Fabien Deglise
Édition du samedi 10 et du dimanche 11 janvier 2009
Mots clés : Règles, Producteurs, Étiquetage, Alimentation, Consommateur, Canada (Pays)
Les producteurs décrient unaniment les nouvelles règles sur l'étiquetageLe remède serait finalement le poison. Plus d'une semaine après
l'entrée en vigueur des lignes directrices dites modernisées sur
l'étiquetage des aliments produits au Canada, la mesure fédérale fait
encore et toujours l'unanimité contre elle partout au pays.
Et pour cause. Officiellement mis en place par Ottawa pour
renforcer la confiance des consommateurs envers les aliments canadiens,
ce nouveau cadre réglementaire, posé autour de la mention «Produit au
Canada», pourrait en effet rapidement se retourner contre ces mêmes
consommateurs, croient les producteurs agricoles et les transformateurs
agroalimentaires canadiens. Comment? En encourageant paradoxalement la
prolifération de fruits et légumes provenant de l'étranger, mais aussi
en tuant dans l'oeuf toute velléité d'achat local, clament aujourd'hui
les détracteurs de cette modernisation qualifiée de «manquée».
«Le gouvernement fédéral n'a pas tenu compte des conséquences que
les nouvelles normes allaient avoir, lance Pierre Lemieux,
vice-président de l'Union des producteurs agricoles (UPA). S'il n'y a
pas d'ajustement, ces règles vont plus nuire qu'aider le milieu de
l'agroalimentation.»
Amorcée en juillet dernier, cette réforme de l'étiquetage, en
vigueur depuis le 31 décembre dernier, partait pourtant d'une bonne
intention. Depuis des lunes, la mention «Produit du Canada» qui
apparaît sur les emballages reposait en effet, jusqu'à la fin de
l'année dernière, sur des critères largement décriés par les principaux
acteurs de l'alimentation au pays: un aliment devait en effet démontrer
que 51 % des dépenses liées à sa production -- main-d'oeuvre et
ingrédients compris -- avaient été engagées au Canada.
Cette règle, jugée laxiste par plusieurs, faisait en sorte par
exemple qu'un sorbet de fruits exotiques, une préparation à base de
poulet américain, du chocolat ou même du café pouvaient, une fois
conditionnés en sol canadien, se draper dans l'unifolié pour séduire
les consommateurs en quête d'achat local.
D'un extrême à l'autre
Pour enrayer cette tendance, Ottawa a décidé de serrer la vis. Le
patriotisme alimentaire s'accompagne désormais d'une recette simple: 98
% des ingrédients doivent provenir d'ici. Une exigence pleine de bon
sens lorsque vient le temps de confirmer l'origine géographique d'un
produit, mais qui est aujourd'hui au coeur des reproches formulés par
le milieu de l'alimentation, qui pourtant milite depuis des années pour
un tel resserrement. «Nous n'en demandions pas tant», lance Sylvie
Cloutier, porte-parole du Conseil de la transformation agroalimentaire
et des produits de consommation (CTAC).
C'est qu'avec une telle norme, un grand nombre de produits
canadiens risquent en effet, dans les prochains mois, de ne plus
pouvoir afficher leur véritable origine. C'est le cas par exemple de la
majorité des confitures qui, même si elles contiennent des fraises, des
bleuets ou des framboises pourtant bien de chez nous, contiennent aussi
du sucre -- forcément importé -- dans des proportions qui dépassent les
2 % désormais tolérés par la nouvelle réglementation.
Les célèbres bleuets au chocolat des pères trappistes de
Dolbeau-Mistassini, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, vont aussi être logés à
la même enseigne: le cacao qui entre dans cette préparation ne pouvant
pas provenir de la région, ni d'aucun autre coin du Canada d'ailleurs.
Un petit détail qui force désormais les producteurs à utiliser sur
leurs emballages la formule, jugée peu invitante, «Fabriqué au Canada à
partir d'ingrédients importés» ou encore à s'abstenir d'indiquer
l'origine de leurs produits, la norme étant en effet volontaire plutôt
qu'obligatoire.
«Dans ce contexte, la majorité des transformateurs qui ne pourront
plus se qualifier pour l'usage de la mention "Produit du Canada" vont
tout simplement cesser de mentionner l'origine, résume Mme Cloutier. Ce
qui, au final, va à l'encontre de cette modernisation qui vise à mieux
informer les consommateurs.»
Pis, la disparition annoncée, sous la contrainte, de la mention
«Produit du Canada» sur la plupart des aliments transformés (les
produits frais poussant ici étant en effet sans contredit 100 %
canadiens) risque aussi de favoriser l'émergence d'une bouffe composée
d'ingrédients majoritairement importés. La raison? Dans un monde où le
label canadien n'a plus de valeur, les transformateurs pourraient être
tentés de s'approvisionner de plus en plus sur les marchés étrangers,
où les matières premières sont généralement moins chères. «On perd un
avantage concurrentiel, dit M. Lemieux. Mais on met aussi en péril les
programmes d'achat local, pour lesquels pourtant nous militons depuis
des années.»
Changement attendu
Devant les effets pervers de cette modernisation de l'étiquetage,
agriculteurs et transformateurs demandent une fois de plus à Ottawa de
corriger très vite le tir pour éviter le drame. Et ce, en donnant suite
à une recommandation du Comité permanent de l'agriculture et de
l'agroalimentaire de la Chambre des communes qui, dans un rapport rendu
public en juin dernier, proposait d'ailleurs d'amener à 85 % la
proportion d'ingrédients canadiens dans un produit s'affichant comme
tel. Pas un point de pourcentage de plus.
«C'est une limite acceptable pour nous», dit Mme Cloutier, qui ne
comprend pas pourquoi Ottawa a décidé d'opter pour la norme de 98 %.
«Si on se base sur le programme Aliment du Québec [qui certifie les
produits alimentaires québécois], cette limite est de 80 %, avec
l'obligation que l'ingrédient principal [les fraises d'une confiture de
fraises ou les cornichons d'un pot de cornichons] provienne d'ici. Et
cela fonctionne très bien.»
Malgré nos appels, il n'a pas été possible de parler cette semaine
au ministre d'État chargé de l'agriculture à Ottawa, Jean-Pierre
Blackburn, qui, depuis sa nomination, est largement interpellé par les
acteurs alimentaires canadiens.
«Pour l'instant, nous sentons que le ministre est sensible à nos
demandes, dit M. Lemieux. On espère juste que le caractère minoritaire
du gouvernement Harper, mais aussi l'impasse parlementaire dans
laquelle ce gouvernement s'est placé en décembre dernier, ne va pas
l'empêcher d'agir.»
Vos réactions ...du travail à faire, et c'est le consommateur qui doit se donner la peine de chercher! - par Tim Yeatman
Le samedi 10 janvier 2009 14:00
Réglementer = nuire plutôt qu'aider - par André Chamberland (andre.cham@sympatico.ca)
Le samedi 10 janvier 2009 11:00
il y a encore du travail à faire - par lise jacques
Le samedi 10 janvier 2009 10:00
Relisez l'Illusion politique de Jacques Ellul - par Serge Grenier (serge.grenier@gmail.com)
Le samedi 10 janvier 2009 08:00