’ils prennent de mauvais moyens pour atteindre leurs si louables fins. Résultat : les slogans grossiers, souvent malhonnêtes, de la gauche écrasent sans peine les tergiversations défensives de la droite. Aujourd’hui, les Français de droite, surtout dans les milieux populaires, sont désorientés et en viennent à se demander si le combat qu’ils avaient d’abord mené de bon cœur avait été engagé pour une juste cause. Le refus de la réalité, inhérent à la gauche, est toujours présent. Malgré les très grandes différences entre les deux époques, il est un point commun entre mai 68 et avril 2006, mis en forme et claironné en 68, rétréci et sous-jacent en 2006. Cet état d’esprit est présent en permanence à doses plus ou moins fortes. Nos efforts pour le combattre ne doivent pas se relâcher.
ET MAINTENANT ?
Il n’y a rien de plus difficile que de faire des prévisions, surtout, ajoutait un humoriste, si elles portent sur l’avenir.
Pour commencer, nous pouvons déjà faire le bilan présent. Il est désolant. On semble toujours considérer, en France, que le coût des dégâts matériels provoqués par ces petits divertissements est négligeable. En fait, il n’en est rien. Il se chiffrera au moins en dizaines et probablement en centaines de millions d’euros. Si encore les pollueurs et les casseurs étaient les payeurs, on pourrait espérer que le dégonflement brutal de leur portefeuille les conduirait sur les voies de la sagesse. Malheureusement, il y a tout lieu de penser que ces messieurs et dames regagneront leurs foyers dans l’impunité, donc avec une propension accrue à l’irresponsabilité.
Un autre acquis de ces semaines carnavalesques, c’est que l’image de la France en sort gravement écornée. « L’exception française » a certes acquis un degré supplémentaire de notoriété. Ce qui est fâcheux, c’est que ce ne soit pas à la gloire du « modèle français » que le monde entier est censé nous envier, mais pour faire de notre pays le symbole de la futilité et de l’irresponsabilité.
Quant aux conséquences politiques qui peuvent s’ensuivre, elles ne semblent pas, à première vue, incliner à l’optimisme. La victoire de la rue contre la légalité porte atteinte aux principes qui doivent régir la vie en société. L’avortement d’une réforme salutaire risque d’insinuer, et d’abord dans l’esprit du gouvernement, l’idée que la France est impossible à réformer et que la voie de la sagesse est celle d’une morne résignation. Toutes ces conditions semblant ouvrir un boulevard débouchant directement sur le pouvoir de la gauche.
En réalité, la France est aujourd’hui en état d’instabilité et de perturbation psychologique et politique. Nous en avons vu les effets funestes à propos de la crise du CPE. Il n’est pas impossible que la situation se retourne dans les mois qui viennent. Ces quelques semaines ont plongé la France dans un état irrationnel, proche de la folie, dont nous semblons avoir le triste privilège. Mais ces périodes de lévitation mentale n’ont qu’un temps. Un jour viendra le dégrisement et le retour à la réalité. Alors on s’apercevra que les faits sont têtus, que le chômage des jeunes est toujours là et que le CPE, sous un nom ou sous un autre, apporte une solution pratique et efficace, surtout si le CNE continue à donner de bons résultats.
Cette évolution des esprits est une question de temps, mais il ne faut pas compter sur une simple évolution mécanique pour que la situation s’améliore. Il faut forcer le destin, ou au moins l’orienter. Pour trouver une ligne d’action efficace, la droite au pouvoir ne doit pas sous-estimer la désorientation, voire le désarroi de la France de droite, que nous avons signalé plus haut. Si la défaite de la droite s’était produite « à la régulière », par exemple à l’occasion d’un scrutin national, la déception serait forte, mais la mésaventure ferait partie du jeu politique normal. Ce qui, dans la situation présente, laisse un fort goût d’amertume, c’est qu’on a l’impression que, implicitement, il est plus ou moins admis dans la conscience commune que le CPE était une mesure moralement douteuse que le gouvernement aurait voulu faire passer presque clandestinement. Tout se passe comme si les manifestants étaient les représentants du bon parti qui seraient parvenus à faire prévaloir un principe de moralité politique, les Français de droite se trouvant rejetés, une fois de plus, dans le mauvais camp. Il est grand temps que toute la droite consciente de ses responsabilités, détenteurs du pouvoir politique et simples citoyens, rétablisse la vérité et revendique ses principes. Malgré les apparences et les discours convenus, le redressement nécessaire relève plus de l’électrochoc que des gémissements compassionnels. Les esprits y sont plus prêts que beaucoup ne le croient. Encore faut-il qu’ils soient réveillés par une parole forte.
Pour notre part, nous persévérerons dans notre être en nous en tenant sans faiblesse aux vérités de fond, fermement convaincus qu’elles seront de nouveau reconnues comme telles. Le tournant est peut-être plus proche qu’on ne le croit. C’est pour ce moment-là que nous devons être prêts. En tout cas, le renoncement ne passera pas par nous.
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