Le Vif Désir de durer
Roux, Paul
Marie-Éva de Villers a eu la bonne idée de comparer le vocabulaire du Devoir et du Monde sur une pé riode d'un an. Elle en a d'abord tiré une thèse de doctorat, puis un nouvel ouvrage, Le Vif Désir de durer.
Contrairement à son Multidictionnaire ou à sa Grammaire en tableaux, il ne s'agit pas d'un livre grand public. Mais tous ceux qui s'intéressent au français du Québec en général et à la langue des journaux en particulier y trouveront de passionnantes données.
Premier constat: " L'ensemble des mots que nous partageons avec les autres francophones de la planète forme un tronc commun immense. " L'auteure a recensé 77 % de mots communs aux deux quotidiens. Mais si l'on exclut les gentilés (Abitibien, Luxembourgeois, etc.), les mots créés à partir d'un patronyme (bouchardiste, eurocrate, etc.) ou les créations de circonstance (anti-fourrure, pro-amiante, etc.), on en arrive à plus de 85 % d'emplois partagés.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, " ce ne sont pas archaïsmes et les dialectalismes qui constituent la principale originalité du français québécois ". En effet, les québécismes originaires de France (achalandage, ennuyant, etc.) ne constituent que 8 % des mots propres au Devoir. Les québécismes familiers ne sont pas non plus très nombreux. Mme de Villers fait remarquer qu'ils figurent presque exclusivement dans les chroniques.
Les québécismes du Devoir sont à 68 % des créations: courriel, clavardage, téléavertisseur, aluminerie, décrochage, gicleur, cégep, pourvoirie, polyvalente, etc. L'auteure souligne que cette créativité " puise fondamentalement aux sources du français ". Elle témoigne, ajoute-t-elle, " du dynamisme et de la vitalité du français au Québec ".
Par comparaison, les emprunts à d'autres langues sont peu nombreux (un peu moins de 13 %). Les emprunts directs, en particulier, sont peu fréquents. L'auteure note que les journalistes québécois " se montrent très réticents à emprunter des mots à l'anglais ". " Par contre, écrit Mme de Villers, les emprunts sémantiques (faux amis) et les emprunts syntaxiques (calques) sont assez nombreux et fréquents. " Elle estime, avec raison, que la majorité de ces emplois critiqués sont involontaires. Aussi souhaite-t-elle une meilleure formation linguistique des journalistes à cet égard.
Cette faiblesse exceptée, Marie-Éva de Villers estime qu'on trouve dans les pages du Devoir un modèle linguistique à suivre. Les conclusions de cette étude, conclut-elle, " incitent à l'optimisme ".
Achalandage
J'ai choisi de compléter cette chronique en traitant de quelques mots abordés dans Le Vif Désir de durer. Commençons par achalandage. L'emploi de ce mot au sens d'" ensemble des clients d'un commerçant " est vieilli en France, mais encore bien vivant au Québec.
L'achalandage n'a pas diminué dans les boutiques du centre-ville.
Chez nous, on donne aussi à ce mot le sens de " fréquentation d'un lieu, affluence ".
Québec a connu un fort achalandage touristique l'été dernier.
En France, cet emploi n'est pas inconnu, mais il est rare.
Au Québec, le mot achalandage désigne également, par extension, le nombre de passagers ou de voyageurs.
L'achalandage s'est maintenu dans le métro.
Ennuyant
L'adjectif ennuyant, au sens de " qui ennuie, importune ou contrarie ", est vieilli dans le reste de la francophonie, mais il est resté bien vivant au Québec.
Quel temps ennuyant!
Ce retard est bien ennuyant!
Pour ma part, je ne m'oppose pas à cet emploi, mais je ne le juge pas indispensable. Le français dispose, entre autres, des adjectifs assommant, barbant, chiant, contrariant, déplaisant, désagréable, embêtant, endormant, ennuyeux, enquiquinant, fâcheux, insipide, interminable, lassant, long, malencontreux, monotone, pénible, rasant, somnifère, soporifique ou tannant, pour exprimer ce " qui ennuie, importune ou contrarie ".
Cependant, beaucoup de Québécois trouvent à ennuyant une valeur expressive irremplaçable.
Petits pièges
Voici les pièges de la semaine dernière:
1) Ce remake est truffé de clins d'oeils.
2) L'équipe connaît une saison en montagne russe.
- Oeil reste au singulier dans la locution clins d'oeil. Quant à remake, on a bien tenté de le remplacer par adaptation, nouvelle version ou refonte, mais sans beaucoup de succès. Cet emprunt à l'anglais est bien intégré au français.
- La locution montagnes russes s'écrit au pluriel.
Il aurait donc fallu écrire:
1) Ce remake est truffé de clins d'oeil.
2) L'équipe connaît une saison en montagnes russes.
Les phrases suivantes comprennent au moins une faute. Quelles sont-elles?
1) Elle se rapelle très bien de ce moment.
2) Sa santé l'oblige à mettre la clé dans la porte.
Les réponses dimanche prochain.
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