De l'autre côté du mur, une Cisjordanie fragmentée
Gruda, Agnès
Jérusalem - Un matin, les élèves de l'école pour garçons d'Anata, une banlieue palestinienne de Jérusalem, ont vu apparaître un mur en plein milieu de leur cour d'école. Un mur de béton haut de huit mètres qui les confine dans un espace minuscule et leur coupe l'accès à la vallée où ils allaient faire des excursions.
Pendant les heures de classe, le tintamarre des bulldozers distrait tout le monde. Aux récréations, les 700 garçons de cette école s'entassent dans une cour ridicule. Leur principale distraction: lancer des pierres aux soldats israéliens qui surveillent les travaux. Et qui leur envoient des bombes lacrymogènes en retour.
La jeep militaire et les bulldozers disparaîtront quand les travaux seront terminés. Mais pas le mur qui séparera bientôt la localité d'Anata d'une autre banlieue, Pisgat Zeev, fondée par des colons juifs. À la fin des travaux, les habitants d'Anata vivront en Cisjordanie. Ceux de Pisgat Zeev, en Israël. Une frontière étanche séparera les deux univers. Et les élèves de l'école d'Anata n'auront plus personne sur qui lancer des pierres...
Imposer une solution qui nous paraît juste à un ennemi avec qui on ne parvient pas à s'entendre: c'est la voie que compte emprunter le parti Kadima, donné gagnant au scrutin du 28 mars.
Mais cet unilatéralisme a un prix. Il est payé quotidiennement par les Palestiniens qui se cognent le nez contre des blocs de béton et doivent parfois faire des heures de route pour arriver au village voisin.
Une ultime brèche dans le mur qui encerclera bientôt Jérusalem permet encore aux habitants du quartier arabe d'Abou Dis de venir librement dans la Ville sainte. Muhamad Azzam vit du côté palestinien mais vend des jouets dans un quartier arabe qui tombera bientôt du côté israélien. Pour se rendre au travail, il doit enjamber un muret à l'abri des regards des soldats. Bientôt il n'y aura plus de muret, mais un mur infranchissable. " J'ai mis mon magasin en vente ", confie-t-il avec regret.
Au total, le mur s'allongera sur 680 kilomètres, dont un tiers a déjà été construit et un autre tiers est en voie de construction. À mesure qu'il s'élève de terre et qu'il encercle les plus grandes des implantations juives, celles qui survivront au retrait israélien, le mur rend la vie de plus en plus difficile aux Palestiniens de Cisjordanie. Certains de leurs villages sont enclavés à l'intérieur du mur, d'autres séparés du village voisin par la clôture. En plus d'obliger les Palestiniens à une gymnastique territoriale, le mur étrangle l'économie de la Cisjordanie.
Celle-ci est aujourd'hui parsemée de " dizaines d'enclaves isolées les unes des autres en dépit de leur proximité géographique ", constate la journaliste Amira Hass dans le journal Haaretz.
" Une nouvelle réalité géographique, sociale et économique a émergé en Cisjordanie ", écrit-elle. Une réalité presque totalement absente de la campagne électorale israélienne.