La place des adjectifs
Roux, Paul
"À la lecture de votre journal, nous écrit un lecteur, j'ai remarqué que vous faites beaucoup de fautes de syntaxe, c'est-à-dire que les adjectifs sont souvent placés avant le nom alors qu'il faut les mettre après. Cela est souvent le cas en anglais mais pas en français. Voici quelques exemples relevés: un difficile jeu, un riche quartier, un fort vent et bien d'autres encore. "
Ce lecteur n'a pas tout à fait raison, mais il est vrai que, sous l'influence de l'anglais (une fois de plus), on a tendance à antéposer l'adjectif au lieu de le postposer.
Toutefois, il faut éviter de crier à l'anglicisme, car la place de l'adjectif est très capricieuse en français. Ce dernier peut, en effet, tout aussi bien précéder le nom que le suivre. On dit, par exemple, une jolie femme mais une femme laide, un bel homme mais un homme laid, un bon fils mais un fils ingrat, la haute mer mais la marée haute, un vieux manteau mais un manteau neuf.
Comment s'y retrouver? Il y a bien quelques règles. " Mais, comme le font remarquer les auteurs de l'Encyclopédie du bon français, elles sont très abstraites et ne peuvent remplacer ce qu'on apprend par l'usage. " Aussi conseillent-ils la prudence: " Il vaut mieux n'employer chaque adjectif qu'à la place où on l'aura vu dans la même acception. "
Ces bons conseils donnés, voici quelques règles qui peuvent guider l'usage.
1) On place habituellement avant le nom:-
des adjectifs très courants et souvent très courts comme petit, moindre, vieux, bon, meilleur, grand, joli, autre, mauvais, pis, pire, jeune, gros et beau, ainsi que demi et mi;
Un bon ami, un joli minois, un gros travail.
- les adjectifs ordinaux;
Son deuxième enfant, le troisième étage.
- les adjectifs auxquels on veut donner une valeur affective, un sens fort ou figuré.
Les noirs desseins des conspirateurs.
Les vertes prairies de la patrie.
Une tendre amitié.
2) On place habituellement après le nom:
- les adjectifs longs;
Une femme déterminée, un homme susceptible.
- les adjectifs indiquant la couleur et la forme (sauf s'ils sont employés, comme ci-dessus, au sens figuré);
Une robe rouge, un écran plat.
- les épithètes de relation;
Un chroniqueur littéraire, le président américain.
- la plupart des adjectifs verbaux;
Un homme dévoué, une femme estimée.
Un pont chancelant, une route montante.
- les adjectifs servant à établir une classification (administrative, géographique, historique, sociale, etc.).
Un citoyen canadien, le Code civil, la physique quantique, la danse contemporaine.
3) Certains adjectifs ont un sens différent, selon qu'ils sont antéposés ou postposés.
Un brave homme, un homme brave.
Une curieuse femme, une femme curieuse.
Un personnage sacré, un sacré personnage.
4) Enfin, la place de certains adjectifs est indifférente. On dit aussi bien, par exemple, une bien agréable journée qu'une journée bien agréable, d'odieuses gens que des gens odieux.
Bref, la place de l'adjectif est affaire d'harmonie, d'euphonie et de rythme, de coeur et de raison, de tradition et d'usage. Conclusion: lisez de bons auteurs et fiez-vous à votre instinct.
À saumon ou à saumons?
Q: Vous avez peut-être remarqué, sur les écriteaux que l'on retrouve parfois aux abords d'une rivière, l'inscription suivante: " Rivière à saumon ". Orsaumonne devrait-il pas s'accorder au pluriel puisque la rivière doit en contenir plus d'un?
Denis LeBreux
Selon le Grand Dictionnaire de l'Office, on peut écrire rivière à saumon ou rivière à saumons. Dans le premier cas, saumon est un générique qui englobe toutes les espèces de saumon. Dans le second cas, on fait référence, comme vous le faites, aux saumons qui vivent dans les rivières.
Motion de censure ou de défiance
La " proposition par laquelle une chambre ou une assemblée met en cause la responsabilité du gouvernement " s'appelle une motion de censure ou de défiance, et non une motion de non-confiance. Cette dernière est un calque de non-confidence motion.
Le Parti conservateur entend déposer une motion de censure à l'égard du gouvernement libéral. Le vote de défiance devrait avoir lieu en mai.
Saoulon et saoulonne
Q: Ma blonde m'a prouvé que les motssaoulonetsaoulonnene figuraient pas dans lePetit Robert. Contrairement àsoûlardet mêmesoûlote. Il me semble pourtant avoir souvent entendu les premiers et rarement les seconds.Saoulon(ousoûlon) se trouve-t-il dans un autre dictionnaire?
Christian Dejoie
Les termes saoulon et soûlon sont des régionalismes. On les emploie au Québec mais également en Bourgogne et en Suisse. On les trouve dans plusieurs ouvrages, dont le Dictionnaire québécois français et Le Trésor de la langue française informatisé. Les synonymes sont soûlard, soûlaud, soûlot, ivrogne, poivrot et pochard.
Petits pièges
Voici les pièges de la dernière chronique:
1. Le quintette nous ont séduit.
2. Elle calcule prendre sa retraite dans deux ans.
- Dans la première phrase, il y a deux mauvais accords. Le mot quintette est le sujet et le pronom nous est un complément d'objet direct placé avant le participe passé.
- Le verbe calculer est un anglicisme au sens de compter, projeter de.
Il aurait donc fallu écrire:
1. Le quintette nous a séduits.
2. Elle compte prendre sa retraite dans deux ans.
Voici les pièges de cette semaine. Les phrases suivantes comprennent chacune au moins une faute. Quelles sont-elles?
1. Ma caméra donne de bonnes photos.
2. La personne en charge est absent.
Les réponses la semaine prochaine.
Paul Roux est l'auteur duLexique des difficultés du français dans les médias, aux éditions La Presse. Faites-lui parvenir vos questions, vos suggestions ou vos commentaires par courriel à amoureux@cyberpresse.ca, par la poste au 7, rue Saint-Jacques, Montréal (QC), H2Y 1K9, ou encore en écrivant directement sur la page www.cyberpresse.ca/amoureux