Juifs et arabes, deux solitudes

Gruda, Agnès

Oum El-Fahem - Un parti de plus en plus populaire en Israël propose de céder des villes à forte population arabe aux territoires palestiniens contre des implantations juives en Cisjordanie. Même s'ils disent ne pas avoir beaucoup en commun avec les juifs, les arabes israéliens sont insultés.

Les murs qui bordent les rues grimpantes de la petite ville d'Oum El-Fahem, à 90 minutes de route au nord de Jérusalem, sont placardés d'affiches électorales. Mais on y cherche en vain la publicité des grands partis israéliens qui se disputent les élections législatives de demain.

À quelques rares exceptions près, les affiches sont en caractères arabes. Et elles invitent les électeurs à voter pour la poignée de partis proposant d'élire des députés arabes à la Knesset- le Parlement israélien.

" Le matin, j'écoute Fairouz (chanteuse égyptienne), eux ils écoutent leurs chansons. Nous ne partageons aucune culture en commun avec les juifs israéliens ", dit Ahmed Hussein, actuaire et candidat local du parti arabophone Balad.

Un Israélien sur cinq appartient à la minorité arabe. Mais un profond fossé sépare les deux communautés. Un parti de la droite israélienne, Israël Beitenou, a décidé de mettre fin à ces " deux solitudes " avec une proposition inédite: échanger une région à forte population arabe, le " triangle arabe de la Galilée ", contre les implantations juives en Cisjordanie.

Cet échange de populations redessinerait les frontières d'Israël. Il priverait aussi des dizaines de milliers de citoyens israéliens de leur nationalité.

Le parti Israël Beitenou, et son controversé leader, Avigdor Lieberman, Israélien d'origine moldave particulièrement populaire dans la communauté russophone, constituent la grande surprise de l'actuelle campagne électorale. Un sondage récent lui accorde même 15 sièges à la Knesset, ce qui le placerait en troisième position, devant le Likoud- ancien parti d'Ariel Sharon. Et en ferait un poids lourd de la politique israélienne.

Idée populaire

L'idée d'amputer Israël d'une pointe de la Galilée où vit une forte population arabe est-elle donc en train de gagner du terrain? " Sans aucun doute ", répond Tamar Hermann, directrice du Centre pour la recherche sur la paix Tami Steinmetz, à Tel-Aviv.

Selon un sondage récent réalisé par ce centre, 48 % de juifs israéliens approuveraient un tel transfert démographique si tel était le souhait de la minorité arabe. Et 33 % favoriseraient ce scénario même si la population arabe devait le rejeter.

C'est la première fois que les Israéliens sont invités à voter sur une telle proposition. " L'opinion publique israélienne a le sentiment que la population arabe ne sent aucun lien d'appartenance à Israël ", explique Tamar Hermann.

Et le sentiment d'hostilité à l'égard de la minorité a été exacerbé par la dernière Intifada, au cours de laquelle la minorité arabe en Israël a manifesté son appui aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Quelques attentats ont même été commis avec la complicité d'Arabes israéliens.

Résultat: un sondage récent montre que 68 % des juifs israéliens n'accepteraient pas de vivre dans le même immeuble que des compatriotes arabes. Et 41 % croient que l'État devrait encourager les citoyens arabes à émigrer.

À Oum El-Fahem, qui avec ses 40 000 habitants constitue la principale communauté du " triangle arabe ", il n'y a pas grand monde pour brandir avec fierté le passeport israélien. " Nous vivons en Israël, mais notre allégeance va à la Palestine ", dit Mahamid Mustafa Sohail, maire adjoint de cette ville dirigée par un parti islamiste.

" Même si je lis Haaretz (journal israélien de gauche) et que je travaille essentiellement en hébreu, je ne me sens pas du tout Israélien ", dit le candidat Ahmed Hussein.

" Je suis le fils de ce pays, ajoute-t-il. Lieberman, lui, est arrivé ici il y a 28 ans, et il a encore un accent russe en hébreu. "

La vaste majorité des habitants de Oum El-Fahem sont insultés par l'idée d'être " échangés " contre des colons. Et veulent rester en Israël, envers et contre tout.

Par pur intérêt matériel? Pas seulement, dit Itzik Shanan, qui dirige un projet de lutte contre le racisme dans les stades de soccer en Israël.

Selon lui, les Arabes israéliens ont en fait plus de liens avec Israël qu'ils veulent bien le montrer. " Les jeunes joueurs arabes sont fiers d'appartenir à des équipes israéliennes ", dit-il. Seulement, il y a des choses qui ne se disent pas en public...


Illustration(s) :

Un juif orthodoxe quête sur un trottoir de Jérusalem. La pauvreté a été un des enjeux de la campagne électorale en Israël.