"Le Canada punit le peuple palestinien, non le Hamas"
Le gel de l'aide canadienne a choqué le ministre des Municipalités Issa Jabbari
Hachey, Isabelle; Gruda, Agnès
Ahmed Abdirahman, de l'ONG montréalaise Alternatives, devait rencontrer aujourd'hui le ministre palestinien des Affaires sociales pour discuter de deux centres communautaires de la bande de Gaza. Quand il a appris que le Canada coupait tout contact avec l'Autorité palestinienne, toutefois, il a immédiatement annulé la rencontre: il craignait d'être accusé d'entretenir des liens avec le terrorisme.
Les inquiétudes de M. Abdirahman illustrent bien la confusion des travailleurs humanitaires canadiens oeuvrant dans les territoires occupés depuis que le Canada est devenu, mardi, le premier pays du monde à couper les vivres au nouveau gouvernement palestinien dirigé par le Hamas, qui figure sur sa liste d'organisations terroristes.
La décision du gouvernement de Stephen Harper constitue une punition injuste infligée à l'ensemble des Palestiniens, et qui risque d'avoir des effets pervers si d'autres pays emboîtent le pas au Canada, estiment les critiques.
Les deux centres de Gaza, destinés à la formation des femmes, administrés par Alternatives et financés par l'Agence canadienne de développement international (ACDI), devaient bientôt être pris en charge par le ministère palestinien des Affaires sociales. Mais l'ACDI doit maintenant " restructurer " le projet de 3,8 millions pour éviter que l'Autorité palestinienne ne touche un seul sou du Canada.
" Je me trouve dans une situation schizophrénique, dit M. Abdirahman. Pour transférer le projet aux Palestiniens, je dois faire des liens avec des représentants de l'Autorité palestinienne. Légalement, c'est très compliqué. Je ne veux pas me faire accuser de maintenir des relations avec une organisation terroriste. "
Le Canada a annoncé le gel de 7,3 millions versés à l'Autorité palestinienne pour différents projets de développement, dont un programme d'accès au logement et la remise en état du parc industriel de Ramallah. D'autres projets seront restructurés pour empêcher le gouvernement d'en profiter indirectement. Le Canada continuera néanmoins de verser une aide humanitaire directe à la population.
L'annonce a choqué le ministre des municipalités, Issa Jabbari. " Nous sommes très déçus de la décision canadienne, a-t-il dit à La Presse. Elle punit le peuple palestinien, non le Hamas. (...) Ça montre que le Canada est sous l'influence des États-Unis. "
Selon le directeur d'Alternatives, Robert David, le gouvernement Harper fait " une mauvaise lecture " des résultats des élections palestiniennes du 25 janvier. Les sondages ont montré que la majorité des électeurs avaient choisi le Hamas non pas en raison de sa ligne dure envers Israël, mais parce que le parti leur semblait plus efficace et, surtout, moins corrompu que son rival, le Fatah.
Avertissement du Quartette
Le Quartette pour le Proche-Orient (États-Unis, Europe, Russie et ONU) a prévenu hier que l'entrée en fonction d'un gouvernement palestinien dominé par le Hamas aura " inévitablement " un impact sur l'aide versée. Le président George Bush a déclaré qu'une poursuite de l'aide n'avait " pas de sens ", car le Hamas avait " exprimé son désir de détruire son voisin " israélien.
L'Autorité palestinienne dépend entièrement de l'aide étrangère. Depuis sa création, en 1994, elle a reçu environ un milliard de dollars US par an de l'Union européenne et des États-Unis, ses deux principaux donateurs.
Au sein du Quartette, les tenants de la ligne dure estiment qu'il faut suivre l'exemple du Canada et couper les vivres à l'Autorité palestinienne. D'autres pensent qu'il faut plutôt trouver une façon de contourner le Hamas, par exemple en payant directement les factures du gouvernement palestinien, ou encore en passant par la Banque mondiale pour financer certains projets d'infrastructures.
Si le Quartette opte pour la voie canadienne, le Hamas risque de se tourner vers des sources de financement que l'Occident ne pourra pas contrôler. Les leaders du groupe ont déjà entamé une tournée des pays arabes. Ils pourraient aussi s'appuyer sur des réseaux informels de gens d'affaires et d'organismes caritatifs islamistes.
Attentat suicide
Un attentat suicide a tué hier trois colons israéliens et son auteur palestinien, à l'entrée de la colonie de Kedoumim, au nord de la Cisjordanie. Les brigades des Martyrs d'al- Aqsa, liées au Fatah, ont revendiqué cet attentat et annoncé qu'Ahmad Macharka, 24 ans, de Hébron, avait mené l'opération. Selon des témoignages de colons, l'activiste, qui s'était déguisé en juif religieux, a fait sauter une charge dans une voiture qui l'avait pris en stop.
D'après AFP